FEMMES-OBJETS DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE DU QUÉBEC POUR COMBIEN DE TEMPS ?

FEMMES-OBJETS DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE DU QUÉBEC POUR COMBIEN DE TEMPS ?

Monique Massé a produit, sous ce titre, une recherche réalisée en 1994 dans le cadre de ses travaux de maîtrise à l’Université Laval à Québec. Le comité de rédaction de L’autre Parole a pensé que ce travail de recherche pourrait alimenter la réflexion de ses lectrices et même servir d’outil pédagogique pour les femmes désireuses de faire advenir le changement dans le monde ecclésial. C’est pourquoi le document de Monique a été retenu pour les fins de publication dans le présent numéro. Il mérite en effet d’être diffusé.

Le texte comporte sept sections. L’auteure situe d’abord sa réflexion dans un cadre de référence théorique et féministe, puis elle se présente : elle est membre d’une communauté religieuse, du collectif L’autre Parole et engagée dans une association de religieuses vouée à la promotion des femmes. Elle est de plus animatrice de pastorale en milieu paroissial.

Ce que Monique nous propose ici c’est à la fois un outil pédagogique et le récit d’une démarche de conscientisation poursuivie avec d’autres femmes – démarche émaillée de comptes rendus de faits d’actualité et d’outils conceptuels éclairants pour la compréhension du sujet qu’elle traite. Elle souhaite donner aux femmes engagées en Église le goût de se découvrir des solidarités et des audaces. Elle entrouvre une fenêtre sur des alternatives à l’expression de leur foi à partir de leurs expériences propres.

1 Introduction

L’origine patriarcale de l’Église catholique et son visage misogyne ne sont plus à démontrer. De nombreuses analyses féministes effectuées par des historiennes, des anthropologues, des exégètes et des théologiennes depuis plus de vingt ans ont fait la preuve que si beaucoup de choses semblent changer dans cette Institution, en réalité, rien ne change vraiment dans les rouages cachés du système. Plus les femmes occupent de place dans l’Église catholique, plus le système qui les opprime a des chances de durer. Si la subtilité du discours officiel des membres de la hiérarchie masculine réussit à maintenir l’ambiguïté de la situation, la pratique, elle, commence à questionner les plus impliquées parmi les femmes.

Membre depuis quarante ans d’une communauté religieuse préoccupée de la dignité des femmes, j’ai consacré vingt ans à l’éducation des filles et quinze ans en animation pastorale en paroisse. Actuellement je milite dans L’autre Parole et dans l’Association des religieuses pour la promotion des femmes. Ce vécu m’a particulièrement et personnellement sensibilisée à tout ce qui est opprimant pour les femmes dans tous les domaines, spécialement dans celui qui se veut « promesse de libération » : le champ de la religion, de la spiritualité et de l’engagement pastoral.

Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes engagées1 activement dans l’Église catholique du Québec vivent un malaise qu’elles parviennent parfois à nommer mais dont les véritables causes leur échappent. D’autres, engagées dans des fonctions importantes de la pastorale, perçoivent les rouages boiteux de l’Institution mais sont trop « imbriquées » dans le système pour pouvoir poser un regard global critique sur l’ensemble. Pourtant plusieurs écrits féministes percutants circulent depuis plus de vingt ans dans nos milieux. Ces femmes y ont-elles accès ? S’en nourrissent-elles ? On dirait que tout leur temps, leurs énergies, leurs forces vives, concentrées – inconsciemment la plupart du temps – sur l’entretien des services et la reproduction du système, les empêchent de s’arrêter pour faire le point avec d’autres femmes vivant la même expérience. Celles qui ont décroché demeurent en recherche d’alternatives pour combler leur besoin existentiel de spiritualité.

À partir de ces constats, il m’est apparu urgent d’éveiller, chez cette population, le goût d’aller explorer ce qui s’est écrit par les femmes depuis les deux dernières décennies, d’y découvrir des solidarités et des appuis afin de comprendre pourquoi l’Église catholique en est là dans sa façon de gérer le message évangélique. Ce travail pourra éventuellement permettre à ces femmes de prendre la distance nécessaire pour créer, avec d’autres femmes, des alternatives à l’expression de leur foi à partir de leurs expériences de femmes.

2. Récits de faits vécus

L’histoire qui suit est réelle. Mais afin de respecter l’anonymat des femmes concernées, les noms utilisés dans ce récit sont fictifs.

Julie est répondante à la condition féminine du diocèse de l’Espoir depuis 1988. Comme sa devancière, elle a mis tout son coeur dans l’avancement de la cause qui lui apparaît clairement la voie de l’avenir pour l’Église catholique. Elle a réussi à regrouper d’autres femmes pour porter ce même dossier dans chacune des quatorze régions pastorales du diocèse où elle travaille. Plusieurs d’entre elles sont déjà éveillées aux situations d’injustice vécues par les femmes, en particulier en animation pastorale.

