DES FEMMES PRÊTRES OU DIACRES

DES FEMMES PRÊTRES OU DIACRES

Pauline Jacob, Montréal

Intérieurement, je sens cet appel et personne ne pourra m’enlever ce sentiment intérieur, cet intouchable.   — Une Québécoise.

Au Québec, comme ailleurs, de nombreuses femmes affirment ressentir un appel à la prêtrise ou au diaconat. Si une sorte de pudeur les retient de le manifester publiquement à travers des gestes d’éclat, elles n’en sont pas moins actives dans l’Église du Québec. Au cours des dix dernières années, j’ai rencontré plusieurs d’entre elles. Certaines ont accepté de lever le voile sur ce qu’elles vivaient et de partager leur cheminement vocationnel. J’ai pu étudier comment se manifeste leur appel1 et comment elles le discernent2. J’ai longuement analysé leur discours de même que celui des membres de leur communauté et je peux affirmer que leur appel se situe dans la ligne la plus pure de ce que la grande Tradition nous a légué concernant la vocation chrétienne et les ministères ordonnés. Ces années de recherche m’ont convaincue de l’authenticité du discernement spirituel qu’elles se sont donné, seules, puisqu’on les refuse dans les grands séminaires. Elles m’ont également permis de cerner toute la richesse que ces femmes pourraient apporter à l’Église comme prêtres ou diacres. Je m’arrêterai ici au type d’animation qu’elles exercent déjà dans les communautés chrétiennes, à l’intégration de l’identité de prêtre ou de diacre qu’elles réalisent avec simplicité et équilibre, puis à l’impact qu’auraient des femmes prêtres en tant que représentantes du Christ.

Une manière différente d’animer la communauté

Inspirée par Lavinia Byrne dans ses réflexions sur l’apport des femmes aux communautés dont elles seraient les pasteures officielles, je centrerai leurs contributions autour de deux axes, soit l’alimentation entendue dans un sens large et l’investissement dans la croissance des personnes. Fournir la nourriture matérielle, psychologique, spirituelle et intellectuelle est un rôle reconnu traditionnellement aux femmes. Comme l’illustre abondamment ma recherche, les femmes en ministère, même non ordonnées, exploitent déjà dans leur communauté cette fonction nourricière, partie intégrante du travail pastoral du prêtre ou du diacre. Elles se soucient du bien-être de chacune et de chacun en investissant du temps pour écouter, réconforter celles et ceux qui en ont besoin, prendre soin des personnes. Elles se préoccupent également d’apporter une nourriture spirituelle et intellectuelle adéquate en lien avec leurs besoins réels. Le peuple de Dieu/e a faim d’un contenu de foi substantiel et renouvelé et c’est ce que les femmes s’efforcent de leur fournir. Elles s’investissent également dans la croissance des gens, dans l’actualisation de leurs forces et dans la capacité d’une prise en charge réelle des communautés par elles-mêmes. Reconnaître les femmes comme prêtres ou diacres, c’est reconnaître leur contribution remarquable à la vie des communautés et des individus qui la composent à travers le service de la parole, du leadership et de l’unité, pôles majeurs des ministères ordonnés. Écoutons quelques témoignages tirés de ma recherche :

Je crois qu’elle serait un très bon prêtre ou diacre parce qu’en premier lieu elle est une très grande amoureuse de l’être humain tout en privilégiant une relation profonde avec Dieu… Elle est à l’écoute de ce que vivent les gens et tente de leur transmettre l’amour de Dieu. Elle n’essaie pas de les changer, elle essaie plutôt de faire entrer cette force suprême dans leur vie. Elle ne brusque rien, elle s’offre comme guide en partageant sa foi dans les moments concrets de la vie où ses moteurs sont le respect, l’entraide et l’amour.

Elle a les mots qui touchent le cœur quand elle parle de Dieu.

Elle m’a donné le goût de m’impliquer dans la paroisse, ce que je n’avais jamais fait auparavant. J’ai alors travaillé pour le baptême, l’initiation sacramentelle et je suis devenue marguillière. Je suis passée par toutes les étapes de bénévolat dans la paroisse.

Ces façons de faire, ces manières d’être transforment peu à peu les modèles sclérosés encore trop souvent en place dans notre Église. Des collègues prêtres le reconnaissent déjà. L’un d’eux, interrogé pour ma recherche, s’exprime ainsi :

Elle sait inculturer la Parole de Dieu, la dire dans des mots d’aujourd’hui. Elle sait exercer un « leadership » partenarial favorisant la prise en charge de la mission par les baptisé(e)s… Elle est une bonne rassembleuse. Elle exerce bien la fonction de présidence d’assemblée. Elle est soucieuse de composer avec les personnes en place ; elle est à l’affût des charismes dans sa communauté… Si la prêtrise égale l’exercice du « leadership », elle a ce qu’il faut. Je parle dans le sens d’une prêtrise renouvelée et non dans le sens de reproduire le modèle patriarcal et pyramidal.

