LE NOUVEAU TESTAMENT RÉPOND-IL À LA QUESTION DU MINISTÈRE DES FEMMES ?

LE NOUVEAU TESTAMENT RÉPOND-IL À LA QUESTION DU MINISTÈRE DES FEMMES ?

Olivette Genest  prof, d’exégèse à la faculté

de théologie de l’Université de Montréal 1

La montée des femmes dans la société a posé la question de leur place dans l’Église. Dans une structure hiérarchique fortement marquée par la distinction clercs-laïques, les femmes, cantonnées dans le laïcat, peuvent-elles accéder aux ministères, devenir ministres officiels ? Dans la perplexité et la passion des controverses on se tourne vers le Nouveau Testament pour y chercher des indications de réponses. Quelle a été sur ce point la pratique de Jésus et des premières communautés ?

Ce recours à la source est légitime, nécessaire, voire indispensable. Il a été abondamment pratiqué, donnant lieu à des réponses négatives : Jésus n’a pas mandaté de femmes et les apôtres ont suivi son exemple. L’exégèse biblique récente fait cependant un pas de plus et conclut que rien dans ce Nouveau Testament ne s’oppose à une « ordination » actuelle des femmes.

Mais a-t-on suffisamment réfléchi à la façon de poser la question au document fondateur ? A tel type de question, tel type de réponse. Certaines manières d’aborder le texte rendront même impossible de retrouver des femmes dans les différents ministères de l’Église primitive. On n’y trouvera pas non plus de prêtres masculins, ou d’apôtres se présentant comme prêtres, si on y entre par la définition du sacerdoce ministériel d’aujourd’hui ! En conclurait-on pour autant à la non-existence de ce ministère ? Parmi ces impasses créées dans la question de départ, citons brièvement :

1- La recherche des ministères dits féminins, d’un féminin donc défini à l’avance, restreint aux seuls gestes traditionnellement codés comme féminins. On se heurtera ici dans le texte à la distance historique, à des pratiques sociales différentes, à des surprises comme celle de l’attribution du service des tables à des diacres masculins (Ac 6, 1-17) ou à la confusion des Douze qui avaient oublié les pains du casse-croûte, responsabilité toute « féminine » (Mt 16, 5). Or, le ministère ne prend pas sa définition de la classification sexuelle du ministre, mais de son rapport à une réalité, à un besoin de la communauté ecclésiale. Il n’y a pas des ministères masculins et des ministères féminins, mais des ministères ecclésiaux exercés par des hommes ou par des femmes, et par des hommes et par des femmes.

2- La recherche des ministères des femmes du Nouveau Testament. Encore ici on ne trouvera pas de ministères propres à ces femmes, ministères qui leur auraient été réservés exclusivement tandis que leurs collègues masculins auraient été systématiquement désignés pour certaines autres tâches communautaires. Et on en déduirait qu’elles n’en exerçaient aucun ?

3- La recherche des fonctions officielles. Qui occupe les postes-clés ? Nous connaissons la réponse à l’avance : sûrement pas les femmes dans des sociétés où cette portion de l’humanité ne pouvait, en aucune circonstance, par prescription de naissance, exercer de fonction publique, peu importe son influence dans les coulisses de l’histoire.

4- La recherche des ministères du XXe siècle, avec leur distinction entre ordonnés et non ordonnés, sacerdoce ministériel et sacerdoce commun. On forcera ainsi un texte du 1er siècle dans une structure qui ne lui correspond pas, structure qui déjà, elle-même, bloque les femmes au niveau du laïcat passif, récepteur des ministères dispensés par une autre classe de chrétiens.

5- La recherche des ministères tels que nous les trouvons dans le Nouveau Testament, à l’aide des systématisations qu’on a pu tirer de l’observation de révolution patente des premières églises et surtout des listes établies par Paul (1CO 12, 8-10.28.29-30 ; 13,1-3.8-13 ; Rm 12,6-8 ; Eph 4,11). Ces définitions évitent le piège de l’anachronisme et de la non-pertinence de la catégorie précédente. Encore une fois, les exégètes et les théologiens qui les ont dégagées du Nouveau Testament ne déduisent plus, de l’absence des femmes dans les passages à caractère ministériel, leur exclusion des ministères et signalent l’ouverture à de nouveaux développements dans l’histoire de l’Église.

Avec cette cinquième catégorie la question progresse vraiment. Mais elle ne suffit pas, à mon avis. Il faut examiner de plus près cette non-présence des femmes. Est-elle si « innocente » de toute contrainte sociale, littéraire et méthodologique de la part de l’analyste ? N’admet-elle comme interprétation qu’une fin de non recevoir ou une neutralité absolue par rapport à la suite des temps ? Pourquoi, par contre, les épisodes de présence des femmes sont-ils si peu valorisés ?

