Rapport hommes-femmes à l’intérieur de nos Églises

Rapport hommes-femmes à l’intérieur de nos Églises

Faye Wakeling • Église unie

Je voudrais aborder le sujet à partir de deux champs religieux différents. Le premier, c’est celui de la communauté où je travaille tous les jours et qui constitue, pour moi, le lieu de l’engagement de l’Église dans la vie et les luttes des gens marginalisés par leur condition de pauvreté. Le second champ se situe dans le vécu de la relation hommes-femmes à l’intérieur de mon institution ecclésiale, soit l’Église unie.

Premier champ : la communauté de Pointe-St-Charles

A Pointe-St-Charles, quartier de la plus haute concentration de la pauvreté à Montréal, il est impossible de considérer les rapports hommes-femmes en dehors du contexte socio-économique. Là, les femmes comme les hommes, exploités et diminués dans leur dignité, se sentent sans pouvoir et vivent dans la contrainte quotidienne. La présence de l’Église à notre centre communautaire se traduit par un engagement avec celles et ceux dont la vie est précaire, afin de travailler ensemble à bâtir une vie meilleure.

Mais, en fait, nous travaillons essentiellement avec les femmes. Même si prés de la moitié de la population active est sans emploi, il est difficile de faire participer les hommes aux programmes et actions communautaires. Convaincus de devoir gagner le pain de la famille en exerçant des métiers physiquement durs, de nombreux hommes, privés de tels emplois, perdent l’estime d’eux-mêmes et deviennent hostiles aux femmes qui remettent en question les rôles secondaires où elles ont été reléguées pour s’engager dans l’action communautaire et découvrir ainsi leur potentiel.

A Pointe-St-Charles, la plupart des femmes ont des enfants en très bas âge et elles doivent souvent les élever seules. Elles ont peu de temps et d’énergie pour repenser leur condition de vie, pour rêver, pour se former, pour débloquer des possibilités d’avenir au-delà de la nécessaire survie. Leur plus grand sinon leur seul espoir, c’est que leurs enfants puissent avoir une vie différente, meilleure que la leur.

L’analyse qu’elles font de leur vie personnelle révèle une histoire douloureuse faite d’abus sexuels, de manque de confiance en elles comme dans leur capacité d’apprendre à être efficaces hors du milieu familial. Je suis émerveillée de voir la force d’âme de ces femmes, leur entraide mutuelle, leur engagement quotidien, leur détermination à aller de l’avant lorsqu’elles entreprennent de développer leur capacité de travail et de réflexion. Mais toute cette émergence n’est pas sans leur coûter cher dans leurs relations avec les hommes.

Lorsque ces femmes naissent à une nouvelle vision de la valeur de leur travail et de leur force réelle, lorsqu’elles se soutiennent les unes les autres dans leur refus d’être victimes d’abus, de contrôle, d’enfermement dans des rôles secondaires, elles doivent alors faire face aux conséquences que cela entraîne sur leur relation avec leurs hommes et les limites rigides dans lesquelles ces derniers veulent les maintenir.

Dans ces milieux, les rapports hommes-femmes s’inscrivent dans des rôles socioculturels très typés où la sexualité est nécessairement hétérosexuelle et patriarcale. Aussi, certains hommes tournent-ils leur colère contre le « centre St-Colomban »et contre moi en particulier. Ils vont jusqu’à qualifier leurs femmes de « lesbiennes » ce qui, dans cette culture populaire, représente la plus grave des insultes. La crainte des femmes de se reconnaître comme féministes vient en partie de la peur de se faire accoler cette étiquette.

Bien que la majorité de la population de Pointe-St-Charles s’identifie comme catholique, peu vont à l’église ou s’engagent dans les activités de la paroisse. L’Eglise institution n’en continue pas moins d’exercer un incroyable pouvoir sur leur système de valeurs et sur la définition des rôles des femmes et des hommes. Ces valeurs imbriquées dans la culture populaire viennent de l’héritage d’un enseignement moraliste reçu dès l’enfance et renforcé par la culpabilité et la crainte. Elles rendent le travail de libération des femmes et des hommes, vis-à-vis des rôles souvent destructeurs et dévalorisants, extrêmement difficile et complexe. Il est donc clair que l’émergence de la libération chez ces femmes se fait en dehors de l’institution ecclésiale et de ses schémas culturels et théologiques répressifs.

Deuxième champ : l’Église institution

Quant à mon expérience dans l’Église institution, elle se situe évidemment, hors de Pointe-St-Charles, dans le réseau de l’Église unie. Bien que notre Église ait une histoire réelle d’engagement à la justice sociale et de solidarité avec les pauvres, elle n’en reste pas moins une Église de la classe moyenne.

