Déclaration de Paix des femmes Pour le 300e anniversaire de la grande Paix de Montréal

Déclaration de Paix des femmes

Pour le 300e anniversaire de la grande Paix de Montréal

Il y a 300 ans, ils étaient trente-neuf et un à se réconcilier sous l’arbre sacré de la Paix.

Il y a 300 ans, ils étaient 39 hommes rouges et un homme blanc à signer un traité de Paix, sans les femmes.

Pendant que les hommes signent des Grandes Paix qui s’inscrivent en lettres d’or dans l’Histoire, les femmes signent des milliers de petites Paix à chaque minute dans leur famille, dans leur couple, entre leurs enfants, des petites Paix qui s’inscrivent en lettres de vent et d’eau dans l’esprit, le territoire invisible des femmes.

En 2001, il n’y a pas une seule raison valable pour que tous les traités de Paix soient trahis à toute heure du jour, la Grande Paix de 1701 comme les milliers d’autres traités de Paix signés depuis, hier et demain.

Aujourd’hui, ce sont les femmes qui exigent la Paix, à l’ombre symbolique des 40 totems qui marquent les quatre points cardinaux, repères cosmiques des fondateurs de l’Amérique avant qu’elle devienne blanche, bruyante et bétonnée.

Nous étions alors en pays de parole, donnée par les Anciens, reçue par les enfants. Nos grands-mères brodaient la vie quotidienne au long de la sérénité des mains habiles. Nos grands-mères portaient la survie des lendemains sous les traces rapides de l’animal à sacrifier. Nous savions être pères et mères.

Nous dansions alors sous la charge douce de nos racines, et l’arbre de nos ancêtres nous tenait lieu d’abri sous la pluie et d’ombre sous le soleil. Sous le poids des portages, nous étions grands-pères et grands-mères, fiers des millénaires dressés derrière nous. Nous étions la mémoire, inscrite sur les pierres et le vent, imprégnée de légendes.

Notre sœur rouge et notre frère rouge vivent encore. Quand on arrache leurs racines, ils deviennent intenses comme le loup qui émerge de son antre avec un regard de rivière profonde. Ils deviennent denses comme une forêt où chantent les sources.

Ils sont les êtres de silence qui attendent de nous, au cœur de notre cœur, que nous semions avec eux la Paix sur la Terre-Mère, porteuse d’aubes chargées de neiges précoces et drues.

Nous, femmes des Amériques, disons que la Terre est notre mère. Comme ces paroles des ancêtres : “ Nous ne   sommes pas propriétaires de notre Terre-Mère ; nous lui appartenons et en sommes responsables pour nos enfants ”.

Sur notre terre, il y a aussi les peuples d’écorce et de bois, les peuples des forêts, les peuples de l’eau et les peuples du ciel qui cohabitent avec nous. Leur survie est indissociable de notre propre survie. Ces peuples parlent la langue silencieuse de la vie, cette langue que nous avons perdue mais que nous devrions connaître par cœur, aussi bien que notre langue maternelle.

Mais l’or soyeux des castors a coulé, l’or rugueux des arbres est dilapidé, l’or liquide de l’eau est convoité, alors que nous avons le devoir d’en prendre soin et de raisonner quiconque voudrait se les approprier pour ses seuls intérêts. C’est sur le commerce sans conscience et sans limites qu’il faut ériger des barrages, pas sur les rivières. Aurons-nous bientôt la sagesse de signer un traité de Paix avec la Terre ?

Ma Terre-Mère, tu nages en moi en d’éclatantes coulées verbales  que j’accueille par brassées folles, essoufflées. On t’imagine éventrée sous des caresses de soc, écumeuse de noire fécondité. Belle, on t’assassine, et les parois de ton ventre vibrent comme un déploiement  d’ailes qui chancellent. Pour toi, nous, les femmes, avons l’impérieux désir d’un éclair bleu faisant mouche au cœur des foreuses qui entonnent leurs sillons comme un chant fou au retour de l’asile.

