Dossier De Jean-Paul II à Benoît XVI

CAROL WOJTILA
De l’homme spirituel au Pape restaurateur
Louise Melançon*, Myriam

En vivant les événements de l’agonie, de la mort et des funérailles de Jean-Paul II, à l’écran, je me suis unie à tous ceux et celles qui, sur la place Saint-Pierre ou ailleurs dans le monde, reconnaissaient la personnalité et le rôle exceptionnels de ce Saint-Père.
Mais je me suis sentie profondément déchirée, comme lors de sa visite au Canada, en 1984, entre l’homme “attirant” et celui qui ne reconnaissait pas le mouvement des femmes dans l’Église, et le féminisme. Toutes ces images de ses gestes de bonté et de tendresse pour les enfants, les malades, les handicapés… et celles de sa résistance aux paroles des femmes, même quand elles venaient de religieuses, comme à Moncton : cela m’a rendue malade. Ne pas se sentir reconnue par qui l’on aime… Je sais maintenant que je le “prenais personnel”, parce que j’étais déjà très blessée à ce niveau.
À l’occasion de sa mort, la peine est revenue aussi grande : d’autant plus que durant ces dernières années, et jusqu’à la fin, j’ai été parmi les personnes qui admiraient le courage de cet homme aux prises avec la maladie mais qui continuait d’accomplir ce qu’il considérait comme sa mission, malgré le déclin de ses forces, ses handicaps et souffrances. Son témoignage, comme celui de Jésus de Nazareth, d’aller jusqu’au bout, me rejoignait dans ma foi comme dans ma vie personnelle, et celle de personnes démunies et blessées de mon entourage.
Après avoir lu sa biographie, et plein d’articles sur cet impressionnant Carol Wojtila, j’ai appris à mieux comprendre l’homme, le croyant et le “chef” de l’Église catholique qu’il a été. J’ai pu mieux identifier ses limites et les relier à son histoire personnelle, à celle de sa patrie, la Pologne, au contexte politique dans lequel il a vécu et à la position culturelle spéciale qu’il a prise, ainsi qu’à son vécu ‘’d’homme d’Église” dans un contexte romain, à une époque tellement bouleversée par d’immenses changements. Je retiens, et je veux lui en rendre hommage, le courage de l’enfant, du jeune homme, de l’homme, passant à travers tant d’épreuves, la grandeur de l’homme d’une foi tenace et d’une espérance joyeuse, l’homme spirituel, avec une forte coloration mystique, l’homme de prière, l’homme qui a mis ses talents de communicateur, d’acteur, de poète, au service de sa mission. J’ai reconnu la solidité de sa pensée de philosophe, ancrée sur un personnalisme qui l’amena à défendre le caractère inviolable de la personne humaine, et les “droits humains”. J’ai lu avec bonheur son encyclique sur la souffrance, ou celle sur le travail. J’ai compris qu’à travers sa dévotion mariale, il faisait une grande place au “féminin” dans une institution pourtant si masculine, et patriarcale. J’ai aimé le “pasteur” qui a été si proche des jeunes, et cela depuis son ordination sacerdotale, au point de vivre ainsi une partie du “séculier” qui pourtant était plutôt absent de sa position théologique. Et j’ai suivi avec plaisir son ouverture sur les autres religions, comme son intérêt profond pour toute l’humanité et sa promotion de la paix.
On a dit de lui qu’il était un homme de paradoxes, ou de contradictions… Pouvait-il en être autrement ? avec une telle personnalité, riche et complexe ? Mais comme théologienne, et féministe, je regrette, maintenant avec plus de peine que de colère, sa lecture fondamentaliste ou traditionaliste des Écritures, son ignorance ou son rejet des aspects positifs de la modernité, son appartenance à des mouvements “conservateurs” du catholicisme, son manque d’écoute et d’ouverture aux mouvements de libération, et surtout à celui des théologies de la libération. Car, ces traits du Pape Jean-Paul II l’ont empêché d’appuyer et de guider les théologiens et théologiennes consacrées à l’inculturation de la foi dans le monde actuel, d’aller plus loin dans la confiance donnée aux laïcs, ce qui lui était cher pourtant, et d’être à côté de ceux et celles qui travaillaient pour les pauvres, dans divers pays, au lieu de les réprimander, comme il le fit au Nicaragua. Ces limites ont aussi empêché “son amour des femmes’ de s’étendre à celles qui, tout en l’interpellant, auraient apporté un dialogue enrichissant pour toutes les Églises. Et finalement, j’ai appris avec incompréhension qu’il était, depuis longtemps, proche de l’Opus Dei… Et quelles en seront les conséquences pour l’Église à venir ?… j’en tremble… j’ai peur ! Pourtant, j’avais bien entendu, lors de ses premières paroles comme Pape : “N’ayez pas peur !”… Que la grandeur de la foi de cet homme spirituel que j’admire me permette d’espérer !