MÉMOIRE

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Yveline Ghariani, Phoebé

La Collective des féministes chrétiennes L’autre Parole est fière de participer à ces audiences populaires pour le retrait des troupes canadiennes de l’Afghanistan. Elle tient à remercier le Collectif Échec à la guerre pour l’organisation de cette heureuse initiative.

Il nous semble primordial de profiter de cette occasion pour affirmer publiquement notre opposition à la guerre d’occupation en Afghanistan.

Bien que nous ne soyons pas des spécialistes en politiques internationales, nous avons suivi de près les réflexions et argumentaires du Collectif Échec à la guerre.

Pour nous, il nous semble évident que :

1. Depuis le 11 septembre 2001, une sorte de psychose s’est installée partout dans le monde, et  la « guerre aux terroristes » peut maintenant servir de prétextes pour agresser qui que ce soit et aussi devenir un paravent face aux politiques de domination, d’humiliation et d’injustices dont font preuve les États–Unis pour défendre leurs intérêts économiques ( ex. pétrole irakien, pipeline trans-afghan). Ces politiques entraînent à leur tour des réactions toutes aussi violentes de la part de groupes de résistance des pays agressés.

Il faut aussi se rappeler qu’en 2001, les Talibans ont refusé d’octroyer à des intérêts étasuniens la construction du pipeline transafghan devant transporter le gaz naturel du Turkménistan vers le Pakistan.

2. Les vrais motifs de cette guerre – agrandir l’empire étasunien en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Europe de l’Est- demeurent cachés sous des écrans de fumée tels la « guerre contre le terrorisme » ou de « nobles motifs  humanitaires » – tels la défense des droits humains, le rétablissement de la démocratie et de la liberté, l’amélioration du sort des femmes, etc …

3. Toute guerre offre des occasions d’affaires inespérées.

À preuve, les retombées économiques suivantes dans la seule guerre en Afghanistan :

– Bell Hélicoptère, à Mirabel : contrat de 849 millions $ pour l’assemblage de 368 hélicoptères destinés à l’armée étasunienne ;

– Oerlikon, à Saint-Jean-sur-Richelieu : projet de 750 millions $ pour la fabrication de véhicules blindés légers ;

– PétroKazakhstan, Buried Hill Energy et Thermo Design Engineering sont d’autres compagnies canadiennes qui ont des intérêts dans cette région du monde dans les domaines du pétrole, du gaz naturel et de l’armement.

4. Des campagnes de désinformation sont orchestrées pour justifier notre intervention militaire en Afghanistan, et cela dans le but de recruter au Canada des citoyens et citoyennes jeunes et pleins d’idéal qui iront « établir la paix, la démocratie et la liberté » et « protéger les droits humains des femmes et des enfants » !

5. Le Canada est entraîné dans cette guerre qui n’est pas la sienne par son voisin du sud, tout simplement par solidarité idéologique !

De plus, d’après les rapports de plusieurs organismes dignes de confiance, tels Amnistie internationale et les témoignages de plusieurs personnes, dont madame Malalaï Joya, députée au parlement afghan :

1. La situation générale en Afghanistan ne s’améliore pas et cette réalité est en contradiction flagrante avec les déclarations publiques des puissances occupantes, dont le Canada.

2. Même si le régime des Talibans a été renversé, les groupes de l’Alliance du Nord, actuellement au pouvoir, sont aussi brutaux et anti-démocratiques que les Talibans, et parfois encore pires.

3. Les gens se moquent de la « guerre contre le terrorisme », parce que les États-Unis travaillent avec des extrémistes pro-américains et ils s’opposent uniquement aux extrémistes anti-américains. Le pays se trouve encore entre les griffes d’extrémistes et de terroristes meurtriers.

4. La situation des droits de la personne ne s’est pas améliorée ( détentions arbitraires, mauvais traitements, torture, sont monnaie courant) et ce sont les groupes alliés des États-Unis, bien représentés au parlement, qui sont principalement en cause dans les violations des droits de la personne.

Enfin, il nous semble primordial de souligner d’une façon particulière le sort réservé aux femmes dans cette guerre d’occupation, car « leur libération et l’amélioration de leur sort » sont souvent invoquées pour justifier cette guerre et c’est d’ailleurs a posteriori que les forces d’occupation ont invoqué cet argument…Toujours d’après des rapports d’organismes internationaux, le témoignage de madame Joya et les écrits de la sociologue Christine Delphy :

1. Les femmes continuent de pâtir sous l’effet des décrets discriminatoires qu’imposent encore les seigneurs de guerre locaux : les chefs de guerre ont remplacé les Talibans en adoptant des politiques similaires envers les femmes.

