CÉLÉBRATION FÉMINISTE ET CHRÉTIENNE POUR UN 8 MARS

CÉLÉBRATION FÉMINISTE ET CHRÉTIENNE POUR UN 8 MARS

Flore Dupriez – Vasthi

Vêtues de longues tuniques roses, blanches ou bleues, des femmes s’apprêtent à célébrer le 8 mars.

Des femmes présidaient aux célébrations religieuses, dans un passé lointain, en Asie-Mineure, en Crête, en Grèce. Aujourd’hui encore, dans les cultes africains du Brésil, seules les femmes accèdent à l’autorité suprême. Mais les religions monothéistes et patriarcales les ont écartées de la gestion du sacré durant des millénaires.

Or, depuis quelque temps, des chrétiennes cherchent è se donner de nouveaux rites qui s’inspirent de leur vécu, de là tradition chrétienne, mais aussi d’antiques symbolismes des cultes agraires de la fécondité. Les femmes songent è retrouver l’esprit des premières communautés qui se réunissaient autour du père de famille. Réunions qui pourraient aujourd’hui se faire autour d’une mère de famille ou d’une femme qui accueillerait son voisinage.

La société civile accepte des femmes comme gouverneurs, ministre, directrice de compagnies, alors que l’Église ne lui laisse pas la possibilité de s’insérer dans la classe sacerdotale. Les femmes songent donc de plus en plus è d’autres manières de célébrer leur foi dans la Divinité qui nous a créés è son image, principe féminin et masculin.

La transformation qui est en train de se produire va faire de la femme non plus l’objet, mais un sujet du sacré. Dans un article récent, une théologienne américaine, Janet Walton, fait remarquer que « tout au long de l’histoire de la liturgie, les femmes – vierges, mères, filles, veuves, abbesses – ont reçu des bénédictions, mais qu’elles n’ont pas eu le pouvoir d’en conférer ou de présenter des textes appropriés de bénédictions1 »

Les féministes doivent donc essayer de façonner une nouvelle histoire liturgique en tenant compte des acquis du passé. Elles donneront ainsi à l’Église une richesse supplémentaire issue de la créativité des femmes. Il est grand temps que l’Église prenne conscience qu’elle se coupe volontairement d’une immense réserve de fécondités sacrales.

Les féministes munies de leur bagage chrétien se penchent sur d’autres racines et cherchent à retrouver une symbolique signifiante pour leur condition de femme.

C’est dans cet esprit que nous pourrions célébrer chaque année le 8 mers, fête des femmes. Si cette fête a une origine laïque, elle n’en est pas moins pleine de sens chrétien puisque le Christ a montré l’exemple de l’amour et de la justice.

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Les femmes qui se rassemblent pour célébrer le 8 mars accomplissent différents rites qui se relient à leurs luttes et au moment de l’année.

Nous sommes au printemps. La pluie, la neige, l’eau d’érable qui coule abondamment nous font penser à des ablutions. La cérémonie commencera donc par des rites de l’eau : paroles et gestuelle.

Les eaux symbolisent la totalité des possibles des femmes : elles en sont l’origine et le fondement. Sans eau pas de foetus, pas de plante, pas de corps, pas de vie. L’eau guérit et purifie. Nous commençons donc par des ablutions durant lesquelles nous évoquons les vertus de l’eau fertilisante, fécondante, reposante…

Goûtons l’eau de vie que nous donne notre mère la Déesse. Buvons l’eau de vie, symbole de la vie éternelle que nous attendons.

Nous avons apporté de l’eau d’érable, cette première sève de l’arbre qui reprend vie après l’hiver. Nous en buvons tour à tour pour retrouver les forces nécessaires dans les luttes qu’il nous reste à poursuivre pour la justice. Nous passons la coupe d’eau d’érable en parlant de la force de vie que nous sentons descendre en nous et en évoquant les causes qu’il nous reste a défendre. Nous nous souvenons de notre baptême qui nous a purifiées et nous permet d’avoir l’espérance de ressusciter avec le Christ.

invoquons ensemble la puissance de l’eau :

Toi, notre mère l’eau

Tu fus la première

Tu nous as donné la vie

Tu as fait de nous des chrétiennes

Tu nous as rendues fécondes

Tu nous as purifiées

Tu nous as guéri non seulement le corps, mais l’âme aussi.

Donne-nous la force d’être des vivantes assoiffées de justice.

Versons de l’eau dans un grand récipient qui évoque nos tâches quotidiennes : la vaisselle, la lessive, le bain, et aspergeons-nous de cette eau. Une femme nouvelle naîtra de cette immersion.

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La cérémonie continue par l’évocation et le partage de nos soucis et de nos joies. Nous rendons grâces pour ce qui nous réjouit et nous nous demandons comment mettre fin é nos oppressions.

Récitons ensemble la 1ère Béatitude de L’autre Parole :

« Heureuses celles dont le coeur n’est pas endurci car elles restent à l’écoute des femmes et de Dieu

Malheureux ceux et celles qui assoient et perpétuent la pauvreté des femmes car ils trahissent Dieu

– en ne reconnaissant, pas officiellement la valeur sociale et économique du travail domestique

– en refusant dans l’Église catholique le sacerdoce aux femmes parce que femmes

– en gardant les femmes hors des lieux où se fabriquent les

valeurs qui régissent leurs vies. »

Prions donc pour que l’Église catholique fasse un grand ménage de printemps avec l’eau purificatrice qui la débarrassera des scories très anciennes, des tabous sur les femmes.

