Qui a peur de Françoise David ?

Qui a peur de Françoise David ?

Lettre adressée à Madame Lysiane Gagnon en réaction à certains passages de « Leçons d’une dure campagne  » article publié dans le journal La Presse, le 14-04-01. Passages retenus :

C’est cela, et pas le reste, qui constituait le véritable problème de la candidature de M. Toussaint. Évidemment, on a davantage parlé de ses déboires conjugaux. C’est un thème à la mode, et les féministes officielles n’allaient pas rater l’occasion de remonter sur leurs grands chevaux, au mépris du fait que M. Toussaint n’avait aucun casier judiciaire. L’autre leçon de cette campagne concerne le rôle des féministes officielles et leur détestable manie de prodiguer des excommunications, comme si elles étaient les gardiennes de la moralité. La Fédération des femmes, dont on se demande toujours qui elle représente, s’est excusée pour le procès d’intention intenté à Claudel Toussaint, mais il était trop tard. Sainte Françoise, flanquée de Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence, avait déjà rendu son verdict du haut de sa chaire : Toussaint était coupable d’avoir « banalisé la violence ». (Le pauvre homme, sa vie privée brutalement éventrée, avait dit que son ex avait « paniqué ». Et si c’était vrai ?)

M. Toussaint a fait ce que doit faire l’homme interpellé par un tribunal féministe — le seul tribunal du pays qui ne respecte pas la présomption d’innocence. Il est allé se traîner aux pieds de sainte Françoise pour invoquer son indulgence et s’excuser « auprès des femmes » puisqu’il faut croire que Mme David incarne à elle seule les quatre millions de femmes québécoises. On ne sait pas s’il a reçu l’absolution, mais la boue a collé. Si cette pénible histoire pouvait convaincre Mme David et ses consoeurs de cesser de jouer les Mères supérieures, elle aurait au moins servi à quelque chose. Hélas ! Ces dames croient toujours au slogan fasciste (ou maoïste, comme on voudra) qui dit que « la vie privée est politique », alors n’espérons pas trop.

Madame Lysiane Gagnon,

Le ton pernicieux de votre article « Leçons d’une dure campagne », publié dans la Presse de samedi, le 14 avril dernier, a soulevé notre indignation.

Quels motifs, quels sentiments vous ont poussée à conspuer de la sorte la Fédération des femmes du Québec et sa présidente, madame Françoise David ?

La violence faite aux femmes, un « thème à la mode » écrivez-vous dans la première partie de votre article. Faut-il vous rappeler, madame, que cette violence se perpétue depuis des millénaires, et que les femmes du monde entier ont marché en octobre 2000, depuis les confins de la planète, contre « la violence faite aux femmes » en en faisant un des deux thèmes fondamentaux de la Marche mondiale des femmes.

Et de ce pas, serions-nous en train d’ébranler les colonnes du Temple patriarcal ?…

« La Fédération des femmes du Québec représente qui ? », vous demandez-vous plus loin dans votre article. Faut-il aussi vous rappeler que la coordination de la Marche mondiale des femmes a été confiée par tous les groupes de femmes participant à cette Marche à la Fédération des femmes du Québec, ayant à sa tête madame Françoise David.

Pourtant, la Fédération des femmes ni madame David n’ont jamais prétendu représenter les quatre millions de femmes québécoises. Néanmoins, cette grande dame, sans être une sainte, est porteuse d’un grand mouvement en marche depuis des siècles et qui finira bien par arriver à destination, parce que nous sommes patientes et déterminées.

Et bien sûr, notre mouvement n’ira pas déposer ses acquis, ses valeurs et ses principes sur l’autel des grands pontifes et thuriféraires de l’ordre mondial. Les femmes demeureront les gardiennes de leur « matrimoine ». Et puis aussi, nous ne subordonnerons plus jamais la cause des femmes à d’autres causes. Cela, l’Histoire nous l’a durement enseigné et nous ne l’oublierons plus.

Nous aimerions également vous mentionner que vous êtes responsable d’une chronique d’un quotidien de masse, et que vous disposez ainsi d’un pouvoir considérable. Au lieu de tenter de comprendre la douleur de milliers de femmes, vous vous offusquez de la réaction de madame David. Il nous semble que l’esprit critique aura toujours sa place et que le ton réducteur ne fait rien avancer.

Vous terminez votre article en vous demandant à quoi raccrocher le slogan « La vie privée est politique » Au fascisme ou au maoïsme ?

Pour y répondre, nous avons fait appel à une (autre) féministe du début du XXe siècle.

Durant la Deuxième grande guerre mondiale, dans son essai politique intitulé Trois guinées, publié en 1938, madame Virginia Woolf voit en la figure de saint Paul « un membre de la catégorie virile ou dominatrice, si connue aujourd’hui en Allemagne, à la satisfaction de laquelle une race ou un sexe assujetti est indispensable2 ».

Sachant que « les fascistes (et notamment en Angleterre) insistaient sur la soumission des femmes », Virginia Woolf, pour son livre Troz’s guinées, découpa l’article suivant dans le Sunday Times du 13 septembre 1936 :3

Éloge des femmes : leur rôle dans le triomphe nazi. En s’adressant à la Ligue des femmes nazies, Herr Hitler a fait l’éloge des femmes qui ont permis à son mouvement de triompher. « Tant que nous aurons un sexe masculin vigoureux en Allemagne, et nous y veillerons, nous les nazis, nous n’aurons pas dans ce pays d’escouades féminines de lanceuses de grenades », a-t-il déclaré.[…] Il a souligné que les femmes étaient plus utiles à la nation lorsqu’elles élevaient des familles nombreuses. […] « II y a deux univers dans la vie de la nation, celui des hommes et celui des femmes. […] L’univers de la femme, si elle est heureuse en famille, est son mari, ses enfants et son foyer3 ». […]

Madame Gagnon, « La vie privée est politique » est un slogan du mouvement féministe qui n’a rien à voir avec la pensée fasciste.

Pour conclure, nous vous reproduisons un extrait du Manifeste des femmes du Québec.de l’an 2000 écrit par madame Hélène Pednault, pour la Marche mondiale des femmes 2000 :

En améliorant la condition des femmes, on améliore le sort de tous. « La cause des femmes,  c’est la cause des gens ». En neuf petits mots, cette phrase de Marie Cardinal résume tous les combats des femmes.

Nous sommes extrêmement ambitieuses. Nous voulons rien de moins que changer le coeur du monde.

Et ceux qui ne veulent pas nous aider parce qu’ils croient qu’ils ont quelque chose à perdre, venez nous voir quand le travail sera terminé. La porte ne sera jamais fermée à quiconque a l’ambition défaire avancer l’Humanité tout entière.

KRISTIANE GAGNON

2 Hermione Lee, Virginia Woolf, ou l’aventure intérieure, p. 841.

3 Ibidem, p. 899.