Notre Terre-Mère est un ventre bleu qui roule dans l’espace, un ventre qui nous porte et nous éblouit par sa générosité et sa beauté, un ventre qui nous donne à boire et à manger. Notre Terre, nous l’aimons jusqu’à la profondeur du feu qui alimente les volcans, comme si c’était nous qui l’avions inventée à force d’en avoir besoin.

Notre Terre-Mère se meurt de ses enfants. Notre maison commune est menacée, et avec elle, notre espèce. Nous sommes sur le même bateau. Nous avons la complicité des naufragés. La Paix n’est plus une question de choix, c’est une question de survie.

La Paix est de toutes les couleurs. Comment pouvons-nous être des ennemis ? Un lait du même blanc coule de nos seins. Un sang du même rouge coule dans nos veines. Mon sang peut sauver la vie de celle ou de celui qui ne pense pas comme moi. Nos gènes sont si semblables que je peux être la jumelle de celui ou de celle qui ne partage pas la même culture que moi. La Paix est la reconnaissance de notre ressemblance.

La Paix est une révolution. Les femmes n’ont jamais eu peur de la Paix. Nous la négocions à tout instant dans nos vies quotidiennes. Quand nous faisons une révolution, c’est avec la puissance de notre sève et de nos racines.

Nous avons l’intelligence de ne pas verser une seule goutte de sang. Pourtant, nous changeons le monde en profondeur. Nous ne laissons rien d’intact derrière nous et tout est ouvert devant nous. Après notre passage, tout est transformé et le meilleur devient possible.

Nous avons le courage de la Paix. Nous savons que la Paix commence dans notre corps, dans notre cœur, dans notre cour. Nous savons aussi que la Paix n’est jamais signée une fois pour toutes. La Paix est un rituel de renaissance qui se signe à chaque jour.

La Paix n’est pas un arrêt du temps et de l’Histoire, ni un long fleuve tranquille, ni un illusoire retour au Paradis terrestre. La Paix est une évolution exigeante qui ne cherche le repos que dans la marche constante et obstinée vers l’égalité de tous les êtres vivants.

Le véritable progrès ne peut s’accomplir que dans la Paix et le respect des vivants et de leur environnement terrestre et spirituel. La Paix est une réponse à toutes les blessures infligées à notre dignité, jour après jour. La Paix est la condition de notre guérison.

Nous, femmes du Québec et d’Amérique, femmes rouges, noires et blanches, femmes du monde, du présent et du futur, femmes du XXIe siècle, nous voulons avoir la conscience en Paix. Nous ne mettons pas au monde des races, des prédateurs et de la chair à missiles. Nous donnons au monde des enfants de sang, de chair, de lait et d’amour.

Nous ne savons pas ériger de frontières. Nous portons la Paix dans notre corps. Nous voulons la Paix dans nos couples, dans nos familles, dans nos quartiers, dans nos villes, dans nos territoires, dans nos pays, sur notre continent, sur notre planète. Nous sommes debout face à la nuit. Les siècles traversent notre lumière.

La Terre est notre corps, le feu est notre esprit. Nous sommes fortes, nous savons transmettre, nous ne mourrons jamais. La Terre est vivante, nous ne faisons qu’une avec elle, sous le soleil et sous la lune. La Paix soit avec nous.

Rêvons d’une aube tranquille. Rêvons d’un peuple des femmes qui marche avec ses rêves au son de son cœur tambour. Nous voulons, avec la tendresse des outardes, nous prendre aux pièges des douceurs boréales, avec des gestes de peau tannée, raclée, séchée. mâchée, peinte en couleur terre d’ombre brûlée, à mains nues.

Rêvons d’arracher les ronces en terre de Caïn pour y planter un jardin d’enfants. Nous voulons entendre les rires de nos enfants, comme les éclats colorés de leur plaisir. Les enfants de demain seront à notre image, ils répéteront nos gestes et nos mots. Ils seront fidèles à nos blessures et à nos bonheurs possibles.

Virginia Pésémapéo-Bordeleau
Hélène Pedneault
Juillet 2001