On se souvient qu’en 1984, le comité « ad hoc », nommé par la Conférence des Évêques catholiques canadiens pour analyser la situation des femmes dans l’Église, avait déposé à l’assemblée plénière des évêques son rapport comprenant douze recommandations et un dossier d’animation2. Après cette rencontre, chaque diocèse,avait nommé une femme responsable du dossier de la condition féminine. Cette ouverture des évêques canadiens au dialogue avec les femmes avait fait naître de grands espoirs. Deux ans plus tard, les évêques du Québec avaient accueilli à leur assemblée quatre-vingts femmes pour réfléchir avec elles sur « Le mouvement des femmes et l’Église ». Le débat avançait lentement, trop lentement pour celles qui avaient plusieurs longueurs d’avance sur l’épiscopat en matière de condition féminine. Mais, au moins, le dossier restait ouvert et les répondantes avaient l’appui des évêques.

Les animatrices du diocèse de l’Espoir s’étaient souvent rencontrées pour réfléchir sur la pertinence de leur engagement en Église. Elles avaient dépensé beaucoup d’énergies bénévolement à la conscientisation des femmes impliquées dans l’animation pastorale paroissiale. Ensemble, elles nourrissaient l’espoir que la pleine égalité des femmes et des hommes serait un jour reconnue dans l’Église. C’est sur cette toile de fond aux couleurs d’espérance qu’est venue se jouer la tragédie de leur désenchantement.

Le 31 mai 1994, Jean-Paul II publie la lettre apostolique : Ordinatio saoerdotalis3. Il y déclare : « L’Église a toujours reconnu comme norme douze hommes dont il a fait les fondements de son Église (…) Afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine de l’Église, je déclare que l’Église n’a, en aucune manière, le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église. »

C’est la consternation parmi le personnel féminin ecclésial. Julie et ses associées vivent des instants de profonde désillusion. Déçues d’avoir été trompées, elles questionnent leur appartenance au réseau des répondantes à la condition féminine et leur appartenance à l’Église : « Continuerons-nous à nous épuiser pour réaliser, en fin de compte, que nous contribuons à entretenir et à reproduire le système qui nous opprime nous et nos soeurs ? Irons-nous rejoindre les rangs de celles qui se sont affranchies de toutes ces contraintes aliénantes pour enfin vivre la liberté des filles de Dieu promise par Jésus ?

C’est avec ces questionnements que Julie m’est arrivée le soir du 31 mai. Je sentais, dans son expression, un vibrant appel au secours. Derrière elle, se profilaient toutes celles qui ressentent la douleur d’une prise de conscience soudaine, puis toutes les autres, encore nombreuses, qui vivent, à travers leurs engagements en Église, une oppression qu’elles sont impuissantes à affronter parce qu’elle leur est présentée comme intimement liée à leur fidélité à Dieu.

Pour analyser cet événement, j’ai senti le besoin de me reporter à quelques concepts féministes que je me propose de préciser ici.

3. Quelques concepts féministes

Notre vécu de femmes nous place devant cette réalité que nous avons été exclues du processus d’élaboration des formes politiques et religieuses de notre société, lesquelles ont été faites par des hommes à partir du point de vue des hommes seuls. Les discours masculins sur les femmes ainsi que leurs pratiques ont ignoré leur point de vue à elles, les réduisant à l’état d’objets d’étude, d’objets d’analyse en môme temps qu’objets de production pour l’entretien quotidien des hommes qui les ont gardées loin des lieux de pouvoir, de la pensée et de la créativité. C’est ce qui faisait dire à Dorothy Smith : « La femme reste objet parce que sur le plan social, politique et économique, nous avons été maintenues à l’extérieur de l’appareil du pouvoir et de l’organisation idéologique »4.

C’est dans cette perspective que nous utilisons l’expression femme-objet, sachant que l’Église catholique elle-même n’a pas échappé à cette appropriation des femmes comme objets, au nom de la volonté de Dieu 

Le concept d’Église patriarcale

Le patriarcat est un système hautement hiérarchisé par le sexisme, le racisme et le classisme dans lequel les dominants ont accepté, comme normes, les valeurs prônées par l’élite dominante. Le patriarcat a plusieurs millénaires d’existence malgré les nombreux mouvements de résistance qui ont tenté de retarder son évolution à travers les siècles. Elisabeth Schûssler-Fiorenza, historienne et théologienne féministe américaine d’origine allemande, consacre un long chapitre de son ouvrage En mémoire d’elle pour expliquer le processus de patriarcalisation de l’Église.

