LA HOULE DU LANGAGE INCLUSIF

LA HOULE DU LANGAGE INCLUSIF

LÉONA DESCHAMPS, FRANCINE DUMAIS, RACHEL ST-PIERRE, MICHELINE TREMBLAY, DU GROUPE HOULDA

Une lame de fond

Au Québec, la première organisation féministe catholique est née avec Marie- Gérin Lajoie et Caroline Beique en 1907. L’entrée progressive des femmes dans les diverses professions et la multiplication des groupes féministes initient la houle du langage inclusif. D’ailleurs de nombreuses études féministes avaient démontré que le langage grammaticalement masculin rendait les femmes invisibles et marginales. Ce langage androcentrique où l’homme est le centre et la femme relative à lui, maintient toujours celle-ci dans un état d’infériorité, condamnée à la pauvreté et à l’aliénation, même si plusieurs disent encore un tel langage inclusif avec ses génériques. Ainsi depuis la seconde moitié du 20′ siècle, un constant mouvement ondulatoire agite la mer langagière.

Que l’on observe dans la pratique le remous suscité par l’utilisation du langage inclusif, du langage non sexiste ou la féminisation des textes, l’objectif s’avère toujours le même : assurer la visibilité des femmes dans toute expression littéraire et ainsi la faire jouir en plénitude de sa part d’humanité. En 1953, le linguiste français W. Stehli défendait cette position :

la femme qui préfère pour le nom de sa profession le masculin au féminin accuse par là même un complexe d’infériorité qui contredit ses revendications légitimes. Dérober son sexe derrière le genre adverse, c’est le trahir. Proclamer la supériorité du masculin madame le docteur c’est reconnaître implicitement ta supériorité du mêle, dont le masculin est l’expression grammaticale.

En 1958, l’Académie canadienne-française publiait un article sur la question de la féminisation des textes. Puis en 1963, la revue C’est-à-dire titrait l’un de ses articles « La peur du féminin » (vol.1, no 12, p. 10) et en 1966, le grammairien J.M. Laurence ajoutait : « À l’évolution de notre société humaine doit correspondre un enrichissement de notre vocabulaire ». (C’est-à-dire, vol. 3,no 11, p. 1)

C’est un fait ! Au Québec,depuis 1970,on assiste à l’effritement de la dichotomie entre le masculin et le féminin. L’anecdote suivante le prouve bien. Le 26 avril 1984, à Paris intervenant à un colloque de Femmes et Hommes dans l’Église, Benoîte Groult rapportait ce qu’elle avait vécu au Québec lors d’un séjour de quinze jours en ces mots :

Au début j’avais un sursaut chaque fois qu’on me disait : Vous êtes une auteurs, une écrivains, française, qui…, et c’est finalement quand je suis rentrée en France que j’ai eu l’impression d’aller dans un pays un peu arriéré, un peu sous-développé ; je redevenais un écrivain femme, un auteur féminin et je retournais en … Absurdie. (Hommes et femmes dans l’Église, no 47, P-20)

Aujourd’hui on pourrait identifier dans plusieurs parties du monde, les crêtes et les creux des diverses ondulations politiques, littéraires et ecclésiales de la houle du langage inclusif. Ici nous nous contenterons d’identifier quelques mouvements propres à chaque ondulation.

Ondulations politiques

Si c’est reconnu dans le monde qu’au Québec on se préoccupe de la féminisation du langage, c’est pourtant en terre étasunienne que se dessine en 1975 le premier mouvement en ce sens.