Mais si ces femmes arrivent à vivre leurs engagements avec une telle aisance, c’est qu’elles possèdent déjà les charismes qui feraient d’elles de bonnes pasteures. Quand les autorités ecclésiales entendront-elles les innombrables témoignages en provenance des communautés ?

L’intégration de leur fonction ministérielle

Des femmes sont prêtes à devenir prêtres ou diacres. Plusieurs vivent déjà ces fonctions sans en avoir ni le titre ni la reconnaissance officielle. Mais reconnues par leurs communautés, elles arrivent en quelque sorte à intégrer l’identité même de prêtre ou de diacre et, mieux encore, à la renouveler pour mieux la vivre à leur façon. Cet élément m’apparaît important puisqu’il a un impact tant sur la vie des femmes que sur la perception des communautés en ce qui concerne le rôle de pasteure qui doit guider plutôt que contraindre. Donnons-leur à nouveau la parole :

Dans les célébrations particulièrement « eucharistiques » auxquelles je participais et participe aujourd’hui, je me sens « concélébrante ». Lorsque j’anime une liturgie de la Parole, je me sens présidente de l’assemblée comme prêtre et ça je le porte en moi depuis toujours. J’ai enfin compris à travers le ministère de la santé que je suis prêtre missionnaire et cet appel, je l’ai touché et rencontré. Je ne suis pas ordonnée officiellement, mais je le vis profondément. Je me sais et sens pasteure « ordonnée » avec la non-reconnaissance  et les difficultés que cela apporte et ses joies également.

Dans mon for intérieur, je me sens Pasteure Prêtre ; je le suis … sans pourtant la reconnaissance et la liberté que cette reconnaissance pourrait apporter dans un « plus Agir »… J’ai la conviction profonde que je suis Pasteure, plus que bien des prêtres ordonnés. Le Seigneur me donne cette certitude intérieure, Source de Joie intense… J’ai le Cadeau de croire à mon ministère même s’il n’est pas sanctionné officiellement.

Cette perception qu’elles ont d’elles-mêmes, nul ne peut la changer. Des femmes prêtres enrichiraient l’image du Christ dans nos communautés.

Une représentation christologique transformante

Voir une femme présider l’eucharistie est déstabilisant. Nombreuses sont celles qui font un semblable constat parmi les personnes qui participent à des eucharisties présidées par des femmes ordonnées de tradition anglicane. Le choc est parfois brutal : la présidence de l’eucharistie par une femme vient changer l’image intériorisée de notre représentation du Christ. Cette nouvelle représentation ébranle d’une part l’image reçue de la divinité et, d’autre part, remet radicalement en question celle trop souvent réductrice de la femme telle que transmise par la culture chrétienne. Elle traduit en gestes concrets la force, l’originalité et la profondeur d’un pastorat féminin. Elle accorde une valeur au corps des femmes qui devient ici digne du sacré. Elle envoie à l’humanité un message clair d’égalité entre les femmes et les hommes, un message dans la ligne de l’Évangile. Voilà pourquoi la représentation du Christ par des femmes telle qu’on la voit déjà à l’œuvre dans l’Église anglicane serait enrichissante et transformante pour l’Église catholique.

Conclusion

Ordonner des femmes ne changerait pas l’Église de façon foudroyante mais ce geste ouvrirait une porte. Il inciterait à comprendre différemment l’incarnation, inviterait à être prêtre différemment, à écouter ce que l’Esprit suggère de façon à éviter la fixation de modèles. Il permettrait de concrétiser à travers une représentation réelle l’égalité des filles et des fils de Dieu/e. L’avènement de femmes ministres de l’eucharistie risquerait de transformer les rassemblements eucharistiques traditionnels, répondrait davantage à l’esprit de liberté vécu par Jésus de Nazareth et ouvrirait la porte à celles et ceux qui se sont éloignés de l’Église à cause de certaines pratiques discriminatoires et sexistes. L’expérience des Églises sœurs qui ont intégré les femmes dans l’ensemble des ministères évoque la richesse de cette évolution, sinon de cette révolution, et invite à aller plus loin. Qu’attend notre Église pour s’en inspirer ? Et comme l’expriment les femmes interviewées :

Pourquoi l’Esprit Saint n’appellerait-il pas des femmes ? 

Dieu n’appelle pas un « sexe », il appelle une « personne » quelle que soit sa race, sa couleur, son identité ou son sexe.

1. Jacob, P. (1998). Et si Dieu appelait aussi des femmes à la prêtrise et au diaconat. Mémoire de maîtrise inédit, Université de Montréal, Montréal.
2. J’ai déposé une thèse sur le sujet à la faculté des études supérieures de l’Université de Montréal, le 15 juin 2006.