Dans le mouvement chrétien primitif, tous les membres, femmes et hommes, avaient reçu le pouvoir et les dons de l’Esprit-Saint en vue de la construction de la communauté. En principe, toutes et tous avaient accès au pouvoir spirituel, à des rôles et à des responsabilités communautaires. Mais le mouvement missionnaire de Paul a dû composer avec les structures patriarcales de la société gréco-romaine de domination et de soumission. Cela a entraîné la transformation progressive de l’autorité charismatique des débuts en autorité de pouvoir et de prise de décisions qui s’est vite retrouvée entre les mains des mâles6.

Encore aujourd’hui, l’Église offre le visage d’une institution qui promeut les règles d’exclusion fondées sur le sexe et pratique la discrimination à tous les paliers de son organisation.

Le concept d’Église misogyne

Benoîte Groulx, écrivaine française bien connue, parie de la misogynie comme d’un mépris absolu et sans faille du féminin. Dans l’introduction de son volume Cette mâle assurance, publié en 1993, elle écrit ce qui suit : « S’étant réservé le savoir et le pouvoir, et donc le prestige et l’autorité, (…) c’est en toute bonne conscience et avec une allègre détermination qu’ils allaient construire pierre à pierre l’édifice de leur suprématie, solidement étayé sur cette misogynie foncière qui est le pilier de toute société patriarcale »7. Faut-il alors s’étonner que sur deux mille citations misogynes tirées d’oeuvres masculines célèbres couvrant plusieurs siècles, cent six soient signées par des religieux, des papes, des évêques et des saints, canonisés par surcroît ?

Dans l’Église d’aujourd’hui, la misogynie prend des formes plus subtiles et plus raffinées. Elle cache mal une peur chronique des femmes sous une affirmation qui n’en finit plus d’essayer de justifier leur exclusion ; elle n’en est pas moins la preuve réelle des préjugés méprisants et destructeurs qui guident encore les décisions contrôlantes de la hiérarchie catholique au sujet des femmes.

4. Le discours de l’institution catholique sur les femmes

Que l’Église catholique traite les femmes en objets, c’est-à-dire qu’elle les maintienne en dehors de l’appareil du pouvoir, de la pensée et de l’organisation théologique, il suffit pour s’en convaincre de scruter des extraits de quelques discours officiels en provenance de Rome.

Le 15 octobre 1976, le pape Paul VI signait la déclaration apostolique Inter Insignores8produite par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Cette déclaration venait confirmer la non-admission des femmes au sacerdoce ministériel. Un des arguments majeurs évoqués était en rapport avec le sexe biologique : « Le Christ est l’Époux de l’Église (…) le salut qu’il apporte est la nouvelle alliance ; utilisant ce langage, la Révélation dévoile pourquoi l’Incarnation s’est réalisée selon le sexe masculin. (…) Pour cette raison, seul un homme peut tenir le rôle du Christ »9.

Cet argument de ressemblance physique avec le Christ comme condition pour être signe de sa présence au coeur de l’Eucharistie entre en contradiction avec la théologie du baptême qui consacre l’égalité des personnes dans le Christ. Des propos comme « Le prêtre tient le rôle du Christ au point d’être son image même, lorsqu’il prononce les paroles de la consécration » ou « C’est parce qu’il est signe du Christ Sauveur que le prêtre doit être un homme et ne peut être une femme », n’ont plus la faveur des exégètes, des théologiennes et des théologiens d’après Vatican II. Dans un article percutant publié dans la revue Lumière et Vie en 1981, Marie-Jeanne Bérère10 commente longuement l’argumentation de Paul VI à partir de l’expérience et du point de vue des femmes : « Nous comprenons pourquoi ce discours du magistère, conduit par des images univoques de la prééminence du masculin, ne peut pas être reçu par un grand nombre de chrétiens, et parmi eux, par toute une part féminine de l’Église ».

Les progrès de l’exégèse et de la réflexion théologique se sont appliqués à démontrer, pendant la décennie qui a suivi cette déclaration pontificale, que toute cette argumentation pouvait être remise en question pour aboutir à la conclusion qu’aucun argument théologique ne pouvait justifier l’exclusion des femmes des fonctions ministérielles de l’Église. Pendant les douze années qui ont suivi la déclaration de Paul VI, la discussion s’est poursuivie dans l’Église et des femmes ont tenté de faire entendre leur point de vue.

Le 15 août 1988, le pape Jean-Paul II publiait sa lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la théologie de la femme. Le ton a changé, mais l’argumentation de base est la môme que celle de son prédécesseur. Les compromis faits dans le discours sur l’égalité fondamentale de l’homme et de la femme mettent davantage en relief la contradiction qui subsiste entre les paroles et la pratique ecdésiates11.

