DU SEXISME DES FEMMES •••

DU SEXISME DES FEMMES •••

Est-il possible d’être femme et plus sexiste que les hommes ? La question n’est pas si mal posée •••, du moins si on en juge par l’étude révélatrice qu’a menée Lise Dunnigan sur les stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires au Québec.* Cette étude finit par ne pas exclure que certaines femmes « soient encore plus sexistes que les hommes ». Elle souligne que certains auteurs féminins insistent davantage sur le rôle de la femme comme « cuisinière », comme « mère », bref comme « reine du foyer » ! Comment expliquer cela ? Je voudrais tenter d’apporter quelques pistes susceptibles de nous aider à comprendre le comportement de ces femmes, à percevoir ce qui les amène à propager des images perçues comme discriminatoires par des observateurs tant masculins que féminins. Nous ferons donc un peu de psychologie •••

A mon avis, il faut chercher la première explication dans la crainte du changement, qui n’est que le revers d’ur1e recherche de sécurité. Il est très connu en effet que le changement soulève avec lui toutes sortes de difficultés, qui sont autant de menaces à la sécurité. Ce qui est existant, connu, familier, reconnu, accepté, est plus sécurisant que l’inconnu, l’étrange, le nouveau, le non-accrédité.. Chacun a ses expériences à cet égard : qu’on songe, par exemple à l’hésitation qu’on a à fournir les premiers spécimens d’une nouvelle mode vestimentaire, etc. ; on préfère sacrifier ses goûts, voire même son confort, pour que son apparence ne « jure » pas devant la gale- rie !

Ainsi ces auteurs, femmes sexistes, ne s’empressent pas d’abandonner des modèles qui représentent la sécurité générale des femmes, et peut-être même leur propre sécurité : ces modèles ont l’avantage de déterminer clairement, précisément, leur rôle et leur fonction dans l’ensemble de l’organisation sociale (religieuse, familiale, commerciale, etc.). Il n’y a donc plus à s’angoisser de savoir comment je vais organiser ma vie, quel rôle je dois jouer, quelle profession j’exercerai, etc. Du même coup se trouvé réglé le problème de savoir comment je suis intégralement femme : les mêmes modèles suggèrent la réponse, et l’imposent, allant même jusqu’à confier aux hommes le soin de les réviser. C’est toute cette influence qu’exerce la sécurisation des modèles sociaux, tels qu’ils se reflètent dans les illustrations de nos manuels ·scolaires ..

De penser que la « simple » peur du changement soit à l’origine d’attitudes sexistes n’est pas de nature à rassurer qui que ce soit. Il s’ensuit en effet que le sexisme n’est pas l’aboutissement d’une réflexion profonde ; que ces perceptions du rôle de la femme ne tiennent pas tant d’une philosophie bien pensée, d’une théologie bien méditée, d’une morale bien engagée, mais plutôt d’ur1e méprisable peur du changement, d’une recherche peu courageuse de la sécurité ••• Il est plutôt désolant de penser que ce qui est pensé n’est pas le fruit de la pensée !

Cependant l’insécurité n’est pas la seule explication possible. On peut aussi ajouter la crainte de l’intimidation dont sont spécialement victimes les femmes qui ont des tendances féministes. C’est à elles que s’appliquent maintenant un autre répertoire de stéréotypes qui les qualifient de « braillardes », de « chialeuses », de « plaignardes », d »‘activistes », de « fêlées », de « sautées », etc. Ces étiquettes, violemment haineuses, ne sont pas sans produire l’effet qu’elles recherchent, c’est-à-dire d’intimider carrément les femmes qui, d’autre part, ont assez de maturité pour souhaiter la promotion de leur condition, mais qui ne sont pas prêtes à livrer des guerres qui les affublent de qualificatifs aussi méprisants et cruels. En tout cas, plusieurs fuiront pour ce motif les responsabilités de tout organisme féministe.

Reste encore le cas de celles qui gagnent leur pain dans des métiers sexistes : on ne peut quand même pas s’attendre à ce qu’elles mordent la main qui les nourrit. Et si les manuels qui se vendent sont sexistes, c’est ceux-là qu’on écrira, tout comme d ‘autres femmes n’abandonneront pas leur lucrative « carrière » de strip-teaseuse, ou de vedette sexée, 0u de poupée publicitaire, etc. Le bénéfice direct du revenu monétaire laisse peu de place à la réflexion sur la promotion des métiers féminins qui sont une exploitation sexiste : il n’est guère plus réjouissant de songer aux facteurs d’entrainement que représente cette situation car il y a des milliers de petites québécoises qui rêvent déjà de la gloire et de la fortune que promettent les arts du spectacle, la publicité, etc., aux femmes qui acceptent de vendre leur sexe comme un objet.

Voilà donc _ quelques-uns des facteurs qui peuvent expliquer, parmi .beaucoup d’autres sans doute, que certaines femmes soient plus sexistes que les hommes. Il ne s’agissait d’ailleurs pas de faire inventaire complet, mais de susciter, une fois de plus , une prise de conscience, qui est, comme on dit souvent , la moitié de la solution d’un problème. On ne sait jamais : à force de répéter et d’illustrer, il pourrait bien se produire des changements qui délogent, au moins chez les femmes, un sexisme outrageant !

Sherbrooke Denise Cloutier

* DUNNIGAN, Lise, Analyse des stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires au Québec. Conseil du statut de la femme. 2 éd revue et corrigée. Editeur officiel du Québec, septembre 1976, 188 p.