CRIER À TUE-TÊTE

CRIER À TUE-TÊTE

Joannie Dupré-Roussel

Quelle délicatesse que d’élaborer un article sur la place des femmes au cinéma ! D’abord, parce que c’est un sujet d’une complexité étonnante, qui vient avec son lot de questions boueuses, et pour le moment, sans répliques définitives, mais aussi parce que, pour y répondre, on a habituellement misé la carte de la confrontation entre les hommes et les femmes.

Pourtant, quand on observe ces grandes collaborations entre les deux sexes, on se rend compte que les femmes n’ont jamais été bien loin dans l’histoire du cinéma. Certes, jusqu’aux années 70, elles sont restées un peu plus dans l’ombre, évidemment à cause du contexte historique qui voulait que les femmes restent à la maison, mais ces marginales ont, malgré tout, donné un grand coup à l’avancement du cinéma. C’est au travers de celles qui se sont battues et qui ont mordu la pellicule comme Evelyn Lambart, Suzanne Schiffman où Anne-Claire Poirier que l’on peut comprendre l’évolution des femmes dans un monde à tendance masculine, mais surtout, que l’on peut croire à une évolution surprenante pour l’avenir des dames du cinéma.

« Je me dois de mentionner ici : Evelyn Lambart » et  Norman Mclaren.

Première femme à frapper aux portes des studios de l’ONF, en 1942, Evelyn Lambart se jette à bras ouverts dans le cinéma d’animation. Pour elle, que lui importe d’être une femme dans un milieu d’hommes. L’art occupe déjà, à ses yeux, une dimension vitale et essentielle, d’autant plus que la surdité qui l’accompagne, lui permet d’aiguiser son acuité visuelle et de mieux percevoir la notion du mouvement, des formes et des couleurs. C’est d’abord le cinéaste Norman Mclaren qui remarque son immense talent. Après lui avoir demandé un simple échange de service, elle devient rapidement sa précieuse collaboratrice. Cette amitié, longue de 20 ans, tient le coup grâce à cette merveilleuse complicité qui se développe entre les deux créateurs. Lui : égaré et rêveur, elle : débrouillarde et terre à terre, ils forment un duo complice pour concrétiser les élans d’une imagination bouillonnante. Leur plus grand chef-d’œuvre est, sans contredit, Caprice en couleurs. Ce film est une composition magistrale de fresques multicolores qui s’entrechoquent, qui se boudent et qui se réconcilient au rythme d’une musique endiablée et de coups de canon. Leur travail est un véritable hymne à la poésie et à l’expérimentation, qui restera, à jamais, une référence pour les mordus d’animation.

Un raz de marée qui bouscule

De l’autre côté de l’Atlantique, en France, vers les années 60, un nouveau mouvement cinématographique éclate. Inspirée par des cinéastes en révolte contre le cinéma de bourgeoisie, La nouvelle-vague déferle sur les écrans et prône la libération ! Les équipements se font plus légers et les caméras quittent les trépieds trop encombrants pour se poser sur l’épaule de leur maître. Le cinéma devient désormais le reflet de la réalité. Engendré par la révolution féministe, le rôle des femmes se transforme. À l’écran, elles deviennent plus autonomes, plus indépendantes et tiennent tête aux machos. C’est Jean-Luc Godard et François Truffaut qui sont nommés maîtres de ce soulèvement cinématographique mais un nom nous échappe. Il s’agit de Suzanne Schiffman. Née à Paris en 1929, elle est qualifiée comme étant la femme derrière La nouvelle-vague. Fidèle associée de François Truffaut, elle est d’abord script sur des films comme Tirez sur le pianiste (1960), puis assistante sur le film L’enfant sauvage (1970) et enfin, co-scénariste sur le film La nuit américaine (1974). Son implication dans les projets de François Truffaut était telle qu’elle participait à toutes les étapes de production, que ce soit de l’élaboration du projet embryonnaire jusqu’au mixage final. Elle était une conseillère indispensable et grandement respectée, tellement que Truffaut lui a rendu un hommage impeccable dans le film La nuit américaine. Le tandem, Truffaut et Schiffman, a été un des points de rencontre important du cinéma, suffisant pour faire accoucher un souffle assez puissant pour perpétrer La nouvelle-vague sur tous les continents.

Les premiers films de femmes

Les années 70 deviennent un pivot incontournable pour la place que prennent les femmes au cinéma, plus particulièrement, à la réalisation. La lutte devient plus accrue, afin de faire valoir leur travail aux yeux de l’industrie cinématographique. Au Québec, à cette époque, c’est Anne-Claire Poirier qui prenait d’assaut le cinéma féministe. Selon elle, « la femme, quel que soit son statut, ménagère, travailleuse ou professionnelle, quelle que soit sa classe, assistée sociale, prolétaire ou bourgeoise, souffre d’un isolement qui la place dans un état d’insécurité constant »1. Avec une réputation de batailleuse, elle aborde des sujets à proprement dit « féminins », qui ne laissent toutefois pas les hommes indifférents. Elle traite de la culpabilité des mères face au travail, de la vieillesse ou encore, des traitements difficiles que peuvent subir certaines femmes. Son film, Mourir à tue-tête (1979), est pénétré de la barbarie de ceux qui agressent les femmes impuissantes face au viol, sous toutes ses formes, et qui ne peuvent faire autrement que crier en silence. Anne-Claire Poirier a le mérite d’avoir créé une collectivité de femmes afin de briser, une fois pour toute, l’exil qui les accable. Seulement, elle n’a pas fait cette démarche seule. Il y a, entre autre, la caméra de Michel Brault qui s’est jointe à elle, qui a si bien traduit ce regard féministe fébrile et impérissable sur pellicule. C’est un travail d’équipe qui, cette fois – enfin – accorde toute l’importance à la femme et à ce qu’elle peut apporter au cinéma.

« En vérité, le chemin importe peu, la volonté d’arriver suffit à tout. » – Albert Camus.

Evelyn Lambart, Suzanne Schiffman et Anne-Claire Poirier ont été, à leur façon, des pionnières au cinéma. Elles ont contribué  à l’innovation de nouvelles techniques d’animation, conseillé, rassuré et scandé le mouvement féministe. Elles ont d’abord cru en elles, en leur talent et ont franchi les limites qui les confinaient à leur rôle de femmes. Malgré une part d’ombre qui noircit leur nom dans les livres d’histoire, elles ont tout de même hérité d’une partie de l’imaginaire cinématographique. Aujourd’hui, près de 40 ans après le mouvement féministe des années 70, il est vrai qu’on ne peut nier le manque d’équilibre entre la place des hommes et celle des femmes au cinéma. La bataille, envers l’industrie cinématographique et ses préjugés, est encore bien jeune mais véritablement enclenchée. Elle ne se fera pas sur le dos des hommes, au contraire, mais au nom de toutes ces rencontres entre les genres et à la complémentarité qui s’en découle. Le temps est un vide à remplir de belles promesses et laisse croire à un avenir égayé pour les femmes. Il suffit d’y croire.

1. Bibliothèque des archives Canada : http://www.collectionscanada.ca/women/002026-711-f.html