2. Même si on ne peut nier certaines avancées pour une minorité de filles et de femmes ( retour à l’école, principalement à Kaboul, emplois dans des ONG, troc de la burqa pour le tchador) , une observation rigoureuse de la situation démontre que le sort des femmes demeure tout aussi problématique qu’il ne l’était sous les Talibans et que la violence sous toutes ses formes est à la hausse comme le démontrait un rapport de WOMANKIND Worldwide en octobre 2006. Prenons simplement acte des faits suivants : hausse des crimes d’honneur, meurtres de travailleuses domestiques, assauts contre des femmes travaillant dans le cadre des élections, perpétuation de formes sévères de violence domestique, trafic et prostitution, hausse « astronomique » des auto-immolations, fort pourcentage de mariages d’enfants, rapt de jeunes filles, absence de protection véritable contre le viol et les agressions sexuelles.

3. Le ministère de la Condition féminine fonctionne à faible capacité et a peu d’impact sur le gouvernement.

4. Les besoins fondamentaux des filles et des femmes ne sont pas comblés : tels l’accès à l’eau potable, l’éducation, les services de santé, etc.

5. L’insécurité demeure le plus grand défi auquel font face les femmes afghanes dans leur vie quotidienne. Et avec l’insécurité, vient la pauvreté, les deux se renforçant simultanément.

6. Les femmes afghanes ne vivent pas dans un État de droit ; la tradition continue de dominer le système judiciaire, une situation que semble accepter le gouvernement en place. Même si beaucoup de droits ont été accordés sur papier, il est impérieux de les transformer en droits effectifs.

Pour conclure ce chapitre, laissons maintenant la parole à  madame Malalaï Joya, députée afghane, lors de son discours au Congrès du NPD, le 9 septembre 2006 :

«  Il faut que je vous dise que malheureusement, la situation désespérée du peuple afghan n’a pas changé. Lorsque le pays tout entier vit à l’ombre de l’arme à feu et des seigneurs de guerre, comment ces femmes peuvent-elles jouir des libertés les plus fondamentales ? Contrairement à la propagande diffusée par certains médias dans l’Ouest, les hommes et les femmes en Afghanistan n’ont pas été « libérés » du tout.

(…) Sous le régime des Talibans, le ministère du Vice et de la Vertu est devenu le symbole d’abus arbitraires, surtout aux dépens des femmes et des filles afghanes. Pourtant, aujourd’hui, le cabinet afghan a décidé encore une fois de rétablir ce ministère horrible plutôt que de se concentrer sur les besoins criants de la société afghane.

(…) Ceux qui défendent la justice sont menacés de mort. Le 7 mai 2006, j’ai été agressée physiquement par deux députés au Parlement qui soutiennent les seigneurs de guerre et les drogues, parce que j’avais dit la vérité. J’avais parlé des crimes de l’Alliance du Nord. L’un d’eux a même crié : « Prostituée, prenez-la et violez-la ! ».

« Pour l’instant, les femmes afghanes se trouvent sur les routes, sous les tentes, dans les camps, par millions : un million de réfugiés de plus qu’avant la guerre en dehors des frontières, et un million de personnes déplacées à l’intérieur du pays lui-même. Beaucoup risquent de mourir »1.

« Dire que la guerre est bénéfique pour les femmes afghanes revient à décider qu’il vaut mieux pour elles mourir sous les bombes, mourir de faim et de froid, que de vivre sous les Talibans. La mort plutôt que la servitude : ainsi en a décidé l’opinion occidentale… pour les femmes afghanes. »1

Enfin, en accord avec le Collectif Échec à la guerre :

– Nous pensons que la société afghane a besoin d’une profonde transformation pour arriver à une égalité de droit et de fait entre les hommes et les femmes et ce n’est pas à travers les armes ni par un simple changement de gouvernement qu’elle y parviendra…

– Nous ne pensons pas qu’il revient aux puissances occidentales d’imposer leur conception de la « libération » aux femmes afghanes.

– Nous pensons que ce sont les femmes afghanes elles-mêmes qui se libéreront. Elles ont besoin de notre solidarité, pas de nos armes.  Ainsi nous pensons que les femmes afghanes et le peuple afghan tout entier peuvent se libérer du joug qui les opprime sans intervention armée, mais en solidarité avec d’autres femmes et d’autres peuples du monde entier…

Pour toutes les raisons évoquées ci-haut, nous demandons au gouvernement du Canada de retirer immédiatement ses troupes guerrières de l’Afghanistan.

Cependant, le Canada pourrait apporter une aide appréciable à la population afghane dans la reconstruction du pays. Cela pourrait se traduire par une coopération économique, technique ou médicale, des missions humanitaires pour la construction d’écoles, d’hôpitaux, de routes.  Bien entendu, cette assistance devrait se faire dans le respect du droit à l’autodétermination du peuple afghan et en réponse aux demandes qu’il exprimera lui-même.

1. Le Canada dans la guerre d’occupation en Afghanistan,  Collectif Échec à la guerre, février 2007