MIEUX VAUT VIVRE EN EXIL QUE CHEZ SOI EN ÉTRANGÈRE.

MIEUX VAUT VIVRE EN EXIL QUE CHEZ SOI EN ÉTRANGÈRE.

Wafoa Makouf • Libanaise

vivant à Pierrefonds depuis deux ans, réfugiée.

À l’ère du progrès…

Depuis que le progrès a commencé à gagner la plupart des pays du monde, au début du XXe siècle, les besoins vitaux n’ont cessé d’augmenter, poussant la femme à descendre sur le marché du travail et à donner la main à son mari pour l’aider à affronter les difficultés de l’existence et à améliorer les conditions de vie, spécialement lors de la venue des enfants – ce qui entraîne une augmentation des dépenses. Comme il devient difficile de se suffire d’un seul revenu, la femme se met au travail, parfois malgré elle, pour combler le manque à gagner mensuel de son mari.

C’est là que commencent les problèmes matrimoniaux et sociaux. En effet, la femme ne croyait pas qu’après une journée de travail, elle devait se consacrer aux travaux ménagers et s’occuper des enfants et de leurs problèmes. Elle fut donc amenée à négliger sa maison pour donner le maximum à son travail à l’extérieur qui lui procurait son pain quotidien. Il s’ensuivit une désagrégation de la famille, phénomène que l’on constate dans la plupart des pays européens et occidentaux et qui est en train de se répandre dans les pays qui veulent atteindre le même niveau de vie et le même soi-disant progrès.

Il aurait été normal que le revenu de l’homme suffise à faire vivre une famille dont les fondements reposent sur la compréhension et le partage des tâches, et non que l’homme et la femme rentrent le soir, après une journée de travail à l’extérieur, et continuent à travailler à la maison. Trouvez-vous que ce soit juste ? Et si nous considérions ce problème d’un oeil objectif, nous arriverions à la conclusion que le seul bénéficiaire d’une telle situation est le patron avide qui en profite pour grimper sur le trône de la richesse excessive…

…et des conflits

Tout comme mon mari, je vais au travail le matin, et à notre retour, nous constatons qu’il n’y a rien de prêt à manger, à moins que ma mère ne nous ait fait l’aumône d’un souper chaud. Et comme je suis trop fatiguée pour faire la cuisine, nous devons nous contenter de boîtes de conserves, ce qui est coûteux et pas très bon pour la santé. De toute façon, nous, Orientaux, n’apprécions pas beaucoup ce genre de mets. Alors commencent les problèmes conjugaux, et, avec les années, les différends deviennent des conflits insolubles qui parfois mènent à la séparation, au divorce et à la dispersion des enfants.

J’ai le regret de dire que, dans ces circonstances, le mari montre peu de compréhension et qu’il ne met pas sa main dans celle de sa femme pour effectuer les travaux ménagers. En vérité, le poids des responsabilités est trop lourd à porter et exige de grands sacrifices qui viennent à bout de la résistance humaine. Si l’un des deux conjoints voulait s’occuper seul des travaux ménagers, ce serait un suicide ; et pourtant, la vie continue ou plutôt elle doit continuer, même si c’est aux dépens du repos de l’être humain.

…et de l’espoir

Les familles qui émigrent fuient un mal réel, espérant vivre une vie meilleure dans un monde plus juste ; mais elles se heurtent à des obstacles énormes. C’est particulièrement vrai pour la femme, quoique l’homme aussi doit affronter des difficultés… Mais ceci ferait l’objet d’une autre étude et nous nous contenterons de parler de la femme.

Lorsque celle-ci arrive dans un pays d’immigration, elle est éblouie par les choses qu’elle voit pour la première fois, mais cet éblouissement s’atténue de jour en  jour. La vie continue, et les difficultés commencent à surgir : la femme doit affronter des obstacles et faire des sacrifices encore plus grands que dans son pays d’origine, et ce, dans plusieurs domaines. Elle doit ne compter que sur elle-même, et pour entrer dans les détails, mentionnons les vérités suivantes :

1. Les heures de travail sont ici plus longues, et ce qui est surtout pénible, c’est que la femme ne peut travailler dans sa spécialité, d’où l’obligation d’accepter n’importe quel emploi – quand elle en trouve – même s’il ne répond ni à son degré d’instruction ni à son niveau social.

2. Les distances qui séparent le lieu de sa résidence de celui de son travail sont tellement grandes qu’il lui faut des heures pour se déplacer de l’un à l’autre.

3. Il leur faut s’occuper des enfants beaucoup plus que dans leur pays d’origine, pour les mettre sur la bonne voie dans cette nouvelle société où ils vont vivre, afin de sauvegarder autant que possible les valeurs et les coutumes.

Tout cela est très exigeant puisqu’il faut simultanément s’occuper de tâches traditionnelles comme faire la cuisine, assurer la propreté, apprendre aux enfants la langue du pays en plus de leur langue d’origine.

…malgré tout

En résumé, je me trouve, en tant que femme installée dans un pays d’immigration, devant d’énormes responsabilités, bien plus grandes que celles que j’avais dans mon pays d’origine. Et je dois les affronter toute seule pour pouvoir vivre loin des canons, du sifflement des balles de fusil et des lois martiales.

Oui, je suis venue ici, j’ai préféré vivre dans un pays d’exil plutôt que vivre chez moi en étrangère. Oui, j’ai de plein gré accepté de prendre ce chemin afin de gagner le repos de l’esprit, loin des tracas quotidiens qui m’attendaient dans mon pays d’origine. Après deux ans de séjour dans ce pays, je me sens chez moi, car l’être humain se sent chez lui là où il se sent bien.