À PROPOS D’ESPÉRANCE

À PROPOS D’ESPÉRANCE

Marie-Josée Riendeau, Vasthi

Le 30 octobre 2010, j’étais présente au Stade olympique lors de la célébration eucharistique qui commémorait la canonisation du Saint Frère André survenue à Rome le 17 octobre 2010. Je ne voulais pas manquer l’occasion d’assister à l’évènement le plus exceptionnel de l’histoire religieuse du Québec. Après tout, un siècle nous sépare du saint homme. Absorbée par l’écriture de ce présent texte, je songeais aux femmes de la génération du Frère André qui ont espéré à coup de chapelets, de neuvaines, de pèlerinages la guérison d’un mari handicapé ou d’un enfant malade.  Puis, j’ai pensé aux femmes de ma génération qui, confrontées à cette même réalité, espèrent faire appel à Dieu, seulement après que tout ce qui est humainement possible de faire a été fait. C’est alors que j’ai pensé au film Contre toute espérance et au présent article divisé en deux parties que je vous livre à l’instant.

Amorcée par La neuvaine en 2005 et conclue par La donation en 2009, le film Contre toute espérance, sorti en salle en 2007, est le deuxième de la trilogie de Bernard Émond sur les vertus théologales.

Au dire du réalisateur, c’est un film dépouillé de tout superflu esthétique qui passe par le corps pour avoir accès aux âmes de ces personnages qui bougent, travaillent, jardinent, chassent et se touchent. Animée par un souci de réalisme, la caméra est attentive aux gestes du travail comme du quotidien tel répondre au téléphone, couper des légumes ou creuser la terre. Elle l’est tout autant lorsqu’il s’agit de tourner des longs et de gros plans de visages au regard intense.

Dans ce film, le présent et le passé sont intimement liés. Émond raconte l’histoire d’un couple sans enfant de classe moyenne. Réjeanne (Guylaine Tremblay) est téléphoniste pour une firme de communication nationale et Gilles (Guy Jodoin) est camionneur sur de longs parcours. Ils ont acheté une maison face au mont Saint-Hilaire. Lui aime jardiner. Elle, c’est son homme qu’elle aime. Tout va bien, ils sont heureux. Cependant, le motif de ce film n’est pas le bonheur, car tout le monde sait que les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Le moteur du film c’est le cadre de vie qui éclate et avec lui toute la vie qui bascule. Premier drame, Gilles a un accident vasculaire cérébral (AVC) dont les séquelles rendent difficiles sa mobilité et son élocution. Il ne pourra plus travailler comme camionneur. Puis, Réjeanne perd son emploi lors d’une réorganisation de l’entreprise qui sacrifie ses employées afin de répondre aux lois incontournables de l’économie de marché. Passant d’un boulot mal payé à un autre, elle trouve quand même le temps et le courage d‘entretenir la maison, de soutenir et d’encourager son mari qui se replie sur lui-même en s’abandonnant au désespoir. Réjeanne reste confiante et lui dit : « Tu vas voir, on va passer à travers. »

C’est à l’automne au retour de la chasse avec son ami Claude (Gildor Roy) que Gilles reprend goût à la vie. Il se rapproche de sa femme, fait ses exercices et trouve un travail dans une station-service. C’est là qu’il fait un deuxième AVC. Désormais, Gilles se déplace en fauteuil roulant et parler est devenu une tâche ardue. La frustration et la colère le submergent. Une fois de plus, Gilles se referme sur lui et sombre dans une profonde dépression. Incapable de rejoindre les deux bouts, la maison de Beloeil, face au mont Saint-Hilaire, est vendue. Dans l’adversité, malgré son épuisement, Réjeanne reste sans relâche digne et forte. Ainsi, dans le cadre de son emploi chez un traiteur, elle se retrouve à faire le service chez monsieur Deniger, le dirigeant de la compagnie téléphonique pour qui elle travaillait. Nous avons droit à une scène mémorable de sa force de caractère.

Au retour du deuxième voyage de chasse, Gilles veut revoir la maison de Beloeil. Il est bouleversé de constater les changements que les nouveaux propriétaires ont faits à la maison et au jardin. Arrivé dans l’appartement de Montréal, pendant que Réjanne est partie au dépanneur, Gilles se suicide avec son fusil de chasse. Elle revient et trouve son mari mort. Réjeanne est brisée.   Elle ramasse le fusil, s’assure qu’il est bien chargé, se rend à la porte de monsieur Deniger, son ancien patron, tire sur la caméra de surveillance, et vide le chargeur de son arme dans les fenêtres de la maison de Summit Circle. Quelques minutes plus tard, Réjeanne, l’air hagard, les mains et le visage couverts de sang, le sang de son homme qu’elle avait pris dans ses bras, est arrêtée et conduite au poste de police pour y être interrogée par le lieutenant Allard (René Daniel Dubois). Durant l’interrogatoire, Réjeanne reste muette. En état de choc, elle est hospitalisée. Après enquête, elle est disculpée de tous soupçons au regard du décès de son conjoint. Et finalement, Réjeanne sort de son mutisme, dans un souffle, comme pour elle-même, elle dit : « Mon Dieu, aidez-moi. »

Si, malgré tout son courage, sa détermination à passer au travers, Réjeanne est terrassée par la mort de Gilles ce n’est pas faute d’avoir résisté à l’anéantissement. Elle n’est pas une victime résignée. C’est une héroïne, la protagoniste d‘un drame humain qui, une fois annihilée, refuse de renoncer à l’espérance.

Suite au visionnement de ce film, je me suis demandé combien de femmes au Québec sont, comme Réjeanne, responsables d’une personne malade et/ou handicapée. J’ai songé aux mères d’enfants trisomiques ou ayant la fibrose kystique et aux épouses de maris alcooliques, toxicomanes ou en attente d‘une greffe. Et, j’ai pensé à ces autres femmes qui, comme Réjeanne, triment dur pour un salaire de misère. Je pense aux éducatrices en garderie, aux préposées, aux associées et aux commis de tout acabit. Je n’ai pas de statistiques pour appuyer ce dernier exemple. Mais depuis 1995, tous les cinq ans, des milliers de femmes se regroupent pour marcher et prendre d’assaut les routes, rues et boulevards du Québec, voir même, du monde. Elles marchent contre la violence et la pauvreté. Elles marchent pour « Du pain et des roses, pour changer les choses… »   Tout comme Réjeanne, confiantes, dignes et battantes, elles sont nombreuses à espérer. Ces femmes fortes de l’Évangile qui portent à bout de cœur, le souci de la justice sociale ou celui du corps disgracié par le dénuement ou la maladie d’un conjoint.

Je me demande combien de femmes seront brisées, perdront leur santé physique et mentale à lutter, à se battre, se débattre pour un projet social ou pour la qualité de vie d’un proche ? Poseront-elles des gestes irréparables ? Peut-être que certaines y laisseront la vie. Il est clair qu’il vient un jour où la militante est à bout de souffle : que ce soit la mère qui voit la santé de son enfant se dégrader rapidement, ou la conjointe qui craint d’être veuve, ou lorsque l’espérance se meurt.

Au bout du compte, de toutes ces femmes, combien demanderont à Dieue de les aider ? À mon avis, c’est dans cette ultime demande qu’espérer devient théologiquement vertueux. Nous sommes loin de l’espérance qui fait souhaiter gagner à la lotorie ou obtenir une promotion, mais plutôt à mi-chemin de l’espérance qui fait marcher un kilomètre de plus ou qui fait se lever une autre fois la nuit pour le conjoint paralysé qui veut aller aux toilettes. Demander à Dieue de l’aide quand on a fait tout ce qui était humainement possible et qu’on ne peut plus se dire, penser et croire qu’on va pouvoir passer au travers c’est cela espérer contre toute espérance.

Dans ce film, j’ai constaté que l’espérance ne revêt pas toujours l’éloquence et l’érudition de la foi. Elle reste souvent sans voix devant le mystère de la souffrance humaine. Et l’espérance n’a pas toujours la main tendue pour donner. Des fois, « ça lui prend tout son petit change » pour avancer.

Dans ce présent texte, j’ai voulu d’abord raconter le film puis vous livrer la réflexion qu’il m’a inspirée. J’aurais voulu faire des liens avec les luttes de féministes chrétiennes comme celles pour le sacerdoce des femmes ou pour l’égalité des hommes et des femmes dans l’Église. À un siècle des femmes de l’époque du Frère André, les femmes d’aujourd’hui qui portent ces projets sont également comme Réjeanne, fortes, dignes et courageuses. Confrontées à l’adversité d’une Église désespérante et sclérosée, elles sont à bout de souffle. Le temps les rattrape, elles vieillissent. Certaines se remettent en question, d’autres, dont l’espoir s’est effrité au fil des batailles, lâchent prise pour s’en remettre à Dieue. Finalement, tout comme la Réjeanne du film de Bernard Émond, elles aussi, elles espèrent contre toute espérance.