HISTOIRE DES CHRÉTIENNES. L’AUTRE MOITIÉ DE L’ÉVANGILE

HISTOIRE DES CHRÉTIENNES. L’AUTRE MOITIÉ DE L’ÉVANGILE

d’Élisabeth Dufourcq, Montrouge, Bayard, 2008, 1258 pages

Marie-Andrée Roy, Vasthi

L’ouvrage est colossal. Il entend retracer deux mille ans d’histoire des chrétiennes. Il constitue en quelque sorte une vaste banque documentaire sur les femmes et les multiples manières de les penser, de les définir, de les encadrer, de les mépriser et de les exalter dans le christianisme, des origines à 
aujourd’hui. À ma connaissance, il n’existe rien de comparable en français. C’est pourquoi cet ouvrage d’envergure constitue une référence précieuse.

L’auteure, catholique engagée, cherche à comprendre pourquoi elle étouffe en tant que femme dans l’Église et pourquoi elle reste fidèle au christianisme. Elle avance l’hypothèse que seul le Jésus de l’Évangile a vraiment considéré les femmes comme des personnes à part entière ; lui qui a dialogué avec elles, qui les a respectées, en a fait les premiers témoins de l’événement central du christianisme, la Résurrection. Par la suite, dès les Actes des Apôtres, les femmes s’effacent (ou elles sont tassées ? n.d.l.r.) et les hommes prennent le contrôle de l’Église naissante. Qui plus est, à cause du maintien séculaire d’une large part des femmes dans l’analphabétisme et de l’appropriation cléricale du canon des Écritures, les femmes vont avoir accès au Jésus des Évangiles qu’à travers les extraits choisis pour les lectures de l’office dominical. Même une Thérèse d’Avila n’a jamais lu les Évangiles en langue castillane ! On sait que la Réforme va donner accès à toutes et tous aux saintes Écritures, les catholiques pour leur part devront attendre pour ce faire le XXe siècle. La proposition de l’auteure : puiser dans les Évangiles le sens de l’engagement chrétien et entamer un dialogue avec les autorités ecclésiales catholiques pour qu’advienne la reconnaissance des femmes dans l’Église.

L’auteure n’est ni exégète, ni théologienne, ni spécialiste en sciences des religions. Cette docteure en science politique, férue d’histoire, haute fonctionnaire de carrière a déjà à son crédit quelques ouvrages remarqués dont Les aventurières de Dieu. Elle propose dans son Histoire des chrétiennes une lecture personnelle des Évangiles et de la place des femmes aux grandes étapes de l’histoire de christianisme. Une lecture bien documentée qui témoigne avant tout de sa fréquentation assidue du Nouveau Testament, des grands ouvrages d’histoire de l’Église et de sa volonté têtue de trouver réponse à sa question : « Que s’est-il passé entre le Christ et les femmes depuis deux mille ans ? ». L’ouvrage est ordonné en trente chapitres qui suivent la chronologie de l’histoire de l’Église. Chaque chapitre est subdivisé en thèmes qui facilitent la lecture. Les deux cents premières pages sont consacrées aux Écritures puis les deux cents autres au premier millénaire. Puis viennent les mystiques, les hérétiques et le point de vue de Bonaventure et de Thomas d’Aquin sur les femmes (terrible !). Les Croisades, l’Inquisition sont traitées sans complaisance. La Réforme retient bien l’attention de l’auteure avec toutes ses conséquences pour les femmes. On lira par la suite de belles pages sur l’activité missionnaire. Les Lumières et la Révolution française font l’objet de longs développements puis vient le XXe siècle avec ses guerres et son Concile. Parmi les pages les plus belles et les plus émouvantes que j’ai lues il y a celles qui racontent comment des femmes chrétiennes, emprisonnées dans le camp de concentration de Ravensbrück pendant la seconde guerre mondiale de 1939 à 1945, célèbrent la messe sans prêtre (pages 1106 à 1109). Bouleversant.

On peut trouver que cet ouvrage, même s’il fait une place non négligeable à l’Orthodoxie et à la Réforme, comprend beaucoup le christianisme à partir du prisme français et catholique. Mais, bon, les auteur-e-s travaillent toujours à partir d’un point de vue situé. C’est pratiquement inévitable. On peut surtout s’étonner de l’absence de références aux grands travaux féministes en exégèse, théologie, histoire de l’Église, etc. Cette occultation des recherches et des pratiques féministes des quarante dernières années a finalement quelque chose de choquant mais traduit assez bien la perspective de l’auteure, résolument féminine mais certainement pas féministe. On peut suggérer à celle qui souhaite l’établissement d’un dialogue entre les femmes et les membres du clergé, de prendre connaissance des multiples tentatives de partenariats avortés entre femmes et hommes d’Église, vécues au cours des trente dernières années des deux côtés de l’Atlantique et qui traduisent le caractère coriace du patriarcat catholique. Les changements souhaités par l’auteure requièrent plus qu’une reconnaissance du féminin, ils nécessitent une révolution féministe.