Le ministère ordonné féminin et l’Église, épouse du Christ

Le ministère ordonné féminin et l’Église, épouse du Christ

Les dernières déclarations papales sur la non-accessibilité de la femme au ministère ordonné soulèvent la question de la pertinence ou de l’impertinence du ministère ordonné chez la femme dans l’Église catholique romaine. Tous les fidèles sont invités à faire sienne cette dernière position. Comment alors situer la femme ? Comment soutenir toutes celles qui, tout en croyant l’Église, se trouvent déchirées devant un tel refus ? Cette doctrine aurait été conservée par la Tradition constante et universelle de l’Église, affirme-t-on. Qu’en est-il alors de la tradition sacerdotale (ecclésiale-mariale) transmise par certains fondateurs de communautés religieuses ?

En solidarité avec toutes les femmes qui souffrent de cette non-accessibilité de la femme au ministère eucharistique, je vous présente le cheminement de foi qui me conduit toujours à croire à une possible ré-ouverture de la question. Je ne peux me résoudre à croire le débat définitivement clos. L’histoire de l’Église est là pour nous rappeler les difficultés qu’ont rencontrées les principaux réformateurs du clergé, l’ambiguïté de leur position et l’orientation nouvelle qu’ils souhaitaient. Dans cet article, je ne citerai que saint Louis-Marie Grignion de Montfort et sa dévotion mariale comme ouverture au ministère et saint Jean de la Croix dans sa doctrine christologique, mariale-ecclésiale.

Auparavant, je tiens à souligner que la question du ministère m’habite depuis l’enfance. Cette question n’est pas issue des derniers débats ecclésiaux quoique je sois solidaire de mes soeurs dans l’apostolat n’ayant aucune réticence à situer cette question au niveau de la modernité. Mariée, heureuse avec mon époux, mère, je croyais ce désir totalement disparu lorsque m’engageant de plus en plus au sein de l’Église, je repris la route des études, études collégiales et universitaires, afin de comprendre mon expérience de foi. La souffrance de mes consœurs m’interpellait. Comme elles, je découvrais qu’il n’y avait aucune raison théologique pour refuser le ministère sacerdotal à la femme. Or, un matin d’automne, désirant tout abandonner pour aller vers les pauvres, une amie me conseilla de rencontrer un père oblat de Marie- Immaculée, spécialiste en mariologie. Ce dernier me dit alors des paroles qui, demeurent, aujourd’hui encore gravées dans mon coeur : « Des pauvres, il y aura toujours des personnes pour s’en occuper, l’Église a besoin de chercheures, et il n’y en a pas beaucoup. Vous voulez faire quelque chose pour l’Église, alors analysez la pensée mariale du Père de Montfort « . Ayant travaillée pendant six ans dans une paroisse montfortaine, je résolus de répondre à cette attente.

Inscrite à la maîtrise, l’automne suivant, j’analysai donc le Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Et, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir l’orientation ecclésiologique nouvelle proposée par une prise de position en faveur de l’ordination des femmes. Dans un schéma totalement liturgique, le père de Montfort justifie son énoncé et définit le rôle médiateur de Marie à partir de la compréhension du rôle médiateur du prêtre. Il souligne la dignité sacerdotale de Marie. La doctrine montfortaine transforme la dévotion de son prédécesseur, le cardinal Pierre de Bérule, initiateur de la spiritualité sacerdotale mariale-ecclésiale en France, en effectuant le passage d’une vision trinitaire centrée sur le Père (Marie, épouse du Père) à une relation nouvelle à l’Esprit (Marie, épouse de l’Esprit). Disciple de saint Bernardin de Paris1, il confirme cette dévotion par la vie unitive de Jésus et de Marie lors des paroles consécratoires : « Venez manger mon pain qui est Jésus et buvez le vin de son Amour »2. Pour le ministère, les critères de discernement deviennent l’Appel de Dieu au coeur de tout être humain, homme ou femme, et la reconnaissance du rôle actif de Marie-Église dans l’histoire du salut. L’Annonciation fonde sa dévotion. Aussi, est-il intéressant de rappeler l’originalité de cette fête, symbole de l’ordination, chez son prédécesseur Saint-Cyran, ami du cardinal de Bérulle.

Après cette analyse, le concept sponsal de « l’Église-épouse » continuait toutefois à m’interpeller. Je désirais comprendre ce qu’il signifiait pour saisir davantage en quoi cène ouverture était favorable aux femmes. Le concile Vatican II ayant établi la nature christique du ministère, qu’en était-il des visions trinitaires déjà citées ? Telles étaient les questions nouvelles qu’avaient suscitées mes recherches. Je résolus alors de pénétrer au coeur de la symbolique en approfondissant la pensée du Docteur Mystique, saint Jean de la Croix. Sa christologie devenait fondamentale pour l’ouverture souhaitée. Elle permettait une compréhension autre du ministère « in persona Christi ». En effet, la pensée sanjuaniste conduit non seulement à découvrir l’action de Dieu au sein de l’existence chrétienne mais elle rend possible la saisie d’une dynamique sacerdotale ecclésiale, d’une Église-épouse du Christ, sans distinction entre les hommes et les femmes dans leur relation au divin. La dynamique de l’Église-Épouse devient le lieu de la reconnaissance non seulement de tout homme et de toute femme dans leur communion au Christ Jésus mais de la communion du Christ Jésus à l’Humanité par ces hommes et ces femmes.

Aussi cette pensée sanjuaniste devient-elle fort intéressante pour la question qui nous préoccupe aujourd’hui. Toujours actuelle, elle interpelle la « nature » même du ministère, présentée au concile Vatican II3. Chez saint Jean de la Croix, on retrouve la double polarité christologique soulignée dans la spiritualité montfortaine : « Le Christ, qui est la Tête, n’a point parlé en son nom seulement, écrit-il dans son Cantique spirituel, mais au nom de son corps mystique tout entier, qui est l’Église »4, telle Marie dans sa vie donnée et reçue en Jésus-Humanité. Fondée bibliquement, cette pensée ne justifie-t-elle pas pleinement l’ordination des femmes au sacerdoce ?

Telles sont les questions posées à l’Église, en cette nouvelle année. Je souhaite donc à toutes celles qui oeuvrent en Église de voir leur engagement pleinement reconnu par une ré-ouverture du débat. Je le souhaite non seulement pour nous mais aussi pour toutes les jeunes filles qui portent en elles le désir du ministère.

Margo Gravel-Provencher, théologienne

1 Saint Bernardin de Paris, La Communion : ‘elle peut dire avec les prêtres : Voici mon corps, voici mon sang, car la chair de Jésus est la chair de Marie, dit saint Augustin », cf. Oeuvres de Saint Augustin, homélies sur l’évangile de saint Jean – 71 -, Desclée de Brouwer, Paris, 1969, p. 579.

2 Traité de la Vraie Dévotion, no. 208.

3 Vatican II, Presbyterorum Ordinis, no. 2.6.12.

4 Cantique Spirituel B. 36,5 ; Col 1,18.24 ; He 5 et ss.