Liminaire

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Depuis ses débuts, la vie religieuse s’est située dans son temps et dans sa culture et cela a contribué à la modifier au cours des siècles. Depuis les années 1970, nous assistons à un nouveau paradigme qui manifeste des volontés de changements de mentalités remarquables. Une de ces transformations concerne la présence du féminisme dans les engagements de plusieurs religieuses. Du retrait du monde à l’engagement dans et pour le monde, la vie religieuse s’est orientée de plus en plus vers des actions en faveur des femmes et de leur libération. On constate également que plusieurs universitaires en études féministes ou religieuses[1] se sont mobilisées pour ce mouvement d’affranchissement du patriarcat dans l’Église et dans la société.

Dans le premier article, « Cinquante ans d’évolution des religieuses du Québec, de 1970 à 2020 », Pierrette Daviau trace un survol des principales transformations chez les religieuses québécoises suite à Vatican II qui les invitait à tenir compte des « signes des temps ». Longtemps soumises au cléricalisme, ces femmes ont dû se réinventer suite à la reddition à l’État de leurs institutions scolaires, hospitalières ou sociales. L’arrivée d’une nouvelle théologie des vœux et son approfondissement par les divers chapitres religieux a contribué à une redéfinition des pratiques liées aux conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Pour y être fidèles, plusieurs religieuses ont inscrit leurs engagements dans le courant féministe.

Pour les membres de L’autre Parole, c’était déjà une évidence puisque, déjà en 1981, le numéro 14 titrait : « Les religieuses, des femmes parmi d’autres femmes », suivi 14 ans plus tard par le numéro 41[2], intitulé « Les Sœurs ». Dans son article, Marie-Andrée Roy revient sur ces deux exemplaires en les analysant et en actualisant les hypothèses qu’elle y avait alors formulées. Proposer en 2021 un numéro sur l’engagement féministe des religieuses, c’est, pour elle, rendre hommage à ces femmes souvent inconnues ou invisibles dans le monde actuel.

Il est évident que les religieuses féministes actuelles ont bénéficié de l’héritage de leurs ancêtres, entre autres, Marguerite Bourgeoys, Rosalie Jetté, Esther Blondin, Marie de l’Incarnation, Marie Gérin-Lajoie. C’est cette femme exceptionnelle que nous présente sœur Gisèle Turcot dans son article : « Marie Gérin-Lajoie ouvre une voie nouvelle ». Son action pour encourager l’éducation des filles et son intuition inspirée par les besoins d’instituts consacrés à la perfection religieuse puis au dévouement social prouvent que l’on peut être religieuse et s’impliquer concrètement dans la société. Sa simplicité, son autonomie et son audace étonnent encore aujourd’hui. En témoigne cet extrait d’une conférence prononcée en 1921 : « Le syndicat féminin fait profession de féminisme ». Quelle affirmation lancée avant l’heure, alors qu’elle n’a que 31 ans !

Une autre fondatrice, Élisabeth Turgeon, fera preuve de « féminisme sororal » auprès des Sœurs des Petites Écoles[3] fondées à Rimouski. Léona Deschamps nous la décrit comme une femme désireuse de se considérer « sœur au milieu de ses sœurs ». Cette pédagogue formera ses sœurs comme enseignantes et veillera à leurs principales insertions en Gaspésie tout en se préoccupant de leur santé et de leur bien-être.

Leur modernisation a ouvert les religieuses à de nombreux engagements féministes en collaboration avec d’autres mouvements québécois en faveur de la libération des femmes. C’est ce que Marie-Paule Lebel nous présente dans « L’Association des religieuses pour les droits des femmes : une histoire d’engagement féministe ». On y découvre qu’à partir de la Décennie des femmes (1976-1986) et de la Marche du Pain et des roses en 1995, des communautés féminines ont travaillé à la promotion des femmes et à la défense de leurs droits. Cette association a relevé le défi de conscientisation des membres des communautés religieuses, développé une spiritualité écoféministe et une solide alliance avec plusieurs autres réseaux de femmes.

Vivre concrètement ces objectifs demande une forte implication de femmes dévouées à la cause. C’est ce que Gisèle Ampleman et Nicole Jetté nous exposent. D’abord participantes à la Marche du Pain et des roses, ces religieuses, dont Christiane Sibillotte, âgée de 79 ans, poursuivront leur engagement social et féministe. C’est d’ailleurs cette dernière que nous retrouvons en page couverture. Leur solidarité, en collaboration avec d’autres femmes, se manifeste auprès des personnes appauvries, particulièrement des femmes moins nanties.

Au Québec, d’autres lieux privilégiés de travail humanitaire et spirituel sont remarquables par l’engagement missionnaire des communautés religieuses. Dans les pays du monde, plusieurs sœurs ont contribué à l’instruction, aux soins des malades, à l’éducation chrétienne et à la formation des femmes. Dans une entrevue avec sœur Françoise Royer, Missionnaire de l’Immaculée Conception, la doctorante Nathalie Tremblay, l’invite à décrire son travail d’infirmière-sage-femme dans des camps de réfugié∙e∙s aux Philippines, au Malawi, au Rwanda.

Si les religieuses ont œuvré auprès des femmes violentées, certaines ont également été victimes d’abus sexuels par des membres du clergé. Marie Bouclin dans son article : « Réaction féministe face aux abus des religieuses » note les blessures, la honte et le manque de compréhension de ces femmes souvent livrées à elles-mêmes suite à ces actes malheureux. Souvent, elles n’ont trouvé ni l’écoute ni la compassion dont elles avaient besoin. Que dire du peu d’aide de la part de l’Église pour la réhabilitation des abuseurs afin d’éviter ces schémas répétitifs ?

Mais pour que l’éducation au féminisme se continue, livres et articles sont de puissants véhicules. Lise Labarre, Jeanne Lemire et Vanda Salvador, présentent leurs contributions grâce à la circulation des idées et par diverses rencontres avec autrices et auteurs lors de lancements ou de conférences aux Librairies Paulines du Québec. Ces dernières recèlent de nombreux trésors d’œuvres consacrées à des femmes ou publiées par elles.

Et cette année, la revue L’autre Parole célèbre ses 45 ans d’existence. Vous y trouverez quelques témoignages des membres sur les bienfaits que la collective a eus pour elles et dans leur cheminement.

Bonne et fructueuse lecture de ces articles !

 

Pierrette Daviau, pour le comité de rédaction

[1] Au Québec, nous pensons entre autres à : Yvonne Bergeron, Denise Couture, Monique Dumais, Marie Gratton, Louise Melançon, Marie-Andrée Roy et à des plus jeunes : Isabelle Lemelin, Anne Létourneau, etc.

[2] Voir https://www.lautreparole.org/revues/no-14-les-religieuses-des-femmes-parmi-dautres-femmes/ et https://www.lautreparole.org/revues/no-41-les-soeurs/ .

[3] Elles sont devenues les sœurs Notre-Dame du Saint-Rosaire.