Mémoires de Sex… ologue

Mémoires de ‘SEX’ …… ‘ologue’

J e fais débuter ce récit en septembre 1956. J’ai 22 ans. Je suis dans ma troisième année de vie religieuse et ma première année d’études universitaires en service social. Cette formation universitaire de quatre ans ne comprenait aucun cours en sexologie. Il ne s’en donnait même pas à la faculté de Médecine. Il demeurait d’ailleurs bien entendu qu’une ‘ religieuse’ même engagée en pratique clinique du service social ne devait pas s’occuper de ces questions de sexe.

Je venais pourtant de me faire dire, durant mon premier stage de formation pratique en sciences sociales, par un mari osé « écoute ben la p’tite jeune, si dans un couple, tu t’intéresses pas à ce qui s’passe dans l’bed, t’es mieux d’changer d’job  » .

Je devins donc généraliste en travail social avec deux spécialisations établies dès les premières années : counseling conjugal et aide aux adolescentes à problèmes. Le féminin, le féminin sexuel se plaçait au centre de mes préoccupations.

Le premier dossier à se présenter à ma conscience fut celui d ‘une adolescente de seize ans enceinte et mariée de force à une brute qui la laissait, l’obligeait ? .. . à circuler avec des bleus sur les bras et les jambes, un côté du visage tuméfié …. Qu’est-ce que le corps pouvait cacher d’autre ? J’étais ‘sans connaissance’ dans tous les sens du terme. Que s’était-il passé nom de Dieu ? Je risquais quelques questions aussi discrètes qu’insignifiantes ce qui provoquait chez ‘Sophie’ quelques rares rictus, tous si pleins de souffrances. J’avais devant moi dans une chair meurtrie et des os broyés, mon premier cas de violence conjugale dont l’expression même n’était pas encore popularisée.

Le leit-motiv de toute ma vie professionnelle future se concrétisa très probablement à ce moment précis : QU’EST-CE QU’ON FAIT AVEC ÇA ? RÉAGIR c’est bien … l’important c’est AGIR. CETTE SITUATION NE POUVAIT DURER. ..

Le père qui avait permis ce mariage hurlait que c’était ça la vie de couple, qu’il allait me dénoncer à l’Archevêché… etc… (son épouse était décédée plusieurs années auparavant de peine et de souffrances semblables à ce que m’a raconté la famille de la mère).

Avec qui grand Dieu pouvais-je discuter de ce cas ?… Je ne pouvais me tourner vers les autorités de ma communauté, je me rappelais trop bien la consigne. À rapporter une histoire semblable, on m’aurait retirée sur le champ de ce monde de perversion. On a d’ailleurs essayé de le faire à plusieurs reprises, mais la protection et l’affection de ‘Mère fondatrice’ à mon endroit, me maintenaient bien en place.

Une soeur aînée qui avait un certain vécu me prodigua en secret informations et conseils. La parenté maternelle de « Sophie » riche d’instruction et de moyens financiers me seconda dans mes démarches en annulation de mariage ; ce que nous obtenions quelques mois plus tard. Je n’oublierai jamais la surprise et l’arrogance des ‘seigneurs’ (tous des monsignors !) du tribunal ecclésiastique à la vue d’une jeune ‘nonnette’ témoin désigné dans ce genre de cause. On me questionna uniquement sur l’ensemble des faits psycho-sociaux se rapportant à cette situation et il n’était évidemment pas question que j’assiste à l’ensemble des délibérations !

Un autre dossier chaud de l’époque m’avait obligée à confronter un prêtre « catholique » jusque dans ses derniers retranchements. Après avoir accepté Sophie (elles s’appellent toutes Sophie) jeune adulte, dans son groupe de prières, il l’obligea à s’en retirer parce qu’elle avait laissé soupçonner des tendances homosexuelles. Le jeune abbé me proféra les menaces habituelles : dénonciation, exclusion, excommunication peut-être ! Je ne me souciai guère de ces avertissements et je soutins Sophie du mieux que je pus.

L’Archevêché avait-il communiqué avec mes supérieures… me voilà expédiée dans une ville éloignée de la maison-mère, à Valleyfield où j’ai eu l’immense privilège de travailler avec le premier psychiatre rattaché à une Agence diocésaine de service social. Je n’allais pas me priver de ses services d’autant plus qu’il me savait si avide et réceptive de connaissances en matière de conflits conjugaux. Ces contacts interprofessionnels allaient me lancer dans une qualité de pratique valable pour toute la durée de ma carrière.