Les relations hommes-femmes et la lutte des femmes pour leur juste place dans l’Eglise et la société préoccupent depuis longtemps l’Eglise unie. Le débat autour du rôle des femmes dans les ministères faisait rage dans les années 20. Il en résulta l’ordination d’une première femme en 1936. Cependant c’est seulement durant les vingt dernières années que la masse critique des femmes dans le pastorat eut un impact sur le processus de décision dans cette institution et sur la théologie. Cela s’exprima par une nouvelle compréhension et une redéfinition du travail des femmes et de leur valeur, par une réflexion biblique et théologique de premier plan selon une perspective féministe et par l’adoption d’une politique d’utilisation du langage inclusif dans les liturgies, les catéchèses, les publications, etc.

Au début des années 80, et pendant 10 ans, l’Église unie a formé un « Groupe de travail national sur le sexisme » dont le mandat était de procéder à un examen critique des pratiques et de la théologie de l’Église unie. Ce travail stimulant fut constamment porté à l’attention des divers paliers d’organisation de l’Église (paroisses, consistoires, synodes, conseil général),partout où pouvaient s’observer des manifestations de sexisme : exercice abusif du pouvoir, structure patriarcale, dévaluation du travail et de la contribution des femmes, présence insuffisante des femmes dans les instances de décision, élaboration de principes théologiques qui bâillonnent et dévaluent les femmes.

En 1985, l’Église unie a connu un sérieux débat sur le grave problème concernant le harcèlement sexuel. Une vive discussion, partie de la base, aboutit en 1992 à l’adoption d’une politique officielle : l’Église promulgua une charte et précisa un mode de recours pour tous les niveaux hiérarchiques, de sorte que les victimes puissent acheminer leur plainte, trouver du support et obtenir justice. Pour l’institution ecclésiale, c’est une véritable mini-révolution.

Le débat et la réflexion autour de la formulation puis de l’adoption de cette politique ont suscité des questions plus vastes sur les relations hommes-femmes et ont ainsi provoqué une analyse plus profonde des racines du problème, comme du rôle historique de la théologie et de l’anthropologie dans la définition des rapports hommes-femmes.

Aujourd’hui, la présence croissante des femmes laïques, diaconesses et pasteures, dans des postes influents ainsi que le partage du travail pastoral en coude à coude avec les hommes entraînent des changements significatifs malgré une forte résistance et même un certain « backlash » alors que le poids de la présence des femmes devient incontournable.

Ce travail à long terme porte ses fruits et met notre Église au défi d’approfondir son examen critique. La reprise fondamentale des questions anthropologiques, sous-tendant les rapports hommes-femmes, ont mené au ré-examen de la sexualité humaine – vue comme un continuum- ce qui a ouvert la porte à l’ordination des homosexuels. Mais c’est là une autre histoire-

Une nouvelle vision des rapports hommes-femmes

II ne saurait y avoir une nouvelle vision des rapports hommes-femmes qui ne soit fondée sur la conception d’un ordre social juste. Maria Mies, auteure de « Femmes – La dernière colonie », présente une analyse remarquable des relations hommes-femmes et des relations entre pays industrialisés et pays des Deux-Tiers Mondes. Elle soutient que tout système d’exploitation se fonde sur la domination des femmes et de la terre…et que le moyen pour imposer et maintenir un tel rapport, c’est la violence. Elle prévient que « si l’on ne comprend pas à la fois ce fondement et le fonctionnement des rapports asymétriques entre les femmes et les hommes, il est impossible de surmonter les rapports de violence » (p. 133). Les femmes assurent plus des deux-tiers de la production et du travail mondiaux. Elles reçoivent 10 % du revenu global et possèdent un maigre 1 % des biens et propriétés du monde (p. 159).

Claudia von Werlhof va plus loin : « Si l’on comprend le travail domestique, alors on a tout compris, c’est-à-dire non pas le travail domestique étroitement défini mais celui qui s’applique à rien de moins que toute l’économie » (p. 168). La consolidation du pouvoir à travers des conglomérats et des organismes comme la Banque mondiale, avec le contrôle croissant des ressources entre les mains d’une petite élite, maintient les inégalités entre les hommes et les femmes, creuse les divisions entre les riches et les pauvres et asservit plus des deux-tiers de l’humanité au profit des puissants du « Premier Monde ».

Ce cadre plus large ne semble pas le sujet de notre rencontre aujourd’hui. Pourtant il m’apparaît impératif que l’on examine les forces sous-jacentes qui nourrissent le sexisme, quel que soit le niveau d’analyse et de reformulation des rapports hommes-femmes. Car, avec l’augmentation du chômage, s’intensifient les attaques contre les femmes qui travaillent à l’extérieur « pour leur propre plaisir » dit-on.

