QUEL SACERDOCE POUR LES FEMMES AU DÉBUT DU CHRISTIANISME ?

QUEL SACERDOCE POUR LES FEMMES AU DÉBUT DU CHRISTIANISME ?

Flore Dupriez – Vasthi

Personne ne conteste que le Christ ait eu envers les femmes une attitude d’ouverture inhabituelle dans la société de son temps. Les évangélistes en témoignent, même s’ils ont écrit plusieurs années après sa mort.

Jean (4, 5-42) nous dit à propos de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine que les disciples furent plus qu’étonnés de le voir converser avec « une femme » à qui il fit confiance au point de lui confier une action missionnaire.

Marie-Madeleine eut la première le privilège de voir le Christ ressuscité (Jn 20, 11-18, Me 16, 9-11, Mt 28, 9-10). Il lui parla d’une Alliance qui désormais changerait les relations entre les humains et la Divinité dont ils sont filles et fils. Le (24, 11) témoigne, quant à lui, du scepticisme des hommes de la communauté devant l’annonce incroyable de la résurrection faite par des femmes. Pierre, par contre, sera cru beaucoup plus aisément (Ibid. v. 31) Ici, se dessine déjà le processus d’institutionnalisation qui se fit sans les femmes dans une société où l’autorité était du côté des hommes.

Il semble pourtant qu’il y ait eu une réelle présence féminine dans la première évangélisation. Les quatre filles de Philippe ont prophétisé à Césarée. Paul (1 Cor.. 11, 13-16) reconnaît d’ailleurs cette fonction aux femmes.

Lorsque les premières communautés chrétiennes se réunissaient pour des repas commémorant la dernière Cène, ces réunions se faisaient sûrement autour du père de famille, comme le voulait la coutume juive, mais en fut-il ainsi ailleurs ? À Rome, les hommes se convertirent peu au christianisme surtout dans les classes privilégiées alors que les femmes jouèrent un rôle actif dans l’annonce de la Bonne Nouvelle, avec la liberté que leur laissait la société.

Les femmes ont évangélisé et elles ont aussi témoigné de l’Évangile par le martyre comme le démontre, par exemple, la Passion de Félicité et de Perpétue racontée par Tertullien. Le rôle de confesseures de la foi ne leur sera pas contesté et Agnès, Cécile, Lucie seront longtemps citées en exemple. Or, la Constitution apostolique d’Hippolyte (début du IIIe siècle) reconnaissait que la confession par le martyre équivalait à la dignité de la prêtrise. Ainsi, à celui qui avait été en prison dans les chaînes, il ne fallait plus imposer les mains pour le ministère de diacre ou de presbytre. Suzanne Tune dans un ouvrage récent (Brève histoire des femmes chrétiennes, Paris, le Cerf, 1989, 296p.) fait remarquer que ce texte n’a pas été appliqué aux femmes (p. 137).

Le contexte sociologique

Ce contexte est déterminant pour comprendre l’évolution du christianisme. Celui-ci est né dans la société juive qui avait une classe sacerdotale à laquelle on appartenait par la naissance. Puis il s’est développé dans le monde gréco-romain. Les Grecs avaient une longue tradition philosophique qui depuis le pythagorisme mettait l’accent sur la primauté de la raison sur le corps, avec une nette tendance à voir les femmes du côté de l’irrationnel et de la matière.

Les Romains aussi avaient une classe sacerdotale qui fut toujours près du pouvoir mais, surtout, ils avaient conquis un immense empire qu’ils géraient de manière très centralisatrice, avec un grand sens du pouvoir et une administration bien réglée ainsi qu’une armée puissante. Il existait là un modèle de fonctionnement qui avait fait ses preuves. La primauté de l’évêque de Rome s’est d’ailleurs très vite établie dans l’Église chrétienne, et Rome, elle-même, devint le centre de la chrétienté.

L’Orient avait, par contre, donné à l’empereur une aura que les Romains n’ont pas voulu attribuer à leurs dirigeants durant toute la République, craignant un retour de la royauté. Mais, au début de l’ère chrétienne, les empereurs romains, à l’exemple des monarques orientaux, seront divinisés et recevront un culte.

Entouré de toutes ces influences, le christianisme va naître d’abord Bonne Nouvelle, message de libération ; pour cette raison, il fut très vite persécuté car il contenait un germe révolutionnaire. Les persécutions le firent connaître : le courage des martyrs intrigua et suscita des adhésions nouvelles.

Apparition d’un discours théologique

Ce ne furent pas les persécutions qui mirent la nouvelle religion en péril mais les hérésies : hérésies judaïsantes, gnostiques, anti-trinitaires. Face à elles, l’Église naissante dut préciser sa doctrine. Un discours théologique se construisit alors en Orient comme en Occident pour répondre aux courants jugés non orthodoxes. Dans ce débat capital pour l’avenir du christianisme comme religion, les femmes n’eurent pas leur place alors qu’elles avaient pu évangéliser et prophétiser. Si le martyre leur avait permis d’être les égales des hommes, la discussion doctrinale, qui nécessitait une préparation intellectuelle hors de leur atteinte et l’institutionnalisation, qui demandait l’autorité qu’elles n’avaient pas non plus, les mirent à l’écart dans l’évolution de la vie ecclésiale.