Lorsque paraît cette encyclique, la recherche théologique féministe est en plein essor. Une nouvelle manière de faire de la théologie à partir de l’expérience humaine entre dans les mentalités. Des femmes n’attendent pas la permission de Rome pour penser, théologiser et prier. Elles osent expérimenter cette liberté des filles de Dieu », établissant une nette démarcation entre le message libérateur de l’Évangile et celui du Magistère de l’Église, contrôlant et oppresseur.

Mais nous savons que le propre d’une organisation patriarcale est le refus de se laisser remettre en question. Quand on croit détenir la vérité dans toute sa splendeur », on cherche à la défendre à coup de déclarations autoritaires et dogmatiques. Comme la théologie féministe pose un regard critique sur l’Église et dénonce dans ses pratiques tout ce qui nuit à la dignité des femmes, elle demeure suspecte et dangereuse aux yeux de la hiérarchie. Les femmes sentent bien que leur point de vue est écarté dans toute prise de position officielle de la part de la hiérarchie mâle.

La Presse de la Cité du Vatican annonçait le 17 septembre 1994 que le Saint-Siège préparait un document sur le rôle des femmes dans la société contemporaine. Ce texte a été publié en vue de la tenue de la Conférence mondiale organisée par l’ONU à Beijing sur la condition féminine. Il synthétise les prises de position de l’Église catholique et les discours du pape sur ce sujet. Qui de nous a été consultée dans la préparation de ce dossier ?

Si une majorité de femmes n’accordent plus de crédit à ces discours dépassés et prennent en charge d’une façon autonome leur destinée humaine, il en est qui peuvent difficilement se soustraire à l’autorité papale. Ce sont celles qui sont vouées à l’obéissance par choix pour le Seigneur. Elles sont 80 000 dans le monde actuellement. En octobre 1994, se tenait à Rome un synode sur la vie consacrée. Je vous livre quelques « perles rares » du joyau patriarcal trouvées dans le document de travail préparé à cette occasion : « Les évêques sont appelés à discerner et à accompagner tout ce qui concerne les femmes consacrées, qui attendent avec confiance une parole efficace ». « C’est une chose vitale pour les Instituts que la fidélité à l’enseignement et à l’orientation que le Pontife romain, uni à tous les évêques, procure à l’Église : les consacrés, devant être dans l’Église des personnes-ressources pour (‘évangélisation, ne peuvent pas ne pas répandre ou ne pas se faire les témoins de l’enseignement authentique du Magistère. Le contraire conduirait les Instituts à perdre leur identité et leur rôle dans l’Église. C’est pour cette raison que les supérieurs doivent intervenir quand les membres de leur Institut mésestiment cette fidélité ». « Le Pontife suprême est le supérieur le plus élevé de tous les membres de la vie consacrée et de la vie apostolique, auquel chacun est tenu d’obéir en raison du lien sacré de l’obéissance. (…) Ce lien avec le Pontifie romain ne doit pas être considéré comme une limitation de la juste autonomie, mais au contraire comme une protection, en tant qu’elle est une garantie de leur universalité et de l’originalité de leur inspiration charismatique »12.

Sur les cent dix numéros de cet instrument de travail, deux seulement traitent de la condition féminine. Comme dans Mulieris dignitatem, la vocation de la femme est survalorisée et évaluée selon les normes masculines. Devant l’implication de plus en plus grande des femmes consacrées dans les luttes féministes, le document trouve le tour de passer un message qui en dit long sur sa perception du féminisme : « L’adhésion à des formes extrêmes du mouvement féministe actuel a, dans certains pays, entraîné une désorientation spirituelle »13.

Il n’en fallait pas tant pour comprendre qu’effectivement, comme le disait si bien Dorothy Smith dans sa définition du concept de femmes-objets, nous sommes toujours maintenues en dehors de l’appareil du pouvoir et de l’organisation idéologique. La hiérarchie catholique nous dit encore qui nous sommes, quels rôles nous devons jouer dans la société et dans l’Église, comment nous devons prier, aimer, servir et mourir.

Chez nous les discours de certains évêques se font plus conciliants. Ainsi, Mgr Robert Lebel, intervenant au synode des évêques à Rome le 14 octobre 1980, disait ceci : « L’état de soumission et d’oppression que subit la femme dans le monde est une situation de péché (…) donc une chose à corriger (…) par fidélité à la parole de Dieu, l’Église doit reconnaître comme un fait positif le mouvement féministe moderne. S’il y a un lieu où les appels à la libération de la femme doivent être entendus, c’est bien dans l’Église de Jésus-Christ, illuminée de la parole de Dieu »14.