Dès l’année suivante, à la suite du tollé de protestations qui suit la déclaration de madame Louise Guerrier, vice-présidente de l’Assemblée nationale, à savoir : « Je porterai le titre de présidente lorsqu’on aura trouvé des féminins à tous les titres utilisés à l’Assemblée nationale », l’Office de la langue française doit se mettre à l’oeuvre à l’instar de la Société Radio-Canada qui a déjà émis en 1960 quelques directives d’usage des titres féminins pour son personnel. (Gazette des femmes, vol. 13, no 2, p. 23)

Précisément, en 1976, le gouvernement fédéral souhaite une rédaction neutre ou désexisée de ses publications. Cette sollicitation déclenche un processus de recherche pour féminiser les titres. Depuis 1982, les ministères fédéraux publient des brochures visant l’élimination du sexisme dans la langue et les moyens de communication si bien qu’en 1986, paraît un document officiel intitulé La féminisation des titres de profession.

Au Québec, un premier avis de recommandation fut émis, en 1979, par l’Office de la langue française relativement au genre des appellations d’emplois. Ceci s’effectua à la demande du gouvernement fédéral, du Syndicat québécois des infirmières et sous la pression de l’opinion publique à la suite de l’intervention de madame Guerrier. D’autres avis suivirent dont les plus importants : Guide de féminisation pour la rédaction de textes (1984),Titres et fonctions au féminin : essai d’orientation de l’usage (1986) et Au féminin : Guide de féminisation de titres de fonction et des textes (1991).

Dans d’autres organismes québécois, des politiques de langage non sexiste avaient aussi été proposées. La Centrale de l’Enseignement du Québec publiait en 1982 un document intitulé Féminisation du langage et en 1986, l’Hydro-Québec fit de même.

Les milieux universitaires furent aussi vivement interpellés par les féministes. À l’UQAM, la demande du Groupe interdisciplinaire pour l’enseignement et la recherche sur les femmes (GIERF) contribua à la formation en 1979 d’un comité pour féminiser les titres et à l’adoption, en 1981, par le Conseil d’administration d’une liste officielle de termes féminisés. En 1985, Jacqueline Lamothe publiait une brochure sur les règles d’écriture et en 1986 se tenait une table ronde sur les enjeux politiques de la féminisation. Puis l’on connut tour à tour les crêtes et les creux de l’ondulation langagière non sexiste.

À l’Université de Montréal, l’étude du problème de féminisation est lancée par les membres du Comité du statut de la femme. En collaboration avec la grammairienne Madeleine Sauvé, on soumet une liste de féminisation des titres au Rectorat en avril 1983 et cette intervention fait son chemin.

La même action est menée à l’Université Laval si bien qu’en mars 1985, on retrouve dans le bulletin un article sur la féminisation des titres par le comité chargé de la normalisation et de la qualité du français. Par contre, en février 1986, ce même comité approuve la féminisation des titres mais refuse d’étendre cette féminisation au discours.

Au gré du vent, en octobre 1986, Pierrette Vachon-L’Heureux publie l’historique du dossier de la féminisation. En 1989, Hélène Dumais offre Pour un genre à part entière où l’on explique quand et comment utiliser le terme générique, la tournure neutre ou la reformulation de la phrase afin que toutes et tous se sentent concernés par le texte. Elle ajoute aussi divers trucs pour éviter les lourdeurs dans les écrits en version désexisée et… l’ondulation se poursuit.

Mais que se passe-t-il dans d’autres pays ? En France, une Commission de féminisation des noms de métiers et de fonctions qui a siégé de février 1984 à mars 1986 n’a réglé que le cas des termes féminins finissant par « e ». Et c’est le calme plat puisqu’on juin 1991, l’écrivaine française Benoîte Groult décrit la situation en ces termes :

Et cette mauvaise volonté,voire cette obstination hargneuse à refuser même les féminins les plus évidents (tels que factrice, sculptrice, avocate ou policière) ne sont pas le fait du hasard. Blés témoignent de l’importance de ce pouvoir culturel où s’enracine et se perpétue le pouvoir tout court des hommes sur les femmes. (Femmes et hommes dans l’Église, no 47, p. 20)

En Belgique, la proposition de décret présentée en mars 1989 pour féminiser les noms de métiers est restée lettre morte.

C’est en Suisse que l’on reconnaît la vigueur du mouvement : une loi adoptée en janvier 1989 quant à l’emploi obligatoire du féminin dans les professions et les textes. Aujourd’hui, ce peuple a son dictionnaire de féminin-masculin le plus complet qui soit. (Gazette des femmes, vol. 13, no 2, p. 24)

Par ailleurs d’autres politiques surgissent. Au Comité d’administration de la revue la Gazette des femmes (vol. 2, .no 5, p. 15), c’est la houle printanière. Marité Vézina- Labrecque l’exprime ainsi :

Faisant parfois fi d’une définition rigoureuse des dictionnaires, allant au-delà de certaines exceptions consacrées de linguistes et grammairiens, bousculant des formes masculines marquées au sceau de la neutralité, nous avons pris position pour une langue qui évolue et s’ajuste aux nouvelles réalités sociales.

L’UNESCO, à son tour, surveille son langage. Tous les fonctionnaires ont un petit guide bilingue (anglais-français) d’utilisation d’un langage non sexiste dans les publications, les documents, les communications et les réunions de l’Organisation des Nations Unies concernant l’éducation, la science et la culture. Ce document répond à une résolution de la Conférence générale proposée par le Canada et les pays nordiques et a été préparé en collaboration avec l’Unité de Coordination des activités relatives aux femmes, (femmes et Hommes dans l’Église, décembre 1992, p. 29)

En 1989, les membres de la Commission pastorale de b Conférence des évêques catholiques canadiens publie une lettre proposant l’usage du langage inclusif. Ils considèrent comme langage inclusif « l’emploi de termes affirmant l’égalité et la dignité de chaque personne », « un langage qui évite tout stéréotype lorsqu’il réfère à l’un ou l’autre sexe » ou, selon la tendance populaire, » une forme d’expression qui permet aux femmes et aux hommes de se reconnaître comme tels dans un message destiné aux personnes des deux sexes ».

Toutes ces politiques accentuèrent l’agitation langagière non sexiste dans l’art d’écrire.

Ondulations littéraires

Sous ce titre « ondulations littéraires », nous avons consulté les SOMMES qui gèrent l’écriture, soit le dictionnaire et la grammaire.

À regret, l’écrivaine Madeleine Gagnon disait en 1989 :

La langue […] ne peut être mienne, […] puisque l’histoire en fait une rivale, dans ses codes (grammaticaux, syntaxiques, stylistiques) appris/transmis dans un dressage aux références quasi toujours mâles et ce, à tous les niveaux de l’appareil scolaire : écoles, académies, sacrés lieux de diffusion, promotion et graduation. (Toute écriture est amour, p. 60)

Et Luce Irigaray déplorait que les futures générations de filles soient éduquées de la même façon que leurs mères :

la petite fille va de plus être niée ou effacée comme « elle » et « elles » par la société ou la culture qui lui imposent un monde du « il », « H », « ils », déjà dans la famille, mais surtout dès l’âge scolaire. Personne ne lui apprendra, dans notre tradition, à valoriser le « elle », le « Elle », le « elles ». (J’aime à toi, p. 124 et 125)

Elle poursuivait sa réflexion en regrettant que l’on s’attarde si peu à la représentation générique qui pourrait faire évoluer cette répartition historique des rôles entre femmes et hommes, et modifier ainsi la valeur de « elle(s) » en tant que « elle(s) » et dans les relations avec « il(s) ». (Idem, p. 127)

Louky Bersianik (Ludlle Durand), une romancière québécoise, dans son roman L’Euguélionne considéré par certains critiques comme somme féministe, illustre la vigueur d’une houle langagière favorable aux femmes. Tout au cours de son triptyque, l’Euguélionne, une extra-terrestre, questionne sans ménagement la situation discriminatoire vécue par les femmes et perpétuée dans l’éducation des enfants sur la planète Terre.

Et pourquoi apprend-on aux enfants à l’école que le Masculin l’emporte sur le féminin ? Pourquoi le Masculin conquiert-il le monde tandis que le féminin lave la vaisselle ?[…] Et pourquoi n’est-il pas bon pour l’Homme que la femme soit Humaine ? (L’Euguélionne, p. 225)

Et aux femmes qui l’informent que c’est l’Académie française qui gère la langue, elle rétorque aussitôt :

N’attendez plus de permission […]. Faites des fautes volontairement pour rétablir l’équilibre des sexes. Inventez la forme neutre, assouplissez la grammaire, détournez l’orthographe, retournez la situation à votre avantage, implantez un nouveau style, de nouvelles tournures de phrases, contournez les difficultés, dérogez aux genres littéraires, faites-les sauter tout bonnement. (Idem, p. 230)

II semble bien que ce soit là la liberté prise par les féministes de notre fin de siècle afin de sortir peu à peu la langue d’un peuple mâle, chauviniste. On recherche toujours plus de féminins acceptables pour désigner le vécu des femmes. Mais au dire de l’Euguélionne, c’est insuffisant : il faut aborder toute écriture en déplaçant son monde de quelques millimètres vers le côté féminin : l’art et la littérature y gagneraient beaucoup. Tous les livres sont remplis de la femme », mais elle y est mal conçue, mal accouchée. Toutes choses existantes dans le cerveau des Hommes sont imprégnées de « la femme » mais d’une substance stérilisante pour elle. (Idem, p. 257)

Cependant, la grammaire maintient le monde du côté masculin. Selon Pierre Bourgault, elle a un sexe (L’Actualité, vol. 4, no 11, p. 105). Au Québec, môme si Ma grammaire de Jacob et Laurin comporte un chapitre sur la féminisation des textes (p. 339-342), la féministe Louise Dubuc peut encore s’écrier :

J’avais espéré que ma fille ne chanterait pas en choeur, comme je l’ai fait en classe « le masculin l’emporte sur le féminin1‘ […] si on m’avait donné le pouvoir de rafraîchir notre si sexiste grammaire, j’aurais adopté la règle suivante : on accorde selon le terme le plus près du mot à accorder.

De cette façon, chaque personne ayant à rédiger un texte pourrait lui donner la teinte, féminine ou masculine, qu’elle préfère. (Femmes d’ici, Janvier-Février 1991, p. 11)

Le dictionnaire, né au XVIIe siècle et que l’on consulte en diverses éditions, poursuit la reproduction de la misogynie :

. Le Petit Larousse en couleur (1988) ;

. Le Dictionnaire du Français Plus (1988) ;

. Le Dictionnaire du français Hachette (1989) ;

. Le Dictionnaire des canadianismes (1989) ;

. Le Petit Robert (1990) ;

. Le Petit Larousse illustré (1991).

On n’y remarque pas d’effort sensible de désexisation. Pourtant, dans nos dictionnaires, on n’hésite pas à officialiser de plus en plus de mots dérivés de l’anglais. Les langues seraient-elles plus importantes que les femmes ?

Un mouvement neuf, le Multidictionnaire des difficultés de la langue française, ouvrage québécois, accorde une juste place au féminin dans les titres et les exemples. Même les formes féminines et masculines d’un même mot figurent à des endroits différents et contiennent leurs définitions particulières.

De plus les membres du Bureau d’approbation du ministère de l’Éducation, qui vérifient le matériel didactique, qui leur est soumis, ont préparé une grille d’évaluation pour assurer une juste représentation des personnages féminins et masculins dans les nouveaux volumes et soulignent que les dictionnaires devraient refléter les changements sociaux, c’est-à-dire l’égalité des sexes et des races.

En anglais, il existe un dictionnaire, A feminist dictionary, où les deux auteures, C. Kramarae et P.A. Treichter, se sont plu à faire valoir le point de vue des femmes en y relatant les événements de l’histoire et de la politique les concernant.

La linguiste Hélène Dumais, en dépouillant les grands quotidiens relativement à la féminisation des titres et du discours au Québec entre les années 1976 et 1986, a noté trente-trois interventions sur le sujet dans La Presse, vingt-six dans Le Devoir et quatorze dans Le Soleil. Les divers autres journaux régionaux avaient évoqué le sujet à quelques reprises seulement.

Au Québec, les femmes écrivent et publient. Rappelons ici la création de quelques revues qui ont contribué à la transformation de la langue :

. En 1970, publication de la première revue féministe : Québécoises debouttes !

. En 1976, fondation d’un journal féministe radical Les télés de pioche et de la revue L’autre Parole.

. En 1979, lancement de la Gazette des femmes, revue qui dure toujours.

. Et en 1980, naissance du magazine féministe La Vie en rosé.

Oui, il faudra bien qu’un jour la langue s’ajuste à ce que les femmes sont devenues ! Dès 1978, l’ouvrage de Marina Yaguello, Les mots et les femmes, annonçait le vaste mouvement de la critique féministe du langage qui s’étendit même au domaine religieux.

Ondulations ecclésiales

En 1971, un groupe de femmes d’Edmonton présentait à l’épiscopat canadien un corpus de recommandations visant la place des femmes dans l’Église. Depuis huit autres ont suivi venant de divers regroupements féministes.

On demande à l’Église-Institution un réel effort pour faire dorénavant usage d’un langage non sexiste à tous les niveaux.

L’A.F.E.A.S. en 1982 demande aux pasteurs de tenir compte des deux sexes tant dans leurs interventions pastorales que liturgiques (R.6.6). Le comité « ad hoc » d’Elisabeth J. Lacelle fait appel aux évoques en 1984 pour qu’ils éveillent la conscience ecclésiale à ce sujet et pour qu’eux-mêmes utilisent, dans leurs interventions, le langage inclusif (R. 7.2).

Et une recommandation, votée à l’occasion de la session des femmes avec les évoques en 1986, va dans le môme sens (R.9.5). (Souffles de femmes, p. 42)

C’est ainsi que d’un appel à l’autre, la Conférence des évoques catholiques canadiens mandate sa Commission Pastorale de publier en 1989 une Lettre intitulée : Un langage nouveau pour la Communauté chrétienne. Selon les évoques, l’harmonie originelle de la création, la vision théologique de l’Église comme communion et l’évolution des langues parlées sont des considérants favorables à la proposition de l’emploi du langage inclusif.

Dans cette lettre, on souligne qu’il faut cependant tenir compte des degrés de sensibilité de la communauté et cette recommandation ralentit toujours l’emploi du langage inclusif, témoignant mieux d’une chrétienté soucieuse de justice évangélique.

Malgré de louables efforts, la célébration liturgique demeure pleine d’ambiguïté.

En dépit des bancs d’église remplis principalement de femmes, le langage de la liturgie a admis que le masculin est la norme, le pleinement humain, et le féminin l’exception, le sous-humain. I a proclamé que Dieu aussi est masculin, et plus : Roi, Seigneur, Père et Maître. (ConcHium, no 202, p. 72)

À cet effet, Rosemary Radford Ruether en 1981 proclamait la juxtaposition du féminin au masculin dans renonciation du nom divin  : Dieu/Déesse ou Dieu/éesse. Ceci rendrait compte des aspects féminins de Dieu proposés dans les récits bibliques mais aussi des quêtes primitives du divin, inscrites dans les récits mythologiques. (Concilium, no 163, p. 101)

Cependant au Québec, une pratique grandit peu à peu. Des formulations féministes de Dieu sont énoncées dans les textes liturgiques et les prières alternatives formulées par des femmes québécoises. L’appellation Dieue s’avère le choix théologique et politique du groupe L’autre Parole au colloque de 1988 (L’autre Parole, no 40, p. 29). Et, deux théologiennes de chez nous, Denise Couture et Marie-Andrée Roy, expliquent ce choix en lien avec la féminisation discrète et progressive de la langue française québécoise. Depuis une quinzaine d’années, on féminise davantage par l’ajout d’un « e » le plus souvent muet alors qu’en Suisse, on n’hésite pas à le faire entendre. (Dire Dieu aujourd’hui, p. 133 à 146)

Selon Marjorie Procter-Smith, un lectionnaire féministe doit proclamer la résurrection, victoire de la vie sur la mort, dans les textes qui ne soient pas assujettis au langage sexiste ou aux images dégradantes de la femme mais aussi rappeler les histoires de violence, de souffrance et de lutte des femmes dans notre héritage (Concilium, no 202, p. 83). Trop souvent l’ensemble des célébrations liturgiques se déroule dans ce langage androcentrique où le masculin « invisibilise » toujours le féminin et où les textes bibliques incitent à la servitude.

Toujours sous la pression des recherches et des requêtes des divers mouvements féministes, des appels sont encore relancés ici et là :

. En 1990, une cinquantaine de femmes réunies à l’occasion du colloque de Concilium à Louvain, adressait au comité de rédaction de la revue la proposition suivante

Nous proposons que Concilium adopte le langage inclusif, car tout discours exclusivement masculin est sexiste et donc inacceptable. Les articles et les traductions qui ne se conformeraient pas à cette règle devraient être refusés. Les représentations religieuses et le symbolisme sexistes contribuent à maintenir l’exclusion et l’oppression des femmes dans l’Église et dans la Société. (Femmes et Hommes dans l’Église, no 43, p. 4)

. Puis l’Association pour le langage inclusif du C.W.R.C. de Londres présente une série de moyens de réflexion et de travail pour trouver un langage qui tienne compte des femmes et des hommes dans la prière et la célébration liturgique (Femmes et hommes dans l’Église, no 47, p. 28).

À la lumière des nouvelles recherches sur la langue et sur l’histoire, on remet même en question le texte biblique fixé par les rabbins du temps.

Des théologiennes féministes scrutent le texte originel si bien que Marie-Claude Beaulieu dans la revue Scriptura (no 10, p. 7-24), a traduit comme suit les cinq dés d’interprétation de la Bible identifiées par Carolyn Osiek :

. réjectionniste (Bible irrécupérable à cause de son patriarcalisme et de son langage androcentrique)

. loyaliste (Tradition biblique valide mais à compléter par une exégèse féministe)

. révisionniste (Le patriarcat s’avère non intrinsèque à la révélation biblique.)

. sublimationniste (La Bible est source de symboles féminins et de l’Autre au féminin.)

. libérationniste (Le message biblique peut être favorable aux femmes.)

À la fin du siècle dernier, Elisabeth Cathy Stanton publie Women’s Bible. Elle y raconte l’histoire de son projet de réécrire la Bible en interprétant tous les passages concernant les femmes et démontre que la Bible est centrée sur l’homme. Sa publication ne fut pas vaine (Gazette des femmes, mars-avril 1991, p. 32).

Depuis 1950, des équipes d’anglicans, de protestants et de catholiques à la dernière heure, ont travaillé à la Nouvelle version révisée (New Revised Version) de la Bible courante. Cette traduction en anglais, fondée sur le recours au langage inclusif (respectueux du féminin et du masculin) parut en 1990 dans sa version finale.

Cette Bible reçut un accueil favorable des évêques dans le monde anglo-saxon et la version fut même acceptée par la Congrégation pour la liturgie et les sacrements. Des Lectionnaires ont été édités rapidement et la C.É.C.C. a vendu de nombreux exemplaires de cette nouvelle version à d’autres conférences épiscopales aux États- Unis et à plusieurs pays anglophones. Cependant, en octobre 1994, la Congrégation pour la doctrine de la foi, présidée par le cardinal Joseph Ratzinger, a annulé l’approbation de la version révisée de la Bible courante. Malaise au Vatican autour du langage inclusif ! Une brèche… une ouverture ? Mgr Jean-Guy Hamelin, président de la C.É.C.C., obtint l’autorisation de continuer l’utilisation du nouveau Lectionnaire en attendant le consensus des deux Congrégations en cause (Présence Magazine, mars-avril 1995, p. 8-9).