La lutte contre les hérésies, qui avait renforcé le pouvoir des hommes joua d’autant plus contre les femmes que l’Église se méfia d’elles car certains mouvements gnostiques leur donnaient beaucoup de place si l’on songe, par exemple à Priscilla et Maximilla dans le Montanisme. Le christianisme orthodoxe se démarqua en soutenant que l’Église SEULE pouvait montrer aux femmes et aux hommes quelle était la vie voulue par Dieu pour arriver au salut. Toutes celles ou tous ceux qui s’imaginaient pouvoir atteindre la Connaissance par une autre voie faisaient nécessairement fausse route.

Édification de fortes structures

« L’orthodoxie » avait aussi compris que les idées à elles seules ne pourraient établir une religion et que celle-ci avait besoin pour survivre d’une charpente forte qui la structurerait et lui permettrait d’unir les fidèles dans une communauté de doctrine et de pratiques. La hiérarchie ecclésiastique devint la marque tangible de la succession apostolique. Ainsi l’Église, comme un État, suppléait à une béance laissée par la société et mettait fin aux discordances par un pouvoir fort.

Il ne faut pas perdre de vue non plus la crise morale traversée par l’empire romain qui put trouver dans le christianisme institué des réponses et des remèdes d’autant plus adéquats que la hiérarchie catholique précisait des points de doctrine et de morale capables de restructurer l’ordre social.

L’infériorisation des femmes

Mais que devenaient les femmes dans cette institutionnalisation faite par le christianisme ? Écoutons Tertullien (Ile siècle) dans le Voile des femmes (9,1) : « II n’est pas permis à la femme de parler dans l’Église et pas davantage de baptiser, d’offrir, ni de revendiquer pour elle aucune part d’une fonction propre à l’homme, encore moins du ministère sacerdotal. » A cette époque la hiérarchisation de l’Église était déjà entamée et les femmes n’y avaient pas de place, pas plus qu’elles n’étaient citoyennes dans l’État romain ou la cité grecque.

L’on sait par ailleurs qu’il y a eu un ordre de veuves institutées, très respectées et chargées des oeuvres de charité ainsi qu’il a pu y avoir des diaconesses dans le monde oriental plus qu’en Occident. Cependant il semble que, pour Tertullien, les femmes n’aient pas même eu le rang de laïcs. Le nouveau code de droit canon présenté en janvier 1983 précise d’ailleurs que les femmes ont désormais droit à toutes les fonctions des laïcs. A. Faivre (Les laïcs aux origines de l’Église, Paris, le Centurion, 236 p.) pose avec pertinence la question suivante : cela signifie- t-il qu’elles ne les avaient pas auparavant ?

A la fin du IVe siècle, les Constitutions apostoliques (III, 9-13) résument très bien tous les arguments qui ont joué pour exclure les femmes de la hiérarchie sacerdotale :

« Quant à ce que les femmes baptisent, nous vous informons du danger important où se mettent celles qui osent agir ainsi. C’est pourquoi, nous ne le conseillons pas, car c’est incertain, ou plutôt, c’est illégal et impie. En effet, si la tête de la femme c’est l’homme, c’est lui aussi qui a été choisi pour le sacerdoce ; il n’est pas juste de mépriser la création et de délaisser ce qui est premier pour aller vers le corps venu en dernier : car la femme, c’est le corps de l’homme, issu de son côté, soumis à lui et distinct de lui en vue de la procréation. En effet, il est dit : « Lui, il dominera sur toi. Car l’homme est le chef de la femme, puisqu’il en est la tête ». Si plus haut nous avons interdit aux femmes d’enseigner : comment consentirait-on à ce qu’elles exercent le sacerdoce contre nature ? Car cette aberration consistant à instituer des prêtresses pour des déesses féminines provient de l’athéisme des païens et non de l’institution du Christ.

Nous avons compris que ce texte reflète le mode de pensée et d’agir d’une société patriarcale où seule l’autorité masculine a une réelle valeur. La philosophie grecque, on l’a dit, mettait les hommes du côté de la tête. Dans sa Politique, Aristote pensait que la nature elle-même justifiait la supériorité de l’homme destiné à commander. Nous trouvons aussi dans ce texte le profond besoin que l’Église a eu de se démarquer du paganisme et encore plus des cultes féminins.

Le célibat sacerdotal

Dans de telles conditions, il est normal que l’on ait mis plus en valeur le rôle des apôtres que des femmes dans la diffusion du message du Christ. C’est dans cet état de crainte envers l’irrationnel que les responsables de l’Église vont créer une nouvelle classe sacerdotale qui se démarquait de celles qu’avaient connues les siècles antérieurs. Les prêtres montreraient désormais la supériorité de leur fonction en renonçant à l’exercice de leur sexualité. Il ne s’agissait pas tant de vivre dès ici-bas dans la condition des anges comme on le recommandait aux vierges parce que la parousie était proche mais plutôt de créer un nouveau pouvoir cautionnant l’orthodoxie.

Seulement cette lutte des hommes d’Église contre leur instinct de vie, contre l’hérésie, contre le partage du sacerdoce avec les femmes leur a fait oublier l’égalité des femmes et des hommes en Christ.