Cette intervention qui remet en question la société, n’interroge cependant pas directement l’Église sur son attitude envers les femmes engagées dans l’Institution. Ce n’est que trois ans plus tard que Mgr Louis-Albert Vachon, propose au synode romain une démarche de réconciliation hommes/femmes à l’intérieur de l’Église. Il conclut ainsi son exposé : « Ces appels de l’Église au monde pour la promotion du statut des femmes n’auront bientôt plus d’impact, si ne se réalise parallèlement à l’intérieur de l’Église la reconnaissance effective des femmes comme membres à part entière »15. Cette démarche de réconciliation deviendra réalité – du moins en parole – en 1990, à l’occasion du cinquantenaire de l’obtention du droit de vote des femmes au Québec. À propos de l’allocution prononcée par Mgr Gilles Ouellet lors de la célébration, Marie-Andrée Roy écrit : « Cette allocution donne l’impression que tout est prêt à changer dans l’Église, qu’il existe un consensus chez les évêques en ce qui a trait à la reconnaissance de la pleine égalité des femmes et des hommes, pas uniquement devant Dieu mais à l’intérieur des structures ecclésiales également. Cette impression générale doit, à mon point de vue, être rectifiée »16.

Combien de femmes ressentent ces avancées et ces reculs qui les confinent encore aujourd’hui à leur état de subalternes et de servantes ? Comment y réagisse-telles ?

5. Des femmes prennent la parole

Les femmes qui militent depuis les années soixante-dix en faveur de la promotion des femmes dans l’Église perçoivent avec plus de lucidité les biais sexistes du discours officiel et l’écart grandissant entre les paroles et la pratique. Aujourd’hui comme hier, ces discours oppriment les femmes, les méprisent, déçoivent leurs attentes, créent chez elles de faux espoirs et nourrissent leur colère. Écoutons quelques témoignages.

Les théologiennes féministes sont lucides et leurs écrits éveillent notre perception de la réalité : « Les femmes qui se croient égales aux hommes dans l’Église catholique à cause des fonctions qu’elles occupent, môme si leur travail comporte des responsabilités même si des hommes travaillent sous leur direction ou si elles ont sur eux de l’influence, se leurrent. Et les hommes qui leur font croire qu’elles jouissent d’un statut d’égalité ou qu’elles participent au pouvoir les trompent. Le pouvoir réside dans les fonctions de gouvernement et de sanctification et elles sont réservées aux clercs ». « D’ailleurs, dit encore Marie Gratton-Boucher, les clercs veulent nous convaincre qu’eux-mêmes n’ont pas de pouvoir là où ils sont, sur les bons barreaux de l’échelle. Ils ne consentent à définir leur ministère qu’en terme de service. Comment les femmes, au bas, en auraient-elles ? Pour servir, elles servent ! De marchepied, de courte-échelle, de substitut aux barreaux manquants »17.

Des femmes théologiennes ont écrit et écrivent encore. Elles ont questionné et questionnent encore l’Institution. D’autres, physiquement et psychologiquement, ont quitté pour plus d’authenticité ; d’autres songent à laisser tomber leur appartenance à ces structures opprimantes. Ces femmes refusent d’être des objets dans l’Église. Elles désirent investir leur potentiel dans la construction d’une nouvelle EKKLÈSIA plus conforme à l’appel de leur baptême et au message évangélique.

Écoutons ces femmes exprimer leurs malaises et leurs rêves : « À l’automne 1990, la Table diocésaine de la Condition des femmes du diocèse de Gatineau-Hull faisait le bilan de ses six années de fonctionnement. À l’occasion de ce bilan, ayant constaté à regret que nos efforts pour faire avancer le dossier de la condition des femmes dans notre diocèse avaient donné peu de résultats concrets, nous avons fait le choix d’abandonner le lien diocésain pour poursuivre notre cheminement comme groupe autonome »18.

Yvonne Bergeron, du regroupement Femmes et Ministères, a publié, en 1991, un ouvrage intitulé Partenaires en Église, femmes et hommes à part égale. Dans cet ouvrage où elle reprend les données issues de 26 forums sur le partenariat hommes/femmes en Eglise, elle écrit : « Parfois, après dix ou quinze années de travail au service de l’Église, des femmes s’en vont. Elles sont épuisées par cette lutte inégale dans laquelle le droit en vigueur prend toujours le parti des ministres ordonnés et dont l’issue semble décidée d’avance ». Elle ajoute : « II n’y a pas à s’étonner que certains mouvements de femmes, complètement désespérés du changement possible d’un système si fermé, aient décidé de se situer ouvertement à l’extérieur d’une institution qui fait profession de patriarcat, non pas dans ses déclarations officielles, mais dans sa pratique »19.