La houle du langage inclusif poursuit son ondulation puisqu’on 1996, la dernière exhortation apostolique sur la vie consacrée manifeste un effort de traduction en langage non sexiste et cela de la Cité vaticane.

Un langage révélant l’égalité originelle, énoncée dans les Écritures

À travers les ondulations politiques, littéraires et ecclésiales de cette réflexion, des crêtes et des creux ont été identifiés. Mais la lame de fond féministe recrée patiemment la houle du langage inclusif en haute mer. Bientôt toute parole devra rendre compte de l’égalité originelle, promue dans les Écritures dont voici quelques références :

« Femmes et Hommes, II les créa. », lit-on dans la « Bible » (Genèse).

Le « Coran » répète que Dieu produit ses créatures par paires et le texte sacré s’adresse aux hommes et aux femmes directement.

Les Écrits baha’is élèvent la question d’égalité à celle de principe sacré, ayant des conséquences radicales sur toutes les sphères de l’activité humaine.

Puis, dans les « Gâthâs », on signale explicitement la présence de la femme dans la société et son égalité avec l’homme.

En juin 1996, la réflexion d’une enfant de six ans, motivant les accords au féminin dans son texte parce qu’elle était une fille, annonce peut-être la houle d’une littérature nouvelle offrant des oeuvres dans les deux genres. Tout cela en juste représentation de l’humanité mais surtout parce que « toute écriture est amour » quand dans le langage on souligne pour chacun, femme ou homme, la liberté de se dire en être humain pleinement accompli.

Sources consultées

Ouvrages

BERSIANIK, Louky, L’Euguélionne, roman triptyque, Éd. de la Presse Ltée, Montréal, 1976.

DUMAIS, Hélène, La féminisation des titres et du discours au Québec, Cahier de recherche GREMF, 1987.

DUMAIS, Monique et Marie-Andrée ROY, Souffles de femmes, Lecture féministe de la religion, Éd. Paulines et Médiaspaul, 1989.

GAGNON, Madeleine, Toute écriture est amour, Autographie 2, V.L.B., Québec, 1989.

IRIGARAY, Luce, J’aime à toi, Bernard Grasset, Paris, 1992.

JACOB, Roland et Jacques LAURIN, Ma grammaire, Coll. Réussite, Québec, 1984.

KRAMARAE, C. et P.A. TREICHLER, A feminist dictionary, London, Pandora Press, 1985.

MENARD, Camil et Florent VILLENEUVE, Dire Dieu aujourd’hui, Héritage et projet, no 54, Rdes, 1994.

YAGUELLO, Marina, Les mots et les femmes, Payot, Paris, 1978.

Le sexe des mots. Éd. Belford, Paris, 1989.

Revues

C’est-à-dire, Montréal, vol. 1, no 8, décembre 1961, vol. 1, no 12, février 1963 et vol. 3, no 11, mars-avril 1966.

Concilium, no 163, Beauchesne, Paris, 1981 et no 202, 1985.

Femmes d’ici, janvier-février 1991.

Femmes et Hommes dans l’Église, Bulletin international, Paris, no 43, octobre 1990 et no 47, septembre 1991.

Gazette des femmes, Conseil du statut de la femme, Québec, vol. 2, no 5, octobre 1980, vol. 13, no 1, mai-juin 1991 et vol. 13, no 2, juillet-août 1991.

L’Actualité, vol. 4, no 11, novembre 1979.

L’autre Parole, no 40, décembre 1988.

Orbis, Paris, vol. 2, no 1, 1953.

Présence magazine, mars-avril 1995.

Scriptura, no 10, Montréal, septembre 1992.

1 Houte :n.f. 1. Mouvement ondulatoire de ta mer formant des lames longues et élevées qui ne déferlent pas Ces lames etes-mémes. 2. Fu. Ondulation, mouvement répétait la surface dune mer agitée, Dictionnaire du Français plus. C.E.C.Montréal, 1988.