Marie-Madeleine : la Christa de Jésus ?

Marie-Madeleine : la Christa de Jésus ?

(Pour une réflexion théologique actuelle)

Parmi les personnages des évangiles qui ont traversé les siècles de manière très vivante, celle qu’on a appelée couramment Marie- Madeleine reprend aujourd’hui les devants de la scène, mais avec une autre « personnalité » que celle qu’a laissée la tradition occidentale, du moins celle qui a dominé dans l’Église catholique. Cette femme de l’Évangile s’offre ainsi à nous, croyantes de tradition chrétienne, pour susciter une réflexion renouvelée sur le rôle des femmes dans la vie de Jésus de Nazareth et dans celle des premières communautés, mais surtout sur notre identité de Christa, c’est-à-dire « une autre Christ ».

I. POUR UNE INTERPRÉTATION ACTUELLE

Plusieurs parutions récentes sur le personnage de Marie-Madeleine viennent de l’intérêt provoqué par les études sur les évangiles coptes, manuscrits trouvés en Égypte, en 1945, à Nag Hammadi. Ces « évangiles », auraient été écrits au 2e siècle de notre ère, et seraient d’origine « gnostique »1.

Comme pour les autres textes bibliques, ou de la tradition, il faut disposer de critères d’interprétation qui nous permettent d’en tirer un sens valable pour aujourd’hui en même temps que respectueux, le plus possible, de la vérité de Marie » qui nous intéresse ici, il ne convient pas de tout retenir sans jugement critique. Les pages qui suivent proposent une réflexion théologique de source chrétienne, qui se situe dans l’entre-deux des textes canoniques et des textes apocryphes et portent sur la « disciple » Marie de Magdala et son intérêt/sens pour nous.

Les évangiles coptes témoignent, d’abord, du fait que le christianisme, dès les débuts, n’est pas monolithique, c’est-à-dire qu’il compte des communautés très diversifiées selon les lieux, le contexte social et culturel, et donc d’appartenances « philosophique » et « théologique » diverses. Ils témoignent aussi des conflits entre ces diverses traditions : les évangiles « canoniques » eux-mêmes reflètent ces conflits. Par exemple, on sait que l’évangile de Jean a été inscrit de peine et de misère dans le Canon. L’Évangile de Marie traite de ces divergences à travers le personnage de Marie de Magdala.

1. La femme-apôtre

Selon l’Évangile de Jean, Marie (ou Myriam) de Magdala fut le premier témoin de la Résurrection. Cela correspondrait au fait que Jésus n’avait pas exclus les femmes de « sa suite », et que Marie de Magdala aurait exercé une fonction d’autorité dans les premières communautés chrétiennes, en même temps que Pierre, et bien avant Paul. L’évangile « gnostique » égyptien reflète de manière explicite les conflits que ce fait provoqua, en mettant en scène Pierre qui s’oppose à Marie de Magdala contestant et son autorité et la connaissance qu’elle a acquise dans des « visions » du Christ.

On peut penser que la présence des femmes, dans les communautés d’origine « gnostique », était plus importante qu’ailleurs à cause de la perspective « androgyne » qui y était véhiculée et qui donnait un statut égal aux hommes et aux femmes. Pour les gnostiques, qu’on soit homme ou femme on doit retourner à l’« Anthropos », à l’unité originelle au-delà de la dualité des sexes alors que, dans les communautés orthodoxes, comme l’a montré Elisabeth Schùssler Fiorenza et d’autres, s’est déclenché un processus de « patriarcalisation » qui a laissé des traces dans la rédaction des évangiles canoniques, évidemment marqués par l’androcentrisme. Dans la littérature paulinienne, on trouve aussi, en même temps que des références à des femmes exerçant des responsabilités majeures ou des « ministères », des traits de mentalité patriarcale et androcentrique.

2. Amie de Jésus

Dans les évangiles canoniques, parmi les femmes qui suivaient Jésus, plusieurs portaient le nom de Marie… Parmi elles, se détache Marie-Madeleine (ou de Magdala) qui, selon Marc, Matthieu aussi bien que Jean, est un personnage féminin central lors des événements de la Passion et de la mort de Jésus. Et dans le récit de Jean où Jésus apparaît à Marie-Madeleine en pleurs, devant le tombeau vide, celle-ci est présentée comme une intime de Jésus, une amoureuse de Jésus, celle qui cherche son bien-aimé comme l’amante du Cantique des cantiques. L’Évangile de Philippe comme l’Évangile de Marie ( évangiles coptes égyptiens) nous montrent, en Marie-Madeleine, une femme très proche de Jésus de Nazareth : sa compagne, sa confidente, son amie la plus chère.

