Ivone Gebara Théologienne féministe de la libération en Amérique latine

Ivone Gebara

Théologienne féministe de la libération en Amérique latine

DES FEMMES EN MOUVEMENT DE LIBÉRATION AU BRÉSIL

entrevue avec Elisabeth J. Lacelle, théologienne

Directrice du Centre canadien de recherche sur les femmes et les religions à l’Université d’Ottawa

Ivone Gebara, ex-professeure de théologie au Centre Oecuménique de Services à l’Éducation Populaire à Sao Paulo au Brésil, est actuellement en exil en Belgique, par suite de sa réduction au silence parles instances romaines.

En reproduisant cet article, L’autre Parole veut lui redonner cette parole qu’on lui a injustement ravie.

E.L. -Ivone Gebara, cela fait-il une différence d’être une théologienne féministe de la libération en Amérique latine ?

I.G. -Être théologienne féministe de la libération cela veut dire non seulement que l’on fait de la théologie, en tant que femme en vue de lutter pour la libération des appauvri-e-s, mais aussi en nommant la différence entre les sexes, les races, les cultures, les classes sociales. C’est faire une théologie qui dénonce les structures patriarcales et les modèles patriarcaux de lutte pour la libération.

E.L. -Comment en êtes-vous venue à un tel engagement ?

I.G. -Par un triple chemin. Le premier a été celui de la constatation vécue de l’absence d’un regard féminin sur les questions théologiques. Le deuxième s’est tracé dans le constat de l’écart immense entre le vécu des femmes de milieu populaire, par rapport à leur corps surtout, et l’élaboration théologique produite par les hommes. Enfin les écrits de Dorothée Sôlle et de Rosemary Radford-Ruether m’ont ouvert les yeux et les oreilles à l’oppression du patriarcalisme. Ce triple chemin je l’ai parcouru depuis plus de dix ans.

E.L. -Qu’est-ce qui vous encourage à poursuivre ? Cette marche ne doit pas être plus facile chez vous que chez nous ?

I.G. -Un amour concret pour des personnes concrètes. Les diverses dimensions de notre société s’articulent et la religion juive y joue un rôle immense. Si d’une part elle console, d’autre part elle opprime ; elle ajoute des fardeaux aux fardeaux quotidiens. En aidant à retrouver le sens de la vie, à porter les douleurs, ou encore à rendre grâce et à célébrer cela m’encourage à poursuivre. Déconstruire les géants dogmatiques qui nous font peur et mettre à la place la fragilité de l’amour, le provisoire de la vie, la quête de sens pour chaque génération : cela me fait vibrer et m’aide à avancer sur les routes difficiles de la théologie.

E.L. -Ici au Canada et au Québec les théologies féministes ont pour objectif la libération des femmes (et avec elle des hommes) dans l’Église en même temps que dans la société. Mais toutes n’ont pas les mêmes approches et ne proposent pas les mêmes alternatives. Est-ce la même chose au Brésil ?

I.G. -Oui, chez nous il est possible d’identifier trois types de théologies qui se veulent féministes. La première est une théologie pastorale, produite par des femmes qui vivent des services et des ministères dans l’Église. Elle met en lumière et alors rend visible, les ministères des femmes dans l’Église. Elle met en relief des figures bibliques telles que Sara, Deborah, Marie-Madeleine, Marthe, etc. Ces théologiennes ne visent pas le changement des structures patriarcales de l’Église.

Une deuxième tendance va un peu plus loin. Elle féminise la théologie, ses concepts, son langage et parfois les rituels liturgiques. Ainsi, elle propose des alternatives pour le langage sur Dieu en recourant à des symboles féminins tout autant que masculins. Ces théologiennes militent en faveur de l’ordination des femmes ; elles élaborent des arguments en ce qui concerne l’aptitude des femmes baptisées à représenter publiquement Jésus-Christ. Elles remettent donc en question les structures actuelles de l’Église en revendiquant une place pour les femmes dans l’espace du sacré. Mais on peut se demander jusqu’à quel point elles ébranlent les fondements patriarcaux de l’Église. Elles se réfèrent aux structures de pensée de la théologie traditionnelle. Par exemple pour elles aussi l’être humain est déchu, il a besoin d’être sauvé par une instance qui lui est supérieure. Elles visent à investir de nouveaux sens cette structure de pensée, et ainsi à la ‘ »sauver », la « libérer » elle-même. Cette théologie est produite par des femmes de formation universitaire.

E.L. -C’est la théologie féministe la plus radicale que nous trouvons dans nos milieux d’Église ici. Chez vous il a une troisième tendance ? Que vous représentez je crois ?

I.G. -Oui elle se veut métapatriarcale au sens le plus compréhensif du terme, jusque dans les structures de pensée patriarcales. Par ailleurs, elle n’hésite pas à intégrer des visions que peuvent élaborer des hommes penseurs en particulier dans le domaine des sciences et de la philosophie, si leur pensée amène à un tel lieu métapatriarcal.

À suivre…

1 Texte tiré de Femmes et Hommes en Église, no 55, p. 4 à 11.