Les femmes sont nombreuses à réfléchir sur leur statut d’infériorité dans l’Église. Elles sont nombreuses à dénoncer ce qui fait d’elles des femmes-objets. Voici ce qu’en dit une des membres de L’autre Parole : « Cela fait quinze ans que nous travaillons à rendre présente l’oppression que les femmes vivent dans l’Église. Malgré cela, un constat très sombre s’impose : cette Église n’a pas reculé d’un pouce. Les femmes la quittent parce qu’elles se rendent compte qu’elles sont toujours en situation d’oppression »20.

Mais qu’est-ce qui motive donc celles qui restent ? « Beaucoup de femmes sont sans doute non conscientes de l’idéologie dans laquelle elles baignent. D’autres, plus conscientes, choisissent quand même de répondre à l’appel de Dieu en Jésus et dans l’Église. Il faut dire que c’est un déchirement important que de vivre sa foi en prenant conscience qu’elle doit passer par la domination des clercs sur soi. C’est souffrant. Toutes ne sont pas prêtes à choisir la marginalisation ou la séparation de ce qui, par ailleurs, répond à un besoin profond de vivre la relation à Dieu, l’engagement de foi, l’expérience spirituelle »21.

Des alternatives sont à inventer. Existent-elles chez nous ? C’est ce que nous nous proposons de découvrir en montrant que l’Esprit sainte est aussi à l’oeuvre dans les regroupements de femmes.

6. Des femmes passent à l’action : vivre et célébrer la foi autrement 

Selon Louise Melançpn, en se réappropriant la Tradition, il est possible de trouver des éléments pour nourrir notre vie de foi comme féministes chrétiennes : « II nous faut sortir de la Tradition canonique, orthodoxe, et chercher dans une tradition qui aurait été secondaire, marginale, parfois hérétique, qui n’a pas été retenue par l’Église et où il y a beaucoup d’écritures de femmes »22.

C’est précisément ce que font les théologiennes féministes et, avec elles, une pionnière qui a osé réinterpréter les origines de l’Église à partir du point de vue des femmes, Elisabeth Schûssler-Fiorenza. Cette théologienne a compris que par le baptême chrétien Jésus nous a ouvert les portes du sacré et que nous pouvons y accéder à partir de nos expériences propres : Tant que les femmes chrétiennes sont exclues de l’acte de rompre le pain et de décider de leur propre bien-être et engagement spirituel, l’EKKLÈSIA comme communauté de disciples égaux n’est pas réalisée et le pouvoir de l’Évangile est fortement affaibli »23.

Quand Monique Dumais et Marie-Andrée Roy affirment qu’il existe un nombre important de femmes qui détiennent des compétences et qui sont capables de faire valoir leur point de vue dans le champ des sciences religieuses24, elles sous-entendent que ces femmes sont prêtes à s’engager en Église, mais pas à n’importe quel prix et pas dans n’importe quelle Église. Des membres de L’autre Parole ont fait le point sur leur cheminement collectif pour en arriver à percevoir que leur démarche pourrait devenir une alternative intéressante pour les chrétiennes féministes.

À L’autre Parole , on célèbre autrement. « Au fil du temps, nous avons osé nous affirmer en célébrant. Notre expérience des célébrations a fait que nous sommes autres et qu’il ne sera plus possible de revenir en arrière. La parole des femmes a été féconde et les écrits ont fait que cette parole a pu être transmise à d’autres femmes…25. Le colloque annuel du Collectif est un moment privilégié de remise en question. En 1992, nous avons reconnu notre être ensemble comme une alternative de foi remettant en cause toute la pyramide patriarcale jusqu’à l’image du Père éternel… malgré l’interdit. Nous sommes conscientes que les femmes qui travaillent en Église sont le plus souvent des femmes soumises qui ont peur de déroger à la Tradition. Notre expérience interroge ces femmes dans leurs pratiques et notre revue, L’autre Parole, considérée comme un outil de conscientisation, contribue à leur libération tant dans l’Église que dans la société »26.

L’autre Parole célébrera ses vingt ans en 1996. À cette occasion, elle publiera un recueil de ses célébrations et de ses textes de réécriture de la Parole de Dieu sous le titre « Prières de femmes affranchies ». Pour vous donner un avant-goût de cette production collective, voici deux textes qui rendent compte de sa façon de prier. Le premier est la prière d’ouverture d’une célébration faite à l’occasion d’un colloque annuel.

