MARKETING ET SPIRITUALITÉ : DEUX CONCEPTS IRRÉCONCILIABLES ?

MARKETING ET SPIRITUALITÉ : DEUX CONCEPTS IRRÉCONCILIABLES ?

Françoise Beaudet *

 Il y a une vingtaine d’années, alors que j’étais jeune ingénieure responsable du contrôle de la qualité, mon patron m’avait demandé si un poste dans la vente m’intéresserait à moyen  terme. À l’époque, je lui avais répondu aussi sec : « Travailler dans la vente, moi ? Ah, non, j’aurais l’impression de me prostituer ! »

Vingt ans plus tard, la fille en question donne des cours de vente-marketing et partage son témoignage avec un groupe de chrétiennes féministes… Que de chemin parcouru ! Merci au groupe L’autre Parole de me donner l’occasion de dire tout haut ce que mon cœur me murmure depuis si longtemps.

Spontanément, à quels mots associez-vous le mot marketing ? Marketing =  publicité, journaux, arnaque, tromperie, ventes, argent, indispensable, encore un terme en anglais ! Si le marketing était plus qu’un argument de vente ? Si on donnait aussi la chance aux « petits », aux productrices et producteurs locaux, aux organismes sans but lucratif, d’apprendre à utiliser cet outil puissant nommé marketing ? Leurs budgets sont aussi restreints que leurs équipes, ce qui rend d’autant plus grand leur désir de rentabiliser leur dépense d’énergie. Et si ces « petit-e-s entrepreneur-e-s » permettaient aux consommatrices et consommateurs d’avoir une autre perception de cet outil marketing, si souvent utilisé par les plus « grands » pour vendre des mensonges ? Alors, nous pourrions davantage choisir en fonction de nos valeurs.

On associe souvent marketing à publicité, gros budget, dépenses, mais ce n’est pas toujours vrai. En français, marketing se traduit par « mise en marché » ; ce sont toutes les étapes visant à mettre un produit sur le marché, en utilisant différents outils (prix, promotion, lieu de vente, service à la clientèle)  afin de rejoindre leur clientèle potentielle.

Pour moi, le marketing, c’est comme une paire de chaussures : un outil pour faire un pas de plus.

Quelle que soit la taille de l’entreprise, les mêmes questions se posent, dans le but de vendre un produit ou une idée. Comme une vendeuse de chaussures se posera les mêmes questions, qu’elle soit dans un magasin chic à New York, ou une simple vendeuse ambulante sur le trottoir d’à côté.

Quelle clientèle visez-vous ? A quel besoin répond votre produit, votre service ? Quelle est votre compétition au sens large du terme, c’est-à-dire que si la personne ne dépense pas chez vous, comment satisfera-t-elle son besoin ? Qu’est-ce qui vous différencie des autres ? Qu’est-ce qui attire la clientèle chez vous ? Quel est votre budget pour la promotion, en dollars mais aussi en temps et en ressources humaines ? Quel est votre objectif et dans quelle échéance ?

De simples questions, mais que de richesses dans les réponses selon les valeurs de l’organisation et de ses responsables !

Dans le cadre de mon travail, je fais régulièrement de merveilleuses rencontres avec des productrices et producteurs locaux, des artisan-e-s … à la recherche d’un marketing qui leur ressemble, selon leurs valeurs. Tout un changement par rapport aux multinationales avec qui je négociais à coup de millions de dollars chez Provigo ! Depuis 5 ans, j’ai eu la chance d’accompagner des dizaines d’entrepreneur-e-s chaque année, dans les différentes régions du Québec, pour concevoir leur emballage, créer leur dépliant, leur site Internet, leur portfolio, aménager leur kiosque, trouver les bons arguments de vente, se positionner par rapport à la compétition, avoir une bonne stratégie prix et des promotions adaptées…

Je découvre de vrais trésors parmi ma clientèle ! Tout le savoir-faire de l’entrepreneur-e,  l’amour de son métier, la qualité des composants, le respect des consommatrices, des consommateurs et de ses employé-e-s, la fierté d’apporter un petit plus à son environnement. C’est une vraie chasse au trésor, car ce qui est évident pour eux, demande parfois des heures de coaching afin qu’ils et elles puissent arriver à le traduire dans un positionnement clair, prendre conscience de leurs atouts et trouver les bons termes pour communiquer leur message.

