MUTUALITE EN DEVENIR….

MUTUALITE EN DEVENIR….

CHANTAL VILLENEUVE, BONNE NOUV’AILES

J’éprouve toujours un certain malaise quand il est proposé de traiter à part la question des « jeunes ». J’aimerais tenter de clarifier ici ce malaise.

Il est certes important pour un groupe comme L’autre Parole de s’arrêter un peu et de s’interroger sur comment pensent et vivent celles que l’on perçoit comme différentes de nous, dans ce cas-ci, les jeunes. Il ne fait pas de doute pour moi que les « jeunes » sont un groupe opprimé, que l’âgisme est rampant et inavoué dans tous les milieux, et que de leur offrir de prendre publiquement la parole est en soi un acte porteur de libération. Malgré tout, l’intention, reflétée dans le titre du bulletin, de donner la parole aux jeunes femmes, de leur demander de dresser un portrait par autoportrait, un portrait de l’intérieur, ne contribue qu’à moitié à dissiper ma résistance aune telle démarche1. Il me reste encore une certaine inquiétude face au comment sera reçu le discours des « jeunes ».

Je vous assure que je ne mets pas en doute que l’effort de compréhension sera fait de bonne foi. Mais la compréhension implique nécessairement un changement ; un changement pour qui ? Par son regard qui cherche à comprendre et à analyser, l’examinatrice ne se place-t-elle pas déjà dans une position théorique ambiguë ? Est-ce que son regard sera voilé par sa volonté de saisir pour mieux former, par son désir de posséder enfin une réponse à la question qui hante les consciences féministes depuis des années : pourquoi les « jeunes » ne sont-elles pas sensibles au discours féministe ? Je ne tenterai pas de répondre ici à cette question fondamentale (bien que j’aie ma petite idée là-dessus).

J’ai entendu plusieurs tentatives d’explication depuis quelque temps : « Quand elles arriveront sur le marché du travail, elles se rendront compte que tout n’est pas gagné », « elles croient qu’il n’y a pas à revenir sur les acquis », etc. Souvent, ce qui est sous-entendu, c’est que les « jeunes » ne sont pas conscientisées. Mais quand on prétend porter un discours situé (et c’est maintenant presque un cliché que de dire que le discours féministe est un discours situé), il y a un certain paradoxe à tenter de l’inculquer aux générations suivantes. Le concept de conscientisation repose sur un a priori objectiviste : celui d’une vérité absolue qui, lorsqu’elle est articulée, va transformer profondément celles qui l’auront fait sienne. La conscientisation ainsi comprise empêchera le développement des significations situées et la relativisation de la vérité qui permettraient l’élaboration de stratégies de résistance nouvelles. De discours libérateur, le féminisme passe à une dialectique d’oppression2. Cette « évangélisation » sent très fort l’orthodoxie : c’est une vision globalisante du bien pour toutes. Nos narrations sont alors ignorées au nom de l’universalisation de l’orthodoxie féministe.

Je propose d’accueillir le discours des « jeunes » pour lui-même, dans un effort d’ouverture et de mutualité dans lequel les deux côtés sont appelés échanger, agrandir. L’ouverture amène à reconnaître de nouvelles possibilités d’identité, de nouvelles façons d’être en relation avec les autres comme personne et non comme des rôles ou des stéréotypes. Ces relations de mutualité, où chacune participe à l’enrichissement de l’autre, sont le contraire de la hiérarchie. La « conscientisation » ne peut plus être à sens unique.

Le féminisme, le féminisme chrétien, est une tentative. Il y en a d’autres. Je me refuse à le poser en universel auquel une jeune femme enfin conscientisée aurait accès. Pour moi, le féminisme est bien plus une analyse, une question, qu’une réponse. Le féminisme est second et facultatif, après la vie qui est un appel à la créativité et à la liberté. Je ne suis pas le futur du féminisme. Je suis son présent. Éminemment.

1 Et encore, je vous épargne mes réflexions sur l’horreur que je ressens à être étiquetée « jeune » à trente ans et plus.

2 C’est une observation qui a été souvent faite à la théologie de libération. Voir Jaime R. Balboa, « Gustave Gutierrez in Poststructuralist Critique : Toward a Postmodern Liberation 1 », reproduit sur Internet.