PRIÈRE DU DÉBUT DE LA CÉLÉBRATION

Que notre Écdésia soit désormais

pétrie de nos mains de femmes

pétrie de l’espérance chrétienne de la parole faite chair

pétrie de notre sagesse de femmes

pétrie de l’émerveillement devant la création et les créatures

Que notre Écdésia soit désormais

plus grosse de la transcendance du quotidien des femmes

Soyons cette Écdésia vivante

où l’on apprend à aimer

où l’on communique avec transparence

où la vérité ne connaît pas d’obstades

Soyons cette Écdésia vivante

de promesses comme les premiers cris de l’enfant qui vient de naître.27

Flore

Le deuxième texte vient du groupe de Rimouski-Matane qui a réfléchi sur un passage de l’Évangile à partir du drame de Polytechnique qui venait tout juste de se produire.

PAROLES PROPHÉTIQUES POUR UN 6 DÉCEMBRE

(inspirées de Luc 3, 4-6)

Voix de femmes qui crient depuis les origines :

Ouvrons les chemins du Seigneur,

Fuyons les sentiers battus du patriarcat

qui n’ont d’autres issues que la violence :

enfants engendrés et éduqués dans le mépris,

corps de femmes et de filles mutilés, dégradés,

haine meurtrière du féminin.

Alors tous les fossés des différences seront franchis

dans la tendresse partagée,

dans les retrouvailles de la dignité première,

et toutes les puissances déchaînées de la violence

seront anéanties par les forces de la vie, de l’amour

afin que toute chair, homme et femme,

soit en vérité image de Dieue

jusqu’à la fin des temps.

Ces extraits montrent que des femmes féministes et chrétiennes osent faire Église autrement. Au-delà de l’exclusion, elles accèdent au sacré envers et contre la Tradition et le Droit canon sexistes et misogynes. Ensemble, elles créent des alternatives qui leur permettent de vivre leur foi et de la célébrer autrement. Leur solidarité réussira-t-elle un jour à percer la dure carapace de l’Institution ?

Mais il n’y pas que les femmes qui réagissent. De plus en plus d’hommes se compromettent publiquement dans la démarche de libération féministe en Église. À preuve, les nombreuses signatures masculines qui figurent dans la pétition (2 000 noms) déclenchée par Femmes et Ministères en réaction à la lettre apostolique Ordinatio saoerdotalis.

Suite à cet événement, les conseils diocésains de pastorale des diocèses du Québec se sont concertés pour faire avancer l’intégration à part entière des femmes dans l’Église. Dans une lettre adressée à tous les diocèses du Québec, le conseil diocésain de pastorale de Gaspé demande à Mgr Morissette du comité des Affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec de donner suite au projet d’un symposium provincial sur le partenariat hommes/femmes dans l’Église.

Ces efforts sont louables mais ils arrivent sans doute trop tard. Il y a longtemps que les théologiennes féministes ont largué les amarres » et voguent en haute mer sans regarder en arrière. Elles sont portées par le souffle de leur slogan familier : NOUS VIVONS MAINTENANT CE QUE NOUS ESPÉRONS POUR DEMAIN.

7. Une pédagogie féministe

Cette recherche, faite à partir de l’expérience d’un groupe de femmes du Québec engagées dans l’Église catholique au niveau diocésain, je l’ai voulue féministe, tant dans son objectif principal que dans l’approche utilisée tout au long de son déroulement.

L’intervention féministe en pédagogie a pour objectif principal l’implication dans le processus de transformation sociale de situations opprimantes pour les femmes. Mon objectif a donc été de donner la parole aux femmes en Église et de rendre cette parole visible en valorisant leur point de vue, en écoutant avec respect et compassion leurs souffrances, leurs colères, leurs projets, en considérant leurs expériences comme la principale source de mon information. Les citations de paroles de femmes concernées par ma démarche témoignent de mon souci de les reconnaître en tant que « sujettes » de leur devenir, étant consciente de la richesse de leur contribution.

Je me suis située dans un rapport égalitaire avec elles, utilisant la plupart du temps le « nous » pour montrer ma solidarité comme femme féministe chrétienne vivant la même oppression dans la même Église patriarcale. En pédagogie féministe, le petit groupe est considéré comme un microcosme de la société. Le cas rapporté concernant une quinzaine de répondantes diocésaines à la condition féminine a fait sortir de l’ombre le malaise généralisé des femmes en Église.

Comptant sur la pertinence des expériences vécues par L’autre Parole, en regard de la réflexion théologique et de la célébration de la foi des femmes à partir de leur expérience d’oppression dans l’Église, j’ai voulu ouvrir à un plus grand nombre de femmes la porte des alternatives possibles d’affranchissement en plaçant entre leurs mains les outils de leur propre libération. Nous avons ainsi échangé notre savoir dans un partage fait de coopération et de solidarité. Tout en fournissant aux autres femmes des appuis et des solidarités bien réelles, cette pédagogie m’a permis d’intensifier ma solidarité avec les femmes victimes du patriarcat de l’Église et d’entretenir bien vivant en moi l’esprit critique qui empêche de sombrer dans la menaçante récupération par l’Institution.