Sans adhérer à tous les détails romantiques de certains écrits apocryphes, on ne peut passer à côté de ce fait que Marie de Magdala a été une amie privilégiée de Jésus, au moins autant que les disciples qui le suivaient de près. Plus que tout, elle aurait transformé son amour pour Jésus en une union spirituelle que les écrits gnostiques traduisent en termes de connaissance supérieure.

II. D’UN MYTHE AL’ AUTRE… ?

La tradition chrétienne dominante nous a laissé de Marie-Madeleine l’image de la femme pécheresse, celle qui lui a arrosé les pieds avec ses larmes de repentir. Les études exégétiques montrent qu’on aurait ainsi confondu trois personnages : Marie de Béthanie qui a oint Jésus avant sa mort2, Marie de Magdala que Jésus aurait guérie de « sept démons » et cette femme qui a été pardonnée de ses péchés parce qu’elle avait beaucoup aimé. Le personnage de Marie-Madeleine a été construit à partir de l’image séculaire de la femme « pécheresse », c’est-à-dire à partir du mythe d’Eve, responsable du péché du monde. Cette « Marie » fait le pendant de l’autre « Marie », la vierge, mère de Jésus, (du Christ, de Dieu) sans péché, qui rachète la faute d’Eve.

Le personnage « historique » de Marie de Magdala, tel que les études récentes nous le présentent, nous permet de faire voir l’aspect « mythique » de l’autre, de rétablir les faits sur le rôle des femmes dans la vie de Jésus et des premières communautés chrétiennes, de revaloriser les femmes dans leur identité religieuse, en faisant d’elles des personnes ayant accès, de manière concrète et véritable, à la dignité de la vocation baptismale, à la suite de Jésus, donc à la « connaissance supérieure » dans l’Esprit et à la sainteté de la vie.

Certains écrits apocryphes considèrent Marie-Madeleine comme la partenaire sexuelle de Jésus, et non seulement comme une amie ou une disciple. Les bases historiques au sujet du mariage éventuel de Jésus ne sont cependant pas établies : on compte autant d’arguments contre que pour cette hypothèse. La présentation de Marie-Madeleine comme l’amante de Jésus permet néanmoins de rétablir la valeur de l’amour charnel, de la sexualité qui, dans le christianisme de type platonicien en particulier, a été mise de côté et même combattue. Mais, en recomposant la figure de Marie-Madeleine autour de ces éléments, on risque de passer à côté de la réalité la plus importante, à savoir le fait que cette femme soit entrée dans une expérience spirituelle vraie et profonde, dans une voie qui jusqu’alors n’était pas ouverte aux femmes.

De plus, la perspective gnostique telle que développée dans l’Évangile de Marie3 peut mettre en lumière l’aspect spirituel de l’amitié de Marie-Madeleine avec Jésus ; mais le langage utilisé comprend certainement une dimension allégorique ou métaphorique semblable au langage des mystiques. Le féminin est identifié à l’âme, au risque d’ailleurs d’en faire un archétype à l’envers de l’Eve pécheresse.

Il ne faut pas conclure pour autant qu’il n’y ait pas eu de relation spéciale, d’amitié de préférence, et même d’amour entre Jésus et Marie de Magdala. Au contraire, il y a là un lieu qui autorise à penser l’intégration possible du spirituel et de l’affectivité, et cela dans une relation sexuée, de « genre », c’est-à-dire entre un homme et une femme, sans que soit requis pour autant un contexte marital. Il est bon aussi, comme le dit Elisabeth Moltmann4, que la dimension erotique soit présente dans le nouveau testament, à travers ce personnage de la femme amoureuse de Jésus qu’est Marie de Magdala. Mais le développement dans la tradition chrétienne du phénomène des « vierges », hommes et femmes, pourrait peut-être aussi s’appliquer à partir d’une telle réalité, celle du non-mariage (obligatoire à l’époque) plutôt que d’y voir seulement une dévalorisation de la sexualité.

Marie-Madeleine, comme disciple de Jésus et apôtre, est pour moi une « Christa », dans le sens de « devenir Christ » comme femme. Sa relation privilégiée avec Jésus fait d’elle un modèle inspirant d’abord pour les femmes croyantes engagées dans un processus spirituel, mais aussi pour la valeur éminente de l’amitié entre femmes et hommes. C’est en ce sens que, pour moi, Marie de Magdala pourrait être appelée la « Christa » de Jésus.

Louise Melançon, myriam

1 Voir le compte-rendu du livre de Anne Pasquier, L’Évangile selon Marie, Presses de l’université Laval, Québec, 1983.

2 II s’agit du personnage auquel réfère Elisabeth Schûssler Fiorenza, dans En mémoired’elle.

3 Jean-Yves Leloup, L’Évangile de Marie, Albin Michel, 1997, p.22.

4 Elisabeth et Jùrgen Moltmann, Dieu homme et femme, Fides/Cerf, 1984, p. 29-33.