REMOUS, RESSACS ET DÉRIVATIONS AUTOUR DE LA TROISIÈME VAGUE FÉMINISTE

Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe

Léona Deschamps

Histoire d’en savoir plus sur le militantisme et la diversité du mouvement des jeunes femmes, j’ai parcouru avec grand intérêt le volume titré : Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe. Cette publication dirigée par Mercédès Baillargeon propose les réflexions de treize étudiantes et chercheures du collectif les Déferlantes et s’inscrit dans la continuation du colloque de mai 2008 : Féminisme(s) en mouvement. Les auteures s’impliquent dans un féminisme québécois contemporain influencé par les préoccupations et défis de la société en constante mutation. Les trois sections de l’ouvrage rassemblent les variétés et les richesses des pratiques de la troisième vague où l’on privilégie la construction de coalitions qui se font et se défont au fil des événements. Et, un féminisme où l’on vise l’intégration des « je femmes » aux multiples visages.

D’entrée de jeu, la première section « Hétérogénéité et identités » comprend cinq textes où apparaissent différentes formes de réappropriation de l’identité « femmes ». Au fil de sa rédaction, Liza Petiteau dans « Petite utopie d’un vêtement fantasmagorique », laisse entrevoir l’urgence de déstabiliser tout régime d’opposition binaire (masculin-féminin) contrôlé par un système de pouvoir dominant en s’inspirant du travestissement de femmes artistes. Puis, Tanya Déry-Obin dans sa réflexion « Se mettre en danger pour changer le monde : subjectivité et web 2.0 » reconnaît qu’à long terme la propulsion d’expériences et de stratégies subjectives tout en diversifiant les représentations féminines contribue vraiment à des changements culturels et politiques. Quant à Marie-Ève Gauvin, elle relate une démarche mexicaine de transformations postmodernes : les personnes « muxes-femmes » de la société zapotèque. Son propos intitulé « Féminisation ‘dérangeante’ du troisième genre à Juchitan, au Mexique » démontre le lent passage de la tolérance à l’acceptation de cette nouvelle réalité sexuelle. Pour sa part, Claire Grino exploite la figure du cyborg (nouveau mythe politique de l’hybridation des sujets) dans « La politique des cyborgs : une lecture du Manifeste Cybord de Donna Haraway ». Elle « perçoit un moi post-moderne à la fois individuel et collectif qui provoque le questionnement des diverses catégories homogénéisantes entretenues au cours des siècles ». En conclusion de la première section, Amélie Tremblay propose son entretien fort émouvant avec Alexandre Baril en transformation de sexe et au titre suggestif « Trans-formation  féministe : l’univers d’un homme transsexuel féministe ».

Les auteures de la deuxième section, intitulée « Sexualité, contrôle et normativité » questionnent le maintien de la division binaire de l’humanité. Pour sa part, Anne-Marie Auger s’intéresse à l’imaginaire de la folie des femmes représenté dans l’art. