L’ASCENSION ou L’ENVOI EN MISSION

L’ASCENSION ou L’ENVOI EN MISSION

Marie Gratton

Nous avons coutume de célébrer la fête de l’Ascension quarante jours après Pâques. Heureuse coïncidence que nous ne pouvions ignorer en cette année qui marque le quarantième anniversaire de L’autre Parole. Mais cette distance que la liturgie a établie dans le temps ne doit pas nous distraire du fait que résurrection et ascension sont deux facettes d’un même mystère : la glorification par le Père de la personne de Jésus. Le sceau d’approbation de Dieu sur la vie et le message du Nazaréen dont le caractère dérangeant, et en quelque sorte révolutionnaire, l’a fait accuser de blasphème et condamner à mort. Signalons en passant que l’Évangile selon Luc souligne bien ce lien entre résurrection et ascension en regroupant les deux expériences vécues par les apôtres en un seul jour, alors que dans les Actes des Apôtres on parle d’un délai de quarante jours. Quarante, nombre qui, dans la tradition biblique, marque une période d’épreuve, d’initiation, de conversion et d’approfondissement des expériences vécues.

Les Évangiles nous apprennent que les apôtres, après un moment de découragement, lié à la mort de leur maître, et à ce qui semblait l’échec de sa mission, ont vécu des expériences spirituelles intenses qui leur ont fait croire que celui qui avait été crucifié était vivant pour toujours, d’une vie sans commune mesure avec notre vie terrestre, mais une vie nouvelle, transformée, défiant toute description… Une vie dont la foi nous dit qu’elle pourra satisfaire notre soif d’absolu et d’infini.

Cette vie renouvelée que nous attendons dans l’espérance, la communauté chrétienne primitive affirme que le Père en a déjà comblé Jésus. Pour exprimer cette conviction, saint Paul et les évangélistes reprennent le vocabulaire dont l’Ancien Testament se servait pour dire comment Dieu glorifierait ses serviteurs : Il les relèverait d’entre les morts à la fin des temps. Il leur redonnerait la vie. Pour Jésus, Il n’a pas attendu aussi longtemps…

Nous savons que l’Écriture fait grand usage du langage symbolique pour décrire l’indescriptible et exprimer l’inexprimable, en un mot, pour balbutier le mystère de Dieu, de l’être humain, de la personne de Jésus.

Ainsi les textes du Nouveau Testament nous parlent de l’Ascension comme de la montée de Jésus vers son Père, ils nous disent que dorénavant il est assis à la droite de Dieu. Celui-ci le reconnaît comme sien. Il fut vraiment, et demeurera à jamais, le visage de Dieu tourné vers les femmes et les hommes de tous les temps.

Si nous nous contentions d’imaginer la scène, comme dans nos anciens catéchismes illustrés, en nous représentant Jésus se déplaçant de la terre au ciel en passant à travers les nuages à la manière dont les fusées s’arrachent à la gravité terrestre, nous passerions, à coup sûr, à côté de l’essentiel du message.

Tous les textes, il faut en convenir, évoquent l’Ascension comme une montée au ciel à travers la nuée, donc comme un phénomène observable avec les yeux. Mais nous savons par ailleurs que l’Écriture sainte est familière avec l’usage d’un vocabulaire concret pour exprimer les réalités spirituelles, celles qui, précisément, échappent à l’observation des sens.

Mais rapprochons-nous de notre propre expérience, et de l’usage que nous faisons à tout propos du verbe « voir » pour exprimer notre compréhension d’un événement ou d’une idée. « Je vois ce que tu veux dire. » Nous nous servons d’un verbe qui, dans son sens premier, définit une activité sensorielle : percevoir avec les yeux, pour exprimer une activité intellectuelle : comprendre.

Il arrive même qu’on se serve du verbe voir, qui normalement se réfère à la présence, pour évoquer le vide de l’absence. « Je la vois partout dans la maison », dira-t-on d’une personne décédée dont l’absence nous obsède. Une chose est certaine, le Maître n’est plus là, et cette absence force ses disciples à le rendre présent en perpétuant son enseignement. La prise de conscience d’une absence définitive fait voir l’obligation d’agir pour rendre présente à toutes les nations l’annonce du règne de libération, d’amour, de justice inauguré par sa prédication. L’ascension marque le début de la mission. « Hommes de Galilée pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? » (Ac 1,11), leur disent « deux hommes vêtus de blanc ». Leur travail de mémoire doit s’incarner dans l’action, le nôtre aussi. Voilà ce que nous enseigne l’Ascension. Et pendant ce temps-là, dans notre Église, pour nous les femmes, les choses n’avancent qu’au rythme d’une valse hésitation. Certainement pas à celui d’un tango, même sous un pape argentin.

Qu’il me soit permis, en guise de conclusion, de reprendre un bref extrait de ma « Ballade des exilées », inspirée du Psaume  137 que j’ai écrite il y a bien des années, mais dont le ton est encore de mise pour les féministes chrétiennes que nous sommes. Bien sûr, certaines choses ont changé depuis. Nous avons élargi notre « zone d’influence » auprès de certains membres du clergé, dans certaines régions du monde, comme on me l’a plusieurs fois fait remarquer, et comme j’ai pu moi-même le constater. Mais les structures hiérarchiques et sexistes de l’Église n’ont pas changé : la zone du pouvoir demeure interdite aux femmes. Volonté de Dieu ? Volonté de Jésus ? Volonté surtout, peut-être ? d’un patriarcat sexiste, misogyne et satisfait de lui-même.

Ma Ballade porte l’empreinte d’une tristesse, mais ses derniers mots manifestent que nous sommes « en mission », et portées par l’espérance.

« Au bord du fleuve de tous les exils
auxquels nous condamne le patriarcat,
nous nous tenons debout
le temps n’est plus aux larmes,
aux peupliers d’alentour
reste hissée la bannière de nos combats…

« Au bord du fleuve de tous les exils,
fortes de ta mémoire, Fils de Marie,
pour la justice, nous bâtissons. »