Des mythes racontent que l’humanité disparaît périodiquement dans un déluge ou dans l’inondation è cause de ses péchés.

Prions pour qu’un grand déluge ouvre les yeux de la hiérarchie catholique et lui permette de renaître nouvelle et ouverte aux femmes. Le déluge est comme le baptême, il a une valeur sotériologique. Les femmes prient pour que l’Église soit régénérée et non pas engloutie par son conservatisme.

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Méditons maintenant un texte de Luc, 7, 44 sq.

Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie où se trouvait Lazare qu’il avait relevé d’entre les morts. On y offrit un dîner en son honneur. Marthe et ses compagnes qui avaient travaillé tout le jour servaient et s’affairaient autour de la table où seuls les hommes étaient allongés.

Survint une femme de la ville, que l’on disait pécheresse, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de nard pur très coûteux et qui s’approcha de Jésus. C’était Marie de Magdala que Jésus avait guérie et libérée de l’hystérie.

Alors, renouvelant le geste des hiérodules, grandes prêtresses des temples antiques, elle lui versa le parfum sur la tête pour l’onction, baigna ses pieds, les caressa, les couvrit de baisers, les essuya avec ses cheveux, et la maison fut remplie de l’odeur du parfum.

Voyant cela Je pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : « Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche et ce qu’elle est : une pécheresse. » Se tournant vers la femme, Jésus dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison ; tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. En vérité, je te le dis, de même qu’une femme à travers son corps m’a initié è la vie, c’est encore une femme qui m’initie à l’embaume ment et a l’éternité. Et partout où sera proclamé l’Évangile dans le monde entier, on racontera aussi en souvenir d’elles ce qu’elles ont fait. »2

Chacune de nous a apporté un foulard rouge. Cette couleur est considérée comme le symbole du principe de vie. C’est la couleur du feu ou la couleur du sang. Le rouge sombre symbolise le mystère. C’est une couleur qui va nous entraîner, nous encourager dans nos luttes. C’est la couleur de l’âme, celle de la libido, celle du coeur. Dans la science ésotérique, les tarots font porter à la Papesse et à l’Impératrice une robe rouge. C’est encore la couleur du sang du taureau sacrifié à la déesse-mère Cybèle. Et c’est aussi la couleur de nos menstrues et de notre fécondité.

Nous portons des souliers neufs : signe que les femmes entrent d’un pas déterminé dans une ère nouvelle. Les chevaliers du Moyen-Age, lors de leur adoubement, recevaient des chausses, symbole d’une personnalité agissante pour le bien de toutes et de tous.

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Nous pourrons ensuite nous asseoir à une table garnie de mets apportés par chacune où l’on mettra à l’honneur tous les dérivés de l’eau d’érable destinés a refaire nos forces de femmes nouvelles. Nous partagerons le pain et le vin (rouge) à l’instar des premières communautés chrétiennes réunies pour commémorer la dernière Cène.

Avant de nous quitter, nous recevons chacune un objet qui nous rappellera le rituel du jour. Une petite ancre qui va symboliser la fermeté et la solidité de nos engagements. Nous sommes lucides et voulons rester calmes dans les tempêtes de la vie, mais nous ne pourrons plus admettre qu’il y ait encore des femmes battues, violées, sans emploi, sous-payées, objets de pornographie, rejetées du sacerdoce.

Nous croyons au message du Christ et a sa Rédemption. Il nous a promis la justice et nous nous raccrochons é cette ancre d’espérance qui va nous donner la force de continuer è demander notre véritable place dans la société et dans l’Église.

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Les femmes qui se sont réunies pour célébrer le 8 mars, tentent de renouveler la sacralité traditionnelle. La laïcisation qu’elles introduisent peut être une chance de purification. elles sentent aussi qu’un nouveau sacerdoce est en train de naître. Elles n’ont pas le projet de garder l’exclusivité de leurs rites. Les femmes veulent, au contraire, partager leur pouvoir créateur pour que règne le message d’amour et de sororité laissé par le Christ.

Et comme l’écrivait si justement Diann Neu : « L’Eucharistie célébrée par l’ecclésia des femmes n’est pas simplement du pain et du vin. La vie toute entière de l’ecclésia devient eucharistie. Le partage de nos vies devient le symbole eucharistique. Les femmes célèbrent l’eucharistie quand nous faisons le récit de l’itinéraire de nos aïeules passant de l’oppression è la libération, quand nous nous unissons pour la lutte en tant qu’ecclésia de femmes nous imposant mutuellement, les mains., et quand nous nous assemblons pour partager l’Esprit de sagesse parmi nous3 »

Célébrons, cherchons une symbolique qui convienne à nos aspirations. Notre imaginaire religieux doit présider à nos cérémonies autant que l’héritage chrétien et d’autres traditions religieuses qui pourraient désormais inspirer notre gestion du sacré.

1 Janet Wâlton, « Bénédiction ecclésiastique et féministe », Concilium 198. 1985, p. 95.

2 Celles de la Terre (groupe féministe français), texte utilisé pour la fête eucharistique du 10 mars 1985.

3 . Diânn Neu, « Nous nous appelons l’Eglise : l’expérience de liturgies féministes catholiques chrétiennes », Conciliurfi172.1982, p. 127.