Que les mentions des ministères ne comportent que des personnages masculins ou que les séquences à personnages féminins ne comportent pas de mentions de ministères peut très bien relever du triage initial opéré par l’analyste, de ses préjugés sur la notion claire, occidentalement claire, d’un ministère. Ces préjugés rejoignent peut-être ceux de la société de type patriarcal représentée dans les textes, ce à quoi les études exégétiques de type historique auraient dû nous rendre sensibles.

Ajoutons à cela nos habitudes de lecture, et d’écriture, forgées par des siècles d’absence des femmes de la vie socio-politique. L’exercice de la prophétie dans le Nouveau Testament en fournit plusieurs exemples. De nombreux commentaires, exégétiques ou autres, parleront de charisme prophétique quand il s’agit d’une femme qui prophétise, mais de ministère prophétique officiel quand il s’agit d’un homme. Roger Gryson ouvre ainsi la conclusion générale de son livre remarquable Le ministère des femmes dans l’Église ancienne2 : « Dès les origines du christianisme on voit que des femmes jouent un rôle important et occupent une place de choix dans la communauté chrétienne. Saint Paul cite avec éloge plusieurs femmes qui l’ont assisté dans son labeur apostolique. Des femmes jouissent du charisme de prophétie. On n’en voit pas, cependant, qui exercent des fonctions dirigeantes au sein de la communauté ». (Les soulignés relèvent de l’auteure de l’article.) Or, en d’autres contextes, un rôle important dans la communauté et une place de choix, le travail d’habile et dévoué assistant de Paul, le fait de prophétiser suffisent à identifier certains disciples masculins comme exerçant des fonctions dirigeantes.

Que dire de l’ambiguïté des traductions d’usage courant ! Où, par exemple, diakonos dit de Phoebé en Rm 16,1 devient « diaconesse », et attribué à Paul et à ses proches collaborateurs est traduit par « ministre » ou « serviteur de Dieu » au sens noble. Écrivons uniformément « ministre » partout où il s’agit de service à la communauté … et nous verrons des femmes apparaître en poste.

Partir de la constatation qu’on ne trouve pas de noms de femmes dans les récits dits d’appel ou de vocation mérite aussi quelques remarques. On a groupé sous ce nom des passages à structure similaire où Jésus appelle des hommes à sa suite. Or, on ne peut enfermer toutes les formes d’appel sous les récits stéréotypés de Me 1, 16-20 et parallèles : ils concernent les frères Simon et André, Jacques et Jean, et déjà le schéma littéraire diffère en Jn 1, 35-51 pour la rencontre avec Jésus des mêmes Simon et André. A chercher artificiellement les femmes dans telle situation donnée on en vient à occulter leur présence constante dans l’entourage du Maître, présence que nous découvrons au pied de la croix, par flash-back, chez Marc et Matthieu (Me 15, 40-41) mais dont Luc nous avertit dès le début de la carrière de Jésus (Le 8, 1-2).

Le Nouveau Testament ne répondra véritablement à la question du ministère des femmes que si l’on tient compte de toute sa réalité. Dans l’article cité en note, j’ai suggéré une reprise du problème à la base, une lecture systémique qui éviterait les culs-de-sac des procédés thématiques. À partir du fait textuel que notre mot ministère dérive via le latin du verbe grec diakoneô employé par le Nouveau Testament et qui signifie servir, et que le ministre c’est donc celui ou celle qui fait quelque chose au service de la communauté – et sans thématiser ce service à partir de notions d’aujourd’hui – j’ai amorcé l’observation de l’activité des personnages d’évangiles, épîtres, Actes et Apocalypse. En me gardant surtout de passer d’emblée aux listes de ministères fournies par Paul, sous peine que de grands pans du texte échappent à mon étude, et des plus intéressants puisqu’il s’agit de la vie des églises prises sur le vif. Ces listes ont besoin de l’éclairage de la vie quotidienne de l’époque et vice-versa.

