L’ordination des femmes : un dialogue avec l’antiféminisme

L’ordination des femmes : un dialogue avec l’antiféminisme

Johanne Philipps

Les éditions Médiaspaul, dirigées par la Société Saint Paul, communauté religieuse masculine, proposent une nouvelle collection, intitulée Dialogues, dont le but est de traiter de questions controversées au sein de l’Église. Pour ce faire, on nous présente les arguments d’une ou d’un auteur qui défend la position du magistère et une ou un autre dont le propos appuie le changement. C’est dans le cadre de cette collection qu’est publié l’ouvrage L’ordination des femmes dont les auteures sont Pauline Jacob et Thuy-Linh Nguyen. À propos de ce volume, le site des Éditions Médiaspaul mentionne que « le lecteur pourra se faire sa propre idée sur l’ordination des femmes, sujet abordé ici avec clarté et discernement par des spécialistes ouvertes au dialogue. »

Sous le titre Des femmes prêtres, Pauline Jacob nous présente la position favorable à la reconnaissance des femmes comme ministre ordonné. Son propos s’ouvre avec le témoignage d’une femme qui se sent appelée au presbytérat. Pour l’auteure, l’accès des femmes au presbytérat est une question cruciale d’interpellation qui émane tant de la vie que de Dieu/e1. C’est à partir de l’avancée des femmes dans divers domaines ainsi que de la dénonciation que l’Église fait de la discrimination qu’elle nous propose d’aborder l’ordination des femmes. Elle souligne, par contre, comment l’Église fige l’identité des femmes dans des rôles prédéterminés en refusant systématiquement l’utilisation du concept de genre. En s’appuyant sur des expériences bien réelles de femmes, qu’elle a analysées dans le cadre de sa recherche doctorale, Pauline Jacob déconstruit « l’idée que les femmes ne peuvent être prêtres à cause d’une identité qui serait inscrite dans leur nature. » (p. 20) Parmi les idées fortes qu’elle déploie, soulignons qu’elle insiste sur le défi pour l’Église de ne pas vivre en vase clos et de tenir un discours crédible. Elle incite aussi à prendre sérieusement en compte le rêve de Dieu/e, soit de bâtir une communauté humaine dans le registre de l’amour (p. 34), ce qui ne peut être compatible avec des interprétations qui subordonnent la femme à l’homme.

Une question de langage est le titre qui coiffe la présentation de Thuy-Linh Nguyen qui défend la position de l’autorité romaine. L’auteure ouvre son propos en nous présentant un historique du débat. Sans y faire référence, elle reprend des éléments d’une catéchèse donnée par Benoît XVI2. Il y a eu dès le début de l’histoire de l’Église une participation des femmes à la vie de la communauté, cependant des restrictions ont existé et la question de l’accès des femmes aux ministères n’a pas été débattue. Elle justifie ce fait, qu’elle qualifie de silence de l’histoire, d’une manière ambiguë par l’utilisation de l’expression « théologie de la femme » (p. 76) pour l’assimiler à la théologie féministe. Elle nous présente ensuite les principes, qu’elle dit être sous-jacents au raisonnement de l’Église. Ces principes sont d’ordre « théologique ». L’Église entretiendrait un rapport à la raison complexe distinct de la vision moderne (p. 85). Ce rapport doit prendre en considération la «  dimension collective de la foi qui est médiatisée par le magistère de l’Église […] ». Église, qui n’est rien de moins que : « colonne et support de la vérité » (p. 86). Aussi l’Église doit-elle distinguer ce qui appartient en propre au « dépôt de la foi » et ce qui appartient à sa forme changeante. Pour l’auteure, qui s’appuie sur la déclaration Inter insigniores, à travers le débat sur l’ordination des femmes, c’est l’identité et l’essence même de l’Église qui se joue. « L’idée de la différenciation des sexes et leur complémentarité est une notion à laquelle [l’Église ] ne peut renoncer. » (p.123)

Puisque tout au long de son texte Thuy-Linh Nguyen réfère au discours de la théologie féministe, souvent positivement, il est difficile de voir que son argumentaire repose sur un discours antiféministe qui ne perçoit « la femme » qu’à partir d’un rôle subordonné, le rôle de celle à « […] qui Dieu lui confie l’homme »3. Discours antiféministe qui est assimilé à l’identité même de l’Église, toujours saisie uniquement dans sa dimension hiérarchique. L’auteure nous confronte donc bien plus qu’à une question de langage. Elle nous confronte à un enfermement dans une identité féminine qui subordonne l’ensemble des femmes. L’auteur anonyme de l’avant-propos écrit que les dialogues que nous proposent les livres de la collection visent « […] à montrer les aspects légitimes des différents points de vue […] ». Il est navrant de constater que les éditions Médiaspaul légitiment ainsi l’antiféminisme.

1. Je reproduis ici la manière dont Pauline Jacob écrit Dieu/e.
 2. BENOÎT XVI. Catéchèse de Benoît XVI : Les femmes au service de l’Évangile, 13 février 2007.
3. JEAN-PAUL II. Mulieris Dignitatem, 1988, p. 37.