Je pense par exemple, à la stratégie marketing d’une cliente « coup de cœur », Danielle Vallée, maître savonnière que je remercie pour ce partage. Elle a défini son produit, « un savon artisanal », en mettant de l’avant ses différences par rapport à sa compétition, « contenant 35 % de lait de chèvre, fabriqué en Gaspésie », sur le site www.lasavonnerieduvillage.com. Une photo de sa famille dans la bergerie, nous permet d’identifier l’entreprise comme familiale. Sur chaque emballage, le slogan résume les bénéfices pour le ou la client-e, « la douceur à l’état pur »1. Je suis sûre que vous craquerez en regardant les belles photos d’enfants, dans la section « pour nos chevreaux » que ce soit dans son kiosque ou sur son site Internet. Si en plus, vous habitez la Gaspésie, la promotion sur la livraison gratuite vous invitera à acheter pour plus de 60$, en ajoutant à votre commande un produit à offrir, par exemple. Pouvez-vous identifier les valeurs de cette personne, à travers cette brève description de sa stratégie marketing ?

 « Développement et Paix » est une organisation à but non lucratif, dont j’admire beaucoup les outils marketing. La puissance des photos sur leur pochette de présentation permet en trois secondes de nous sentir interpellées par ce regard profond du mineur sud-américain, par l’expression pleine de vie de cette fillette en plein effort pour porter l’eau. Un slogan, « la vie avant le profit », explique leur positionnement. Comment ne pas résister à l’envie d’ouvrir cette pochette et d’aller plus loin ?

Vous ai-je un peu convaincu que marketing ne rime pas toujours avec grosses dépenses ou simplement publicité ?

Pour les sceptiques, voici un dernier exemple, portant sur l’un des « 4 P » du marketing (produit, prix, place, promotion). Dans l’invitation au colloque de L’autre Parole, à côté du prix, vous avez indiqué : « Des problèmes d’ordre financier ne doivent pas vous empêcher de participer à notre colloque : si tel est votre cas, inscrivez-vous sans crainte et nous trouverons bien une façon de résoudre votre problème. » Il s’agit incontestablement d’une stratégie de prix. N’est-ce pas un beau témoignage de votre spiritualité chrétienne, à travers ce simple outil marketing ?

Je vous invite à observer les affichages de prix avec un autre regard. Quelles valeurs traduisent les stratégies telles que : carte fidélité,  économie pour les grosses quantités, prix pour une famille de 4 personnes, 0 $ à l’achat, 50 versements, 1$ remis à la fondation…ou tout simplement votre garagiste qui vient vous chercher à domicile  gratuitement ?

Et quant à moi, coach et formatrice, comment puis-je concilier mon expérience de marketing et ma spiritualité ? Je me suis longtemps posé la question. La réponse nait doucement : en accompagnant, dans le milieu des affaires, les entrepreneur-e-s ayant les mêmes valeurs que moi, à utiliser toute la puissance de la mise en marché, pour prendre leur juste place.

Concrètement, c’est prioriser, au sein de  ma clientèle, ceux et celles qui placent la personne avant le profit, pour reprendre le slogan de Développement et Paix, comme les entreprises familiales plutôt que multinationales. J’ai donc osé refuser un contrat de formation pour Walmart ! À l’inverse, j’ai beaucoup de plaisir à travailler avec l’équipe de mise en marché chez Familiprix car il y a une solidarité entre gestionnaires, secrétaire, adjoint-e-s… et un très grand respect des uns envers les autres.

Je ne m’affiche pas comme chrétienne sur ma carte d’affaires ; par contre, sur mon site, www.enpratique.ca, vous verrez la photo d’un visage sculpté, avec sa grande oreille, symbole de l’écoute. Car pour moi, la mise en marché est un domaine où il faut savoir avant tout écouter les gens. Je remercie l’abbaye de Tamié pour cette photo et, pour les curieuses, un lien conduit vers le site Internet de l’abbaye située en France, près de chez mes parents.

Alors, à la question « Marketing et spiritualité : deux concepts irréconciliables ? », que répondriez-vous maintenant ? J’espère avoir pu vous aider à porter un autre regard.

* Françoise Beaudet est spécialiste Mise en marché – Marketing, coach en gestion, formatrice agréée, possède plus de 20 ans d’expérience en alimentaire et commerce de détail, au Québec et en France. Elle a fondé « En pratique…  » pour accompagner les gestionnaires dans leur mise en marché : stratégie prix – produit, positionnement sur le marché, distribution, promotion, tout en tenant compte de leurs priorités.

1. www.lasavonnerieduvillage.com