Dans les évangiles, la première mention des femmes devenues disciples en Le 8,3 les range étonnamment parmi les disciples itinérants qui partagent le ministère même de Jésus. On s’attendrait plutôt à les retrouver dans la représentation des vertus chrétiennes à domicile, dans leur fonction d’épouses et de mères. Dans le processus de classement des personnages autour de Jésus, qui va de la foule curieuse et neutre à la masse anonyme de nouveaux disciples jusqu’au noyau des intimes, un groupe de femmes est placé au niveau des Douze et avec eux. Ces femmes serviront même de lien entre eux et Jésus à la reprise de leur relation avec lui après la résurrection. Lien obligé ? Lien obligé, oui, d’après le texte tel qu’il est écrit. Sa signification reste à sonder et à élucider. Également d’après le texte tel qu’il est écrit, rien ne nous autorise à décréter l’impossibilité de la présence de femmes parmi les soixante-douze disciples envoyés en mission (Le 9, 1-6 ; 10, 1-20) avec le même mandat et les mêmes recommandations qu’aux Douze. Les arguments extérieurs d’impossibilité sociologique ne valent plus, puisque ces disciples voyageaient par deux.

Dans les épîtres, Actes et Apocalypse, des femmes apparaissent ou peuvent apparaître aux différents postes ecclésiaux, y compris quand on les aborde par les listes de Paul, dès qu’on replace dans une perspective plus globale la question des ministères. Dès qu’on remplace ses propres conceptions par l’acquiescement à la réalité néotestamentaire. Dès qu’on ne définit pas automatiquement services des femmes de l’époque par services domestiques d’appoint et qu’on traduit, comme pour les hommes cités, la mention de leurs « travaux » par « peines apostoliques ». La remarque s’applique à leur présence en général dans le Nouveau Testament qui gagne de nouveaux horizons quand on se sensibilise au fonctionnement du langage inclusif de nos grammaires masculines. Nous oublions que le terme disciple recouvrait des hommes et des femmes ; nous lisons exclusivement au masculin des passages adressés aux deux sexes.

Quant aux passages qui excluraient les femmes des ministères (comme 1Co 14, 34-35 qui leur commande de se taire c’est-à-dire de ne pas parler dans les assemblées, et 1Tim 2, 11-15 qui leur interdit d’enseigner) il faudrait d’abord résoudre leurs contradictions internes et étudier leur articulation avec les passages positifs du même corpus avant d’en tirer quelque conclusion. Comment la prophétesse agréée de tous de 1Co 11 pourra-t-elle éviter de fournir un enseignement à l’assemblée ? Comment celle qui répond à l’invitation à la virginité de iCo 7 pourra-t-elle être « sauvée par sa maternité » (1Tim 2,15) ? Comment la descendante d’Eve ramenée à une soumission de nature et de culpabilité (vv. 12-15) lira-t-elle Calâtes 3, 28 où Paul déclare que dans le Christ il n’y a plus de distinction entre l’homme et la femme, entre Adam et Eve ?

Enfin, un autre phénomène se fait jour à travers les années de rédaction du Nouveau Testament. À mesure que l’église se hiérarchise, sur le modèle de la société du temps, dans la même mesure apparaissent les conseils de soumission adressés aux femmes, disparaissent les mentions de leurs activités communautaires et domine dans les épîtres de la fin du siècle la louange des vertus familiales qui leur reviendraient comme héritage chrétien. Les lectrices du Nouveau Testament se prennent à regretter les entretiens hautement théologiques de Jésus avec la Samaritaine, Marie et Marthe de Béthanie !

Quelles que soient les réponses du Nouveau Testament, quels que soient les angles d’analyse abordés, les résultats appelleront une nouvelle question dont on ne peut faire l’économie. L’état dans lequel nous trouverons les femmes autour de Jésus et dans les communautés du premier siècle est-il normatif pour la solution de nos problèmes actuels, ceux de la condition sociale féminine et ceux de la réalité ecclésiale ? La place des femmes dans le Nouveau Testament donne-t-elle la mesure de la place des femmes dans l’Église du vingtième siècle ? La révélation ne porte pas sur la forme de société dans laquelle le Verbe s’est incarné, donc pas non plus sur le vécu féminin de l’époque. Le Nouveau Testament reflète des sociétés, et des églises, qui n’ont pas encore complètement rajusté leurs moeurs à la Bonne Nouvelle. Il faut s’attendre à ce que, à l’intérieur du Nouveau Testament, certaines pratiques soient même à ré-évaluer, et à l’aune de ce que Jésus a apporté, de l’idéal évangélique né de lui. Ce critère, plus qu’une pratique établie si longue soit-elle constitue l’instance première et dernière de nos questions, de nos réponses et de nos traditions au chapitre des ministères d’église.

1 Le présent article résume et rend plus accessible un travail scientifique paru dans Studies In Religion / Sciences religieuses 16/1 (1987) pp. 7-20, sous le titre « Femmes et ministères dans le Nouveau Testament. » Lectrices et lecteurs intéressés pourront y trouver la justification des affirmations apportées ici, une discussion plus élaborée et des suggestions bibliographiques.

2 Gembloux, J. Duculot, 1972, p.173.