FILLE D’EVE

Poésie Fille d’Ève… de Hélène Rainville

Fille du paradis perdu

D’avoir croqué au fruit défendu

Depuis l’exil sur cette terre

J’ai tant aimé, j’ai tant souffert

J’ai engendré dans la douleur

En versant des larmes de bonheur

J’ai mis au monde des marmots

Des avortons, des laids, des beaux

J’ai porté des rois, des bâtards

Des fous, des sots, des superstars

Des tyrans ont sucé mon sang

J’ai bercé chacun sans jugement

Fille d’Isis la magicienne

Fille de Sarah, fille d’Hélène

Fille de Vénus, de Perséphone

Fille d’Isabelle, fille de personne

Fille du paradis perdu

Dis-moi, dis-moi qui es-tu ?

Je suis hormones et fantaisies

Coquetteries et pyjamas

Je suis de silence et de cri

Je suis larmes et cinéma

Je suis un ventre qui se gonfle

De vie nouvelle ou de chagrin

Je suis de celles qui triomphent

Et pourtant je m’écroule à rien

Je suis courbes et cambrures

Des hanches, des seins, des fesses

Des mots d’amour et des murmures

Déchirures et maladresses

Je suis des rivières de larmes

Je suis des océans de sang

La vérité qui désarme

Commérages, ragots, cancans

Je suis l’insoumise sorcière

Sur son balai de liberté

Celle qui doute et qui espère

Une petite fille à consoler

Je suis désir, grâce, volupté

Je suis mélodrame et romance

Je suis une garce entêtée

Je suis force et nuit blanche

Je suis un gouffre de solitude

La peur de vieillir oubliée

Une habitude qui se dénude

Pour titiller l’obscurité

Je suis la belle d’une seule nuit

Chez qui l’on vient depuis vingt ans

Miauler au pied du trop grand lit

Aux petites heures de grands tourments

Je suis la conjointe qui attend

Dans l’angoisse et la suspicion

La veuve qui prend un amant

Je suis passion et dépression

Je suis d’une terre sans frontière

Jaune, rouge, noire et blanche

Je suis demain, je suis hier

L’éternité entre mes hanches

Épouse et reine du foyer

J’ai reprisé en silence

Et sans jamais m’apitoyer

Tous les accrocs de l’existence

Si j’ai lutté d’arrache-pied

Pour sauver les apparences

Sous le tapis, j’ai balayé

Mes rêves, mes espérances

Je suis l’ancêtre qui se berce

Au dépotoir des p’tits vieux

Celle qui pleure et qui adresse

Une ultime prière à Dieu

Je suis bottines et talons hauts

Je suis secrète et lascive

Je suis cravate, je suis porto

Discrète et… Explosive !

Je suis des yeux tout l’tour d’la tête

Comme un vigile aux aguets

Celle qui étonne ou qui embête

Quand je devine vos secrets

Debout et fière face à mes frères

À tous les fronts j’ai résisté

Je suis l’indocile guerrière

Qu’aucune peur n’a dominée

J’ai du courage, le feu sacré

Je transgresse les interdits

Jamais ancrée, sans m’arrêter

J’avance qu’importe la comédie

Je suis tout ça et plus encore

Je suis des non-dits, des mystères

Je suis rimes et métaphores

Y’a d’la magie sous mes paupières

Dans chaque recoin de mon âme

Et jusqu’à la pointe du sein

Je suis femelle, je suis femme

C’est gravé au creux de mes reins

Je suis de l’instant présent

Je suis là pour dire «  Je t’aime »

Je suis la demie-soeur, l’enfant

La vieille fille et la voix qui sème

Espoir au cœur, rêves, chimères

Femme de lettres, femme d’esprit

Je suis la louve dans sa tanière

Fille d’Ève, muse et poésie !

Je suis le bébé tout rose

Je suis la fille, la sœur, la mère

La cousine, la tante machin-chose

La nièce, la bru et la belle-mère

Je suis l’amante, la maîtresse

L’adolescente ensorcelante

Je suis toutes celles-là et j’en laisse

Je suis une nonna qui chante

Je suis là à vous décrire

À disséquer ce que je suis

Mais comment donc circonscrire

Un sujet aussi…aussi…

J’ai le statut incertain

Passent, passent les millénaires

J’oscille entre vierge et putain

On me méprise, on me vénère

Un jour je suis née de la terre

Et depuis je marche à l’amour

Tour à tour la fille et la mère

Du fond des temps jusqu’à ce jour

Une lignée de femelles

Chacune vivant sa propre vie

Un relais, une courte-échelle

Une ribambelle de survies

J’ai enfanté l’humanité

Mon ventre porte notre histoire

Et mon impudente nudité

Les stigmates de nos mémoires

J’ai parfois enjambé la haine

J’ai lavé, torché, j’ai tué

Bûché, ramé à perdre haleine

Perdu espoir et continué

Si on m’a muselée, voilée

Excisée, lapidée, pendue

Si on m’a brûlée au bûcher

Asservie, tondue, vendue

J’ai souvenir d’être aimée

D’être couverte de tendresses

Déesse ou fée, reine de beauté

D’une espèce enchanteresse

Adorée, vénérée, sacrée

On a voué un culte à mes fesses

Depuis toujours j’ai porté

Du monde toutes ses jeunesses

Trois pas devant, un pas derrière

Folle danse d’éternité

Quelques petits pas de travers

Tomber, ramper, me relever

Danser, danser sans répit

Qu’importe le temps qui trépasse

Sauter à pieds joints dans la vie

Surtout ne pas manquer d’audace

Et de toute ma féminité

Offrir mes lèvres à qui m’embrasse

Aimer, aimer et remercier

Ce vieux jeune homme qui m’enlace

Un jour je suis née de la terre

Et depuis je marche à l’amour

Sans lui la vie serait austère

Je parle de l’homme qui parle d’amour

Un jour je suis née de la terre

Et depuis je marche à l’amour

Le paradis perdu ? ! L’enfer ? !

Fille d’Ève ! Fille de toujours !

Un jour je suis née de la terre

Et depuis je marche à l’amour