On n’a pas encore écrit toutes les histoires d’horreur vécues et racontées par ces filles, ces femmes, ces épouses humiliées sexuellement, asservies, abusées et meurtries à jamais dans leur corps et dans leur âme. Mis à part les cliniques et les asiles psychiatriques, je crois bien que ce sont les bureaux de service social qui ont reçu le pire du pire des plaintes et des confidences transmises dans ce domaine. Les cheveux m’en dressent encore sur la tête au souvenir de ces récits. Nous remplacions souvent le confesseur à qui on n’osait même pas raconter ce genre d’histoires… Nous avons échangé des pardons avec plusieurs de ces patientes si souffrantes. Nous disposions de si peu de ressources et nous étions encore si étouffées par toutes les prescriptions catho moralisantes du temps. Nous essayions bien d’enseigner certaines méthodes contraceptives naturelles officieusement permises par l’Église mais dans notre petit monde si pauvre de tout, ce n’était qu’échec après échec…

En 1964… on me ramène de force à Montréal pour ouvrir le premier Centre de transition pour adolescentes mésadaptées socio-affectives. Cette fondation « à la gloire des Clubs Richelieu et de son « Cardinal prince », dirigeait le personnel religieux féminin d’une main de fer. Il nous faudrait donc encore une fois jouer de finesse, de discrétion et d’extrême prudence dans nos agirs professionnels. Je me sentais encore une fois d’attaque. Nous vivions sous le même toit que ces adolescentes avec qui nous partagions un quotidien de 24 heures… nous dormions même dans nos Bureaux.

De nouveaux films d’horreur défilent encore une fois sous nos yeux. Ces adolescentes venaient, pour la majorité d’entre elles, de familles naturelles, de foyers d’accueil, voire même de foyers d’adoption où elles avaient été abusées de différentes manières.

Je parle donc ouvertement, souvent avec une grande fermeté à ces adolescentes. Je les initie aux premières écoutes de leur corps. Le début du commencement étant le fameux SPM, qui faisait vivre aux individus et au groupe des explosions et des implosions constantes. Je les aide à tenir le calendrier de leurs mauvais jours. Je crie haut et fort que leur corps est leur trésor, qu’il s’appelle « pas touche » et qu’aucune forme de séduction, d’humiliation, d’intimidation ou de violence ne doit le briser. Je sers souvent, tant à nos filles qu’aux « chums  » réguliers ou de passage, le fameux « argument massue  » de menace réelle d’accusation de détournement de mineure en cas de méfaits graves. On y ajoutait bien sûr les recours habituels à la prière, à la confession et autres dévotions du même genre.

Nous étions toujours bien pauvres de moyens durant le très court séjour de ces jeunes au Centre d’Accueil. Plusieurs adolescentes plus à risques étaient confiées aux Écoles de Protection. Des grossesses illégitimes se sont manifestées. La majorité de ces jeunes mères ont été prises en charge par des Services spécialisés. Quelques exceptions ont été conduites, par leurs parents ou autres adultes responsables et dans le plus grand secret, à des cliniques d’avortement.

Et je ne comprenais toujours pas, comment le SEXE… ce petit mot de quatre lettres si bon pour les hommes et si peu pour les femmes, comment pouvait-il attirer tout ce monde et causer tant de drames et de catastrophes ? J’entrepris alors des études universitaires au nouveau Département de Sexologie de l’Université du Québec à Montréal. J’avais vécu et vu vivre toutes ces dernières années marquées du syndrome de l’impureté et de la peur du corps sexué… j’allais enfin pouvoir essayer de comprendre le « b.a..ba » de cette complexité. Et ces études s’amorçaient dans une ère de libération sans précédent Le Docteur Grégory Pincus avait mis au point en 1956 le premier contraceptif oral, la fameuse et très célèbre pilule. Il y eut bien des levées de boucliers à droite et à gauche ; les femmes servant encore une fois de cobayes avec des résultats médicaux pas toujours concluants. Mais le mot était lancé… « La pilule  » était de toutes les conversations et son écho allait se répercuter dans tout l’univers. On se mit alors et presque en même temps à parler de plus en plus ouvertement, librement et franchement des choses du Sexe. Nous n’oublions pas non plus les noms très célèbres de l’équipe Masters & Johnson, nos nouveaux gourous en la matière.

Vatican II avait bien essayé d’entrouvrir une fenêtre sur ce nouveau monde. Il ne laissa filtrer qu’un mince filet d’air frais. L’amour, le support mutuel des époux devenait premier objet du mariage… mais la fécondité demeurait bonne première en second. La contraception était toujours interdite sauf par des méthodes naturelles et dans des cas bien précis. La religion catholique se resserrait donc une fois de plus autour d’une minorité de pratiquants ultra-orthodoxes.

La masse des chrétiens ordinaires, elle, n’avait pas oublié. On continuait d’élever tous ces enfants prénommés « Ogino » en souvenir de la très célèbre méthode du calendrier. Les femmes surtout se rappelaient. Elles étaient bien décidées à remplacer leur rôle de servantes par celui d’amantes. Et elles le réussissaient avec bonheur dans bien des cas.