De son côté, la présente « Décennie oecuménique des Eglises en solidarité avec les femmes » compte, parmi ses objectifs, l’identification du rôle des Églises dans la légitimation de l’oppression des femmes dans le monde. Pamela Brubaker, dans sa thèse de doctorat « Rendre l’invisible, visible », a analysé ce projet des Églises et a cherché à mettre en évidence les méthodologies les plus susceptibles de faire avancer ce travail. Elle conclut que les Églises pourraient jouer un rôle significatif dans la remise en question et la transformation des croyances et des idéologies qui perpétuent les stéréotypes sexistes et oppressifs, à la condition d’intégrer leurs efforts dans une entreprise plus large de transformation des structures hiérarchiques dominantes. Ce travail des chercheures féministes et de leurs alliés, poursuit-elle, doit s’élaborer de concert avec les voix émergeantes des femmes du Tiers-Monde (p. 356).

Tout en reconnaissant qu’il nous faut chercher des avenues nouvelles qui permettent de rassembler la multiplicité des facteurs de transformation des rapports femmes-hommes, le travail d’engagement concret au sein de communautés réelles est crucial pour la formation d’une nouvelle intelligence et pour le développement d’une base de mobilisation.

A Pointe-St-Charles, le groupe de partage biblique des femmes est la source d’une nouvelle intelligence des Écritures. Dans cette démarche de relecture, le vécu des femmes est placé au coeur même de la théologie et du dialogue avec la Bible. Par exemple, lorsque ces femmes abordèrent le récit de la rencontre de Jésus avec la femme qui souffrait d’hémorragie, elles s’émerveillèrent de la foi de cette femme, de son courage à passer par dessus les tabous de l’impureté, de sa volonté d’agir et de guérir.

Les femmes prirent alors conscience qu’elles-mêmes, lorsqu’elles avaient enfin décidé, après bien des hésitations et des craintes, de confronter le directeur d’une clinique médicale concernant des pratiques abusives de la part d’un médecin, elles avaient franchi le même pas : elles avaient pris en charge le droit au respect de leur corps et cherché guérison et justice.

De telles réflexions qui émergent du vécu des femmes doit constituer la base à partir de laquelle vont s’élaborer des relations saines et holistiques entre les femmes et les hommes. Un tel lien organique avec des regroupements de femmes doit faire partie intégrante de notre travail comme théologiennes féministes. Il s’agit pour nous de respecter la sagesse et les intuitions théologiques des femmes qui ont beaucoup à nous apprendre tant à partir de leur expérience multidimensionnelle de l’oppression que de leur capacité de résister, de rebondir et de vivre l’espérance.

Notre vision de la transformation des rapports femmes-hommes ne peut ignorer le rôle des hommes dans ce travail. A Pointe-St-Charles, nous cherchons à impliquer les hommes dans cette réflexion. Il y a un an , nous avons entrepris un programme de repas communautaire tous les midis à l’intention des parents de jeunes enfants. A l’un de ces repas, le groupe de réflexion des femmes a fait porter la discussion sur les rapports femmes-hommes et les stéréotypes. Avec finesse, les femmes firent participer les enfants et elles prirent soin que les hommes ne se sentent pas trop menacés. En fait, l’échange fut encourageant et prometteur. C’est l’approche des « petits pas »…mais c’est ainsi à Pointe-St-Charles. Pourvu qu’on avance.

Il y a quelques semaines, j’ai animé une journée de réflexion sur la théologie féministe pour un groupe oecuménique composé uniquement de pasteurs et de prêtres masculins. Les questions qu’ils voulaient aborder concernaient l’utilisation du langage inclusif dans la liturgie, la spiritualité des femmes qu’ils percevaient comme exclusive et menaçante, les progrès réalisés durant la Décennie, la théologie féministe et…la place des hommes là-dedans ! Bref, tout un programme de rattrapage.

Deux exercices ont semblé rejoindre l’ensemble des participants. D’abord une relecture du récit de Hagar qui illustrait la possibilité d’un renouveau dans l’interprétation des textes bibliques en partant du point de vue d’une femme. Puis l’utilisation de la grille de Sheila Collins pour analyser la pyramide du pouvoir patriarcal. Après avoir dépassé une forte résistance contre l’utilisation de catégories reliées au genre (père, épouse, frère, fille), nécessaire pour procéder à une analyse sociale structurelle, tous ces messieurs ont dû se rendre à l’évidence qu’ils remplissaient eux-mêmes une fonction d’épouse, voués qu’ils sont à plaire et à obéir à la puissante Église institution.

Comme féministe, je crois que notre engagement à faire de la théologie à partir d’une expérience de lutte et de solidarité offrira une voie de libération non seulement aux femmes mais aussi aux hommes c’est-à-dire à l’humanité qui cherche une vie plus juste dans le respect mutuel, dans la totalité de la création.