Objets inanimés avez-vous donc une âme…

Objets inanimés avez-vous donc une âme…1

Les visions futuristes sur le cosmos ou l’humanité, les avenirs possibles ou probables ne m’ont jamais enthousiasmée. Par contre, ce qui parle du passé ou évoque des vies antérieurement vécues a l’heur de me captiver au plus haut point. On ne s’étonnera pas d’apprendre que j’ai fait quelques études en histoire et que je travaille présentement pour une association québécoise qui regroupe des amis et des propriétaires de maisons anciennes2. Le voile de mystère qui flotte entre le présent et le passé, entre le visible et l’invisible exerce sur moi une fascination certaine. Et la fréquentation des lieux de mémoire me ravit.

Je voudrais vous entraîner ici sur la piste de découvertes possibles, qui se situent à la croisée du présent et du passé, et vous inviter à partager quelques bonheurs.

Notre patrimoine : un présent du passé.3Ce jeu de mots qui sert de titre à une proposition de politique du patrimoine culturel présentée récemment à la ministre de la Culture et des Communications du Québec, attire l’attention sur la richesse des héritages transmis. Il dit également le droit des citoyennes et citoyens à vivre dans un cadre de vie qui soit pour eux significatif. Mais ce droit, si on en croit le rapport, est assorti d’une responsabilité, celle de faire de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine, un projet qui engage à la fois l’État et les collectivités.

Au Québec, la notion de patrimoine a évolué depuis le temps où, quand on parlait de patrimoine on voulait désigner des édifices anciens qu’il fallait sauvegarder comme témoins de notre histoire. On avait tendance alors à s’en remettre pour cela au ministère de la Culture qui, par le biais de la Loi sur les biens culturels, pouvait classer et ainsi protéger le patrimoine immobilier du Québec4.

Les choses ont changé. Aujourd’hui, l’État n’est plus le seul responsable de la conservation du patrimoine. Une obligation d’engagement partagé s’est fait jour. Les municipalités, les organismes et les individus ont dorénavant un rôle à jouer dans la conservation des patrimoines. Avec le temps, on en est venu en effet à prendre en compte différents types de patrimoines, tant spirituels que matériels : les patrimoines immobiliers, agricoles, maritimes, industriels, paysagers, etc. On parle même de patrimoine vivant. Ce sont en fait les divers pans de notre réalité culturelle qui se trouvent aujourd’hui représentés dans la notion de patrimoine.

Mais comment cette notion est-elle née ? C’est à travers les changements, écrit Roland Arpin5, que l’on reconnaît la valeur de ce qui est patrimonial. Le désir de conserver ce que l’on identifie dès lors comme patrimonial est lié à l’idée de disparition. C’est dans la désuétude et l’abandon que naît la prise de conscience du patrimoine. Par exemple, on constate qu’au moment où l’architecture moderne supplante les formes anciennes, l’architecture propre à rappeler le Régime français prend toute sa valeur. On décide alors de protéger des maisons de pierre, témoins de la façon d’habiter des ancêtres français. On en fait des monuments historiques. De la même façon, au cours des années 50 et 60, on a commencé à se préoccuper de la conservation des églises qui renfermaient des trésors artistiques et historiques et rappelaient notre enracinement dans la foi catholique. La question de la conservation du patrimoine de l’église6 continue de se poser, et avec autant d’acuité aujourd’hui. Il s’agit d’une part, de préserver des temples à caractère unique et d’autre part, de trouver de nouvelles vocations à certains autres lieux désertés par la pratique religieuse traditionnelle. Au Québec, le passé n’a guère de poids, pouvait-on lire récemment dans la page « Tourisme » du quotidien Le Devoir. Il faut voir en effet avec quelle nonchalance notre société a gommé les témoins de son histoire, surtout au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Encore aujourd’hui, notre patrimoine de toute nature, qu’il soit paysager, bâti, artistique ou scientifique, bat de l’aile7.

Ces propos, un peu pessimistes, ne peuvent malheureusement pas être déniés. Il s’est perdu et il se perd encore trop de trésors architecturaux et de repères importants de notre identité nationale pour prétendre que le respect du passé est, ici, tout à fait acquis. Mais il faut voir également avec quelle vigueur de nombreuses associations populaires s’emploient, à travers tout le territoire, à faire un travail important de sensibilisation du public et les instances responsables, à la valeur identitaire du patrimoine.

Suggestions de visites dans les entreprises Économusées. Ce sont des lieux de diffusion voire de célébration de savoirs et de savoir-faire uniques. Située à Montréal au 5251, boul. Saint-Laurent, La Tranchefile est un endroit ou flottent de fines odeurs de cuir. Et pour cause, car on y fait de la reliure. On y offre aussi des cours. À Mont-Joli, ce sont les artisanes des Ateliers Plein Soleil qui vous invitent à découvrir l’art traditionnel du tissage et de la couture. Le réseau des entreprises Économusées compte 28 établissements au Québec. Pour en savoir davantage : téléphone (418) 694-4466, courriel info@econotnusees.com ; site Web : http://www.economusee.com.

Lecture : Le magazine Continuité, une publication trimestrielle qui se définit comme le magazine du patrimoine au Québec. Fondé en 1982, par le Conseil des monuments et sites du Québec, Continuité publie des nouvelles d’actualité et des dossiers concernant la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine. La revue se trouve dans tous les bons kiosques à journaux. C’est un beau cadeau à se faire et à offrir.

AGATHE LAFORTUNE, Vasthi

1 « Objets inanimés avez-vous donc une âme/Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer », Lamartine, Milly oit la terre natale, III, 2.

2 II s’agit de l’Association des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), organisme à but non lucratif fondé en 1980.

3 Notre patrimoine, un présent du passé, proposition de politique élaborée par le Groupe-conseil Arpin et présentée à madame Agnès Maltais, ministre de la Culture et des Communications, novembre 2000.

4 Les chemins de la mémoire. Monuments et sites historiques du Québec, tome 1, Éditeur officiel du Québec, 1990 ; tome 2, 1991. Tandis que ces deux volumes portent sur le patrimoine immobilier, le troisième, paru en 1999, présente l’ensemble des biens mobiliers protégés par le gouvernement

5 « Civilisation et patrimoine » dans Le village, tout un patrimoine. Cahier des textes savants, 7e conférence nationale de Solidarité rurale, 1998, p. 7.

6 Jean Simard, Le patrimoine religieux au Québec, Commission des biens culturels, 1996. Sur le terrain, si j’ose dire, l’abbé Claude Turmel est une de ces personnes qui ont beaucoup fait pour sensibiliser les Églises et la population québécoise à l’importance du patrimoine religieux ainsi qu’à sa reconnaissance en tant qu’héritage patrimonial et forme d’art complet. Son nom est à associer, entre autres, à la fondation, en 1970, du Comité de construction et d’art sacré de l’Archevêché de Montréal et à l’Association patrimoniale interconfessionnelle Pierres Vivantes.

7 Le Devoir, le vendredi 16 février 2001, B 5. québécois.