Je le soupçonnais moi-même depuis longtemps, je le savais maintenant d’une façon certaine. Dieu avait raison… la sexualité est bonne, voir très bonne en soi et avec les autres. Il n’y a en elle rien de sale ni d’impur. Dans ce domaine comme dans bien d’autres d’ailleurs, ce sont les comportements humains qui donnent aux sujets et aux objets leurs vraies couleurs. La sexualité humaine, féminine en particulier, pouvait donc revendiquer ses titres de noblesse et tous ses droits au plaisir.

Il s’agit d’abord de décortiquer les termes et de les replacer dans la réalité sexuelle des temps modernes. La sexualité n’est pas la procréation. Il y a d’abord le sexe ou l’activité sexuelle, le plaisir ou sa jouissance la plus intense et ensuite seulement ou en même temps et si FEMME VEUT, il y a fécondité. On ne joue plus sur les mots. 2000 ans de contrainte, de péchés, de peurs morbides, voire même de morts, C’EST ASSEZ. On allait réapprendre la joie, le plaisir et jusqu’à l’extase des échanges physiques. Ce mouvement comme celui du balancier oscillant d’un extrême à l’autre, il retrouve dans bien des cas un tic-tac ajusté au niveau des bonheurs recherchés.

Je me retrouve donc en l’an 2000 avec plus de quinze ans de connaissances théoriques et pratiques. J’avoue en même temps que mon savoir demeure bien limité. Et je suis dans cette matière de plus en plus rigoureuse et avec des exigences non équivoques.

Je n’entreprendrai pas de donner ici un cours de sexologie. Les moyens de se renseigner sont multiples et à la portée de tous. Je me contenterai d’énoncer en terminant quelques principes de base qui dirigent et orientent ma pratique « sexologique ».

Autant que dans tous les autres domaines de l’agir humain, je fais d’abord appel à l’intelligence et à la dignité de la personne humaine :

* je préconise pour tous le droit à une éducation sexuelle adaptée, graduée, aussi ouverte que franche et compétente ;

* j’enseigne très sérieusement voire sévèrement que les premières relations sexuelles doivent se réaliser entre adultes majeurs, conscientisés, bien informés et protégés ;

* j’établis une différence non équivoque entre érotisme, le nu dans sa vraie beauté et pornographie : parade de laideur ; » je dis qu’il faut épurer, dompter, faire traiter s’il le faut ses fantasmes sexuels : on n’a pas le droit d’entretenir ou de nourrir des pensées qui avilissent et conduisent souvent à des agirs criminels ; « je bannis l’avortement utilisé comme moyen de contraception. La « pilule » ne doit pas non plus constituer une nouvelle façon d’asservir la femme ;

* je m’insurge contre une foule de comportements déviants et tous ces autres caprices, obscénités et inventions démoniaques à commencer par le sado-masochisme ;

* je répète que le sexe individuel, homosexuel et hétérosexuel sont autant de facettes de la diversité sexuelle humaine. J’en appelle à la fécondité de chacune de ces réalités, sous une forme ou sous une autre (la fécondité n’est pas seulement physique) ;

* j’exige des pré-requis sérieux à la relation sexuelle : environnement, hygiène, confort… La vraie séduction passe d’abord par l’imagination et la pudeur ;

* je veux des conjoints qui se connaissent et s’aiment d’abord de peau autant que de tête, d’âme et de coeur ;

* je rappelle la nécessité fondamentale d’une communication verbale sexuelle de personne à personne. On est de plus en plus renseigné… on ne sait pas encore vraiment comment échanger sur le sujet ;tout ou presque étant meilleur à deux, je souhaite que se réalise pour tous un deux par deux qui fasse aussi bien jouir que rire, dormir et vivre.

Je conclus en vous référant au très beau texte : Le Corps, nouveau point de départ pour la nouvelle théologie morale, paru dans L’autre Parole, no 52, décembre 1991. En voici quelques extraits qui me rejoignent au creux de mon être :

Partir du corps, c’est le racheter, racheter le corps humain total Homme et femme, c’est lutter pour sa vie, avec les armes de la vie. Partir du corps, c’est partir du Royaume de Dieu, annonce de rédemption pour les corps, annonce de la bonne nouvelle, annonce de joie, de liberté, de jouissance des corps.

Dans la perspective du Royaume, la morale se construit à partir de la liberté et de l’égalité des corps qui cherchent l’infini bonté de Dieu dans la construction de l’amour et de la justice, dans la contemplation de l’humain comme un des lieux privilégiés de l’énergie divine et de la sexualité comme expression de cette même énergie.

ROBERTA FOREST, PMSS,

Sexologue, psycho-thérapeute