Au terme de cette réflexion, je suis consciente de n’avoir pu rendre justice à toutes celles qui se sentiront rejointes par mon intervention. Une inquiétude aussi m’habite : plusieurs ne s’y retrouveront peut-être pas. Comment réagiront-elles ? Je souhaite engager le dialogue avec elles. De plus en plus de femmes engagées dans l’Église catholique au Québec se sentent à des années lumières du discours officiel hiérarchique masculin. La déclaration du pape, qui, en mai 1994 venait interdire une fois de plus l’ordination des femmes, jetait la consternation chez les femmes de mon groupe de recherche spécialement attaché à la question de la condition féminine. En lien direct avec la présidente de ce groupe de femmes, je suis devenue partie prenante de leurdésarroi. Cet événement a déclenché en moi l’urgence d’amorcer une réflexion. J’ai vite découvert que les femmes engagées dans l’Église ont été et sont encore des femmes-objets par rapport aux prises de décisions qui se font sans elles et par rapport aux rôles de subalternes qui leur sont attribués. Je suis ensuite allée explorer ce que les femmes féministes, nous livrent de leurs réactions à ces discours et aux pratiques patriarcales de l’Église Institution. Je me suis attardée à des femmes plus connues, plus près de chez nous qui osent créer des alternatives intéressantes pour vivre et célébrer leur foi chrétienne à partir de leurs expériences de femmes.

MONIQUE MASSÉ, HOULDA

1. BÉLANGER, Sarah, « Les soutanes roses », 1988. En 1988, l’Église du Québec comptait 1 676 femmes rémunérées dans ses services dont 17 laïques.

2. DUMAIS, Monique et Marie-Andrée ROY, « Souffles de femmes, Lectures féministes de la religion », Éd. Paulines, Montréal, 1989, p. 230.

3. JEAN-PAUL II, « Ordinatio sacerdotalis », 1994, nos 2 et 4.

4. COHEN, Yolande, « Femmes et politique », Ed. Le Jour, Montréal, 1981, p. 140, « Le parti-pris des femmes ».

5. CARON, Anita, « Femmes et pouvoir dans l’Église », Collectif, Ed. VLB, Montréal, 1991.

6. SCHÙSSLER-FIORENZA, Elisabeth, « En mémoire d’elle », Éd. du Cerf, Coll.

Cogitatio Fidei, Paris, 1986, p. 352-391.

7. GROULX, Benoîte, « Cette mâle assurance », Albin-Michel, Paris, 1993, p. 10.

8. PAUL VI, « Inter Insignores », Déclaration sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel, Coll. l’Église aux quatre vents, Montréal, Fides, 1976.

9. DOCUMENTATION CATHOLIQUE, 1977, p. 173.

10. BÉRERE, Marie-Jeanne, « L’ordination des femmes », in Lumière et Vie, 1981, no 151.

11. BAUM, Gregory, « Lettre apostolique Mulieris dignitatem » de Jean-Paul II, dans Concilium 226, pp. 175-181, Beauchesne, Paris, 1989. L’auteur de cet article fait une analyse lucide de cette encyclique.

12. INSTRUMENTUM LABORIS, « La vie consacrée et sa mission dans l’Église et dans le monde », 1994, nos 25 et 87.

13. Idem, no 24.

14. CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES CANADIENS, « Les femmes dans l’Église, dossier d’animation », 1984, Annexes 3 et 4.

15. Idem, Annexe 4. 22

16. ROY, Marie-Andrée, « Le changement de la situation des femmes dans la catholicisme québécois », Sociologie et Sociétés, vol. 22, no 2, octobre 1990, pp. 24-25.

17. GRATTON-BOUCHER, Marie, in L’autre Parole, no 57,1993, p. 16.

18. L’autre Parole, no 50,1991, pp. 38-39.

19. BERGERON, Yvonne, « Partenaires en Église, femmes et hommes à part égale », Ed. Paulines, Montreal, 1991, p. 12.

20. MAJELLA, Marie-Rose, in L’autre Parole, no 50,1991, p. 8.

21. MELANÇON, Louise, in L’autre Parole, no 57,1993, p. 18.

22. MELANÇON, Louise, in L’autre Parole, no 16,1981, p. 26.

23. SCHÙSSLER-F., Elisabeth, op. cit., no 6, p. 570.

24. DUMAIS, Monique et Marie-Andrée ROY, op. cil, no 2, p. 5.

25. MAJELLA, M.-R., op. dt., no 19, p. 9.

26. GAUTHIER, Louise, in L’autre Parole, no 55,1992, p. 22.

27. FLORE, in L’autre Parole, no 37, 1988, p. 25.