MARIE DE SAVONNIÈRES DE LA TROCHE DE SAINT-GERMAIN

MARIE DE SAVONNIÈRES DE LA TROCHE DE SAINT-GERMAIN

Monique Dumais –Rimouski

Un nom que vous trouvez bien long et bizarre, mais c’est un nom réel, je ne l’ai pas inventé. Je suis une des trois premières Ursulines arrivées en 1639 en Nouvelle-France. Avec Marie de l’Incarnation ; bien sûr, elle, vous la connaissez bien. Moi, je l’ai connue au noviciat. Quand j’ai su qu’elle avait décidé de s’embarquer pour le Nouveau Monde, j’ai voulu participer à ce grand rêve missionnaire, mais je craignais terriblement le froid, la nourriture, les « sauvages » (c’est comme cela qu’on appelait les Amérindiens dans ce temps-là) et le pays lui-même qu’on décrivait comme « un lieu d’horreur si affreux qu’on dit que c’est la terre que Dieu a donnée à Caïn »1. Cependant, j’étais très attirée et j’ai résisté à des refus, ceux de ma prieure qui n’avait pas retenu mon nom pour l’expédition, ceux de mes parents qui ne voulaient aucunement consentir à ce départ. J’ai alors fait le voeu à saint Joseph de prendre son nom s’il disposait mes parents à m’accorder ce que je leur demandais. Ce qui fut fait.

J’avais vingt-deux ans et demi quand je me suis embarquée le 4 mai 1639 à Dieppe, sur le « Saint-Joseph » – eh oui ! le navire avait reçu le même nom que moi ! Heureux présage, car nous avons affronté avec le capitaine Bontemps des mers déchaînées, frôlé des icebergs. Ma santé fragile a durement été éprouvée : trois mois à ne manger que de la morue salée, des biscuits, des fèves, des pois chiches, sans eau fraîche…

Nous touchons enfin terre à l’Ile d’Orléans, le 31 juillet. Le gouverneur de Québec, de Montmagny, envoie une chaloupe pour quérir voyageuses et voyageurs, le 1er août. Nous avons été reçus à bras ouverts par les quelque deux cent cinquante personnes qui habitaient Québec. Enfin, elles pourraient éduquer leurs enfants, grâce aux trois Ursulines, et recevoir des soins adéquats des trois Hospitalières qui étaient avec nous. Une messe a été célébrée et nous avons entonné avec beaucoup d’ardeur un Te Deum pour remercier Dieu de nous avoir conduites à bon port dans notre lieu de mission.

Les conditions de vie ne sont pas faciles, mais j’aime découvrir tout de ce nouveau pays. Je me suis lancée hardiment dans l’étude du huron et de l’algonquin. Je suis maîtresse des pensionnaires, quelques filles sauvages sont du nombre, elles se plient aisément à ce qu’on leur demande. Elles sont si attachantes, mais elles sont souvent tristes quand elles se voient privées de la vie libre des bois. Je joue alors de la viole pour leur faire plaisir et elles sont ravies d’entendre cet instrument.

Note

Mère Saint-Joseph mourut le 4 avril 1652 des suites d’une longue maladie pulmonaire de quatre ans et demi.

La plupart des informations biographiques sont tirées de Dorn Guy Oury, Marie de l’Incarnation, 2 vol. Québec, Les Presses de l’Université Laval/Solesmes, Abbaye Saint-Pierre, 1973.

1 Françoise Deroy-Pineau, Marie de l’Incarnation. Marie Guyart, femme d’affaires, mystique, mère de la Nouvelle-France, 1599-1672. Paris, Robert Laffont, 1989, p.15