LAÏCITÉ ET PORT DE SIGNES RELIGIEUX

LAÏCITÉ ET PORT DE SIGNES RELIGIEUX

Prendre position pour les droits et les libertés de toutes les femmes

Michèle Asselin

Le débat sur la laïcité et le port de signes religieux dans la fonction publique et les services publics québécois est toujours d’actualité. Et il interpelle le mouvement des femmes à en juger par les discussions polarisées qui se sont déroulées lors du colloque « Retraçons notre histoire, préparons nos luttes » dans le cadre des États généraux du féminisme (Québec, mai 2012). La lutte contre la montée des intégrismes religieux a été un des enjeux retenus pour la poursuite de la réflexion collective devant mener à la conclusion des États généraux (octobre 2013). Pour certaines, cette lutte passe obligatoirement par l’interdiction du port de signes religieux. Elles espèrent que les États généraux adopteront une position contraire à celle adoptée par la Fédération des femmes du Québec (FFQ) qui s’est prononcée contre l’interdiction de signes religieux (mai 2009). Or, si la lutte contre l’obligation de port de signes religieux est indissociable du combat émancipateur des femmes, l’interdiction de porter des signes religieux portés volontairement constitue un acte d’oppression.

Ni interdiction, ni obligation !

Il est important de rappeler la position prise par les membres de la FFQ, parce que des allégations mensongères, transmises par des médias et aussi par certaines féministes, en ont miné sa crédibilité et ont même remis en cause ses processus démocratiques, voire son intégrité ! Et aussi, parce que trop souvent on la critique sans en englober son intégralité.

–    C’est après une réflexion rigoureuse, lors d’une assemblée générale spéciale, le 9 mai 2009, que les membres de la FFQ prenaient position sur cette épineuse question. Elles se sont alors prononcées en très grande majorité contre l’interdiction de porter des signes religieux dans la fonction publique et les services publics québécois à l’exception des juges, des procureures et procureurs de la Couronne, des policières et policiers, des gardiennes et gardiens de prison, des personnes assumant la présidence et la vice-présidence de l’Assemblée nationale ainsi que des personnes exerçant des métiers ou professions où la sécurité exige l’interdiction ou la restriction de certains signes religieux.

Elles ont également pris position contre l’obligation de porter tout signe religieux, particulièrement contre l’obligation politique qui est faite aux femmes de les porter dans certaines sociétés.

Lors de cette rencontre, les membres de la FFQ ont également réaffirmé qu’elles sont pour la liberté religieuse, mais contre les intégrismes de toutes les religions et qu’elles entendent bien poursuivre, sans relâche, la lutte contre les violations commises au nom des religions en exhortant les gouvernements québécois et canadien à :

 respecter, promouvoir et mettre en œuvre les engagements qu’ils ont pris de protéger les femmes contre toutes les violations des droits des femmes à la vie, à l’intégrité de la personne, à disposer librement de leur corps, à l’accès à la contraception et à l’avortement, à la liberté de circulation, au choix de la ou du partenaire ;

 prendre tous les moyens nécessaires pour lutter contre ces violations, notamment : la violence conjugale, les agressions sexuelles, les crimes d’honneur, les mariages forcés, la polygamie, les mutilations génitales féminines ;

 prendre tous les moyens pour assurer aux femmes immigrantes le droit à l’emploi sans discrimination et un réel accès à l’emploi tant dans les secteurs publics que privé ;

 prendre position au sein d’instances internationales, comme les Nations Unies, contre les violations des droits des femmes justifiées par le relativisme religieux ou culturel partout dans le monde.

Cette position a été développée en abordant la question sous trois angles : l’analyse féministe, la discrimination que vivent les femmes immigrantes ou racisées et le modèle québécois de laïcité. Cette grille d’analyse est toujours valide.

L’analyse féministe

Toute analyse féministe ne peut ignorer l’existence d’inégalités entre les femmes elles-mêmes. On doit donc tenir compte de l’intersectionalité, c’est-à-dire du croisement des multiples discriminations, qui interagissent les unes par rapport aux autres, subies par les femmes issues de groupes ethnoculturels et racisés. Les systèmes d’oppression que sont le patriarcat, le capitalisme, le racisme et le néocolonialisme n’agissent pas indépendamment l’un de l’autre et produisent des inégalités sociales différentes pour les femmes blanches, de couleur, ou celles appartenant à des groupes stigmatisés. Interdire le port de signes religieux dans les institutions publiques aurait très certainement pour effet d’augmenter la discrimination à l’égard de femmes déjà discriminées et d’entraver ainsi la poursuite de leur autonomie financière.

Pareillement, on ne peut faire fi des grands principes de l’intervention féministe. Ces principes prônent la nécessité de respecter le rythme, les choix, les valeurs et les besoins des femmes concernées. Les propos d’intervenantes féministes qui mettent pourtant en pratique ces principes sont parfois étonnants…

La discrimination vécue par les femmes immigrantes et racisées

Interdire le port de signes religieux dans les institutions publiques aurait certainement pour effet d’augmenter la discrimination à l’égard de femmes déjà discriminées et de les stigmatiser au sein d’autres institutions ou milieux de travail, voire dans l’espace public. Le danger qu’une mesure allant dans ce sens provoque un renfermement sur soi, un repli identitaire, de certains groupes minoritaires dans la société est réel. Cette ghettoïsation favoriserait le maintien de traditions d’origine souvent défavorables aux femmes et, par conséquent, contraires à l’égalité entre les femmes et les hommes. En se prononçant contre l’interdiction du port de signes religieux, on prône plutôt le processus d’intégration à la société d’accueil, à ses valeurs et à ses droits fondamentaux, par un véritable accès à l’emploi tant dans les secteurs public que privé.

Pour une laïcité ouverte

Maintes fois, la position s’opposant à l’interdiction de signes religieux a été opposée à celle de la laïcité. Interdire ou permettre le port de signes religieux correspond non pas à une situation plus ou moins « pure » de la laïcité, mais à une conception différente de celle-ci dans l’un et l’autre cas1.

Le modèle de laïcité qu’on dit « ouverte » reconnaît la nécessité de la neutralité de l’État, mais aussi l’importance que plusieurs personnes accordent à la dimension spirituelle, et assure la protection de la liberté de conscience et de religion. Alors que la liberté de conscience inclut le droit de manifester sa croyance religieuse, les institutions publiques québécoises doivent permettre, autant à ses usagères et usagers qu’à son personnel, le port de signes religieux, visibles ou non. La neutralité de l’État est basée sur les actes que celui-ci réalise et non sur l’apparence des personnes qui le composent. En effet, des employées et employés pourraient faire de la propagande ou du prosélytisme tout en n’arborant aucun signe ou symbole religieux, et ainsi, nuire davantage à la neutralité de l’État. Cette conception implique que toutes les personnes qui travaillent au sein des institutions publiques, qu’elles portent un signe religieux ou non, ont le devoir d’appliquer dans l’exercice de leurs fonctions, les règles et les lois étatiques ou institutionnelles. Là-dessus, pas de compromis possible.

Le port de signes religieux peut cependant être restreint pour les personnes qui exercent certaines fonctions d’autorité ou pour des raisons de sécurité.

En prenant position contre l’interdiction du port de signes religieux, il n’est pas question d’en promouvoir le port, mais simplement de ne pas le proscrire, puisqu’une telle interdiction porterait atteinte aux droits des femmes qui choisissent librement d’en porter.

Pour un Québec pluriel et inclusif

Depuis le 11 septembre 2001, le monde s’est divisé sur une base dite « religieuse ». Les identités « religieuses » auraient pris le pas sur les identités « nationales ». On assiste à une montée des intégrismes religieux. Cette nouvelle réalité, s’additionnant à l’insécurité économique mondiale, provoque souvent de l’inquiétude.  Ce sentiment mène parfois au rejet de l’autre, des immigrants et des immigrantes, particulièrement ceux d’origine arabo-musulmane, des communautés ethnoculturelles en général ainsi que de tous ceux et celles qui pratiquent d’autres religions. Au Québec, l’utilisation de l’expression « nous » est devenue trop souvent exclusive, rejetant la diversité et la différence, au détriment du « nous » pluriel et inclusif qui fait la fierté de notre société.

Pour contrer la montée des fondamentalismes religieux, les féministes doivent accroître leur vigilance. Elles doivent débusquer la récupération par la droite du discours sur l’égalité entre les femmes et les hommes pour justifier un discours raciste.

Le mouvement des femmes doit maintenir son parti pris pour la défense des droits etlibertés de toutes les femmes ! Les États généraux du féminisme devraient être l’occasion de réaffirmer la position prise par la FFQ en faveur d’une laïcité ouverte et contre l’interdiction du port de signes religieux.

1. MILOT, Micheline. La laïcité, Collection 25 questions, Ottawa, Novalis, 2008.