ETRE FECONDE IL Y EUT UN SOIR … IL Y EUT UN MATIN …

ÊTRE FÉCONDE

par Réjeanne Martin

IL Y EUT UN TEMPS

où parler de fécondité équivalait à parler de fécondité physique.

où le pouvoir de la femme semblait être limité à faire des enfants.

où le royaume de l’intervention féminine, croyait-on, était délimité par les murs de la maison.

où l’éloge de la mère de famille servait de diadème aux femmes mariées.

EN CE TEMPS-LA …

on vantait la fécondité spirituelle des religieuses, glorifiant ainsi la virginité consacrée d’un surcroît de grâce,

on semait le mépris sur le célibat des femmes que tous appelaient « les vieilles filles », à moins que ces femmes n’aient décidé de vivre célibataires pour quelque grande cause, comme élever des orphelins, prendre soin de parents malades ; ce qui les apparentait d’une certaine façon aux vierges consacrées.

EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ …

des discours d’hommes avaient réussi à dresser deux ensembles exclusifs l’un de l’autre : celui de la maternité physique et celui de la maternité spirituelle.

Tour de magie qui marque encore de nos jours certaines déclarations officielles de nos évêques. notre prochain numéro : LE POUVOIR DANS L’ÉGLISE

IL Y EUT UN SOIR … IL Y EUT UN MATIN …

Durant cette nuit apparut la grande lueur du mouvement féministe. Tel un soleil, la lueur devint lumière sur toute la terre. Les barrières se mirent à fondre. Aussitôt la parole, l’écriture, la réflexion des femmes redonnèrent à toutes les femmes la plénitude de leurs diverses fécondités.

En effet, des femmes relisent l’histoire de nos mères et y découvrent des fécondités insoupçonnées. Pensons au rôle actif de toutes celles qui ont permis, d’une façon ou d’une autre, que des entreprises agricoles, domestiques ou autres, réussissent grâce à leur présence créatrice. Courbées sous le poids de nombreuses naissances et malgré l’accaparement des tâches familiales, le courage et la persévérance de nos mères ont finalement ouvert les voies à de nouvelles fécondités. Leurs aspirations, proclamées par certaines d’entre elles, ont donné naissance aux solidarités actuelles que nous nommons avec fierté « le mouvement des femmes ».

Grâce à l’acharnement dynamique de tant et tant de femmes, il est acquis, pour nous en tout cas, que la fécondité physique marque, non pas la fin, mais le début de tout un processus qui consiste essentiellement dans le va-et-vient de l’accueil et du don.

En ce sens il y a la merveilleuse fécondité physique. DONNER LA VIE, c’est nécessairement ACCUEILLIR UNE AUTRE VIE. Dès lors, c’est transmettre plus qu’une vie physiologique. C’est, pour très longtemps, transmettre une vie spirituelle, faite de choix multiples toujours colorés de convictions non transigeables.

A cette fécondité ne faut-il pas ajouter les mille et une autres qu’on reconnaît maintenant aux femmes. Les champs de l’éducation et des oeuvres sociales ne sont plus l’apanage des « mères spirituelles » que furent jadis les religieuses. Aujourd’hui, sur ces mêmes terrains, les religieuses apprennent, avec les autres femmes, à vivre en mères égales et solidaires. Combien de nouveaux espaces et lieux d’implications se donnent les femmes : comme les lieux d’interventions politiques économiques, administratifs, syndicaux … Combien d’autres terrains de solidarité dans les milieux de travail, en médecine dans les organisations populaires, culturelles, dans leur quartier de vie quotidienne … Il n’y a qu’à regarder où les femmes de notre mouvement ont les pieds pour se rendre compte de la diversité et de la riche promesse de nos enfantements.

Mais hélas ! faut-il le souligner, il reste un lieu où nos fécondités de femmes demeurent niées. Ce mépris pèse encore sur nous dans l’Eglise ; et bien des femmes en sont complices ou par leur silence ou par leur ignorance réelle ou feinte à cause de la peur sans doute … Pourtant, – et c’est là la force de notre espérance -, la douleur de nos distances, la souffrance de nos ruptures, le cri vivant de nos revendications, sont en train de donner naissance à une Eglise d’un autre modèle. Oui, notre persévérance à vouloir vivre en disciples fidèles à la pratique fondamentale de l’Evangile, pratique de libération et de justice, parle déjà plus fort que tous les discours tenus par les représentants d’une Eglise strictement et séculairement masculine.

IL EXISTE DONC CE JOUR SANS DÉCLIN …

… où chacune de nous – mère ou pas – peut sans métaphore parler de sa fécondité. Je suis féconde, et ma fécondité porte la marque de toutes les expériences dont j’ai été « grosse » et dont j’ai « accouché » ; de toutes ces expériences qui sont devenues « mon corps et mon sang » et, par le fait même, « le corps et le sang de Jésus » ; de toutes ces expériences qui m’ont faite ce que je suis et ce que je continue de devenir. Je suis féconde aussi de la vie que je donne. Je « fais des petits » chaque fois que, à mon contact professionnel et interpersonnel, une autre personne grandit, s’ouvre à une dimension nouvelle de son être. Cette transsubstantiation se réalise quand j’accepte d’aller au-delà de mon écorce professionnelle et personnelle ; quand je me laisse nourrir par la vie des autres ; quand je consacre du temps à créer des solidarités et à me faire solidaire.

… Etre féconde, c’est à la fois naître et faire naître.

… C’est de cette façon que nous, femmes, nous voulons vivre en Église et faire Église …

… C’est cette multiple fécondité que nous apprenons à célébrer chaque fois que nous avons l’audace soutenue par notre foi de réinventer entre nous la célébration du corps et du sang de Jésus.

… Ce sont nos fécondités diverses que consacre la Parole de Jésus dite à tant de femmes de son temps : « Ta foi t’a sauvée ». Parole doublée par une leçon aux « hommes religieux » de son temps qui n’en croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles : « En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé de si grande foi en Israël ».