À TRAVERS VENTS ET MARÉES EN PASTORALE

Monique Massé  HouIda

À marée basse, l’inconscience :

Je fis mon entrée officielle dans les rouages de la pastorale paroissiale en 1981. Pour moi, c’était une promotion : enfin, pouvoir « servir » sur le vrai terrain… la vraie mission au coeur du vrai monde ! Le peu de pouvoir que me donnait le rôle d’agente de pastorale mandatée par un Évêque me suffisait amplement : moi qui arrivais d’un milieu communautaire plus fermé laissant encore moins de place à l’initiative ; moi qui

avais tout à apprendre… par l’observation et à réaliser… par imitation. Demander à Dieu de me donner « un coeur brûlant d’amour » ou de m’aider à accepter « ma condition d’homme » me semblait alors aller de soi. Ma prière et mon action pastorale baignaient à mon insu dans une mer polluée par le patriarcat. Le vague malaise qui m’envahissait peu à peu me conduisit à prendre une année de traitement pastoral et théologique à l’Institut des Dominicains à Montréal, en 1984.

Cette année de réflexion et d’étude, dans un climat de saine liberté, me laissa la possibilité d’explorer la réalité féministe. Plus j’avançais dans ma recherche, plus mon intuition profonde m’indiquait que j’étais sur la bonne piste.

Je revins sur le terrain patriarcal avec d’autres yeux, un autre coeur, une autre vision. Le milieu, lui, n’avait pas changé. Le choc fut grand. Ma réaction de survie m’accrocha par la lecture à mon rêve secret. Je lisais les revues « L’autre Parole », « Femmes et Hommes dans l’Église » ainsi que des volumes suggérés dans ces brochures : EN MÉMOIRE D’ELLE, d’Elisabeth Schùssler Fiorenza ; DIEU HOMME ET FEMME, d’Elisabeth et Juergen Moltman ; BRÈVE HISTOIRE DES FEMMES CHRÉTIENNES, de Suzanne Tune devinrent tour à tour mes livres de chevet. Je savourais cette nourriture qui me permettait de refaire surface quand l’immersion patriarcale devenait trop menaçante. Garder toutes ces choses dans mon coeur me maintenait dans un demi-sommeil qui sera bientôt suivi d’un inquiétant réveil. L’écart entre ma réalité quotidienne et les transformations silencieuses de mon être était insupportable et appelait la solidarité à mon secours.

A marée haute, la solidarité :

Comme une bouée de sauvetage, la solidarité vint sous les traits d’un projet lancé par une amie à l’occasion du 8 mars 1990 et, avec elle, le goût de devenir agentes de changement dans le milieu ecclésial où nous étions impliquées : réactions verbales ou écrites à des propos méprisants pour les femmes, articles dans le journal de la zone pastorale et dans le journal régional, lettre aux Évêques, présentation d’un outil de travail aux comités de liturgie pour l’utilisation d’un langage non-sexiste dans les célébrations. Toutes les occasions étaient bonnes pour tenir notre créativité en éveil.

Cette solidarité prit des proportions encore plus grandes quand le collectif « L’autre Parole » de Rimouski nous ouvrit ses portes et son coeur. Nous buvions à la source ! Nous ayons senti le respect mutuel et l’accueil inconditionnel de l’autre dans toute sa beauté et sa réalité. Au-delà des distances, les groupes de Montréal et de Sherbrooke faisaient aussi partis de notre vie. Nous avons appris à méditer et à réécrire la Parole à partir de notre vécu de femmes ; nous avons goûté l’efficacité et les bienfaits de la « table ronde » pour nous guérir des abus et des incompréhensions de la « tour de Babel ». Nous continuons aujourd’hui à nous engager ensemble à bâtir une Église-Communion en remettant en question les incohérences du discours sexiste des Églises et de la société, en nous attaquant à la cause des dégâts engendrés par une vision patriarcale de l’humanité.

La solidarité a fortifié et soutient encore mon identité. Quand vous lirez ces pages, j’aurai déjà quitté le milieu paroissial pour une expédition d’un an en haute mer, à la découverte des horizons nouveaux de la Théologie féministe. Dans mes bagages : quelques souvenirs heureux de gestes posés communautairement en faveur d’un véritable partenariat ; dans le coeur : l’urgence de créer un chant d’action de grâce.

Cette réalité incomparable, je la vivrai sans aucun doute comme une réponse à la prière inspirée du Psaume 41-42 que j’avais faite aux moments difficiles entourant ma décision, en janvier 1993, et que je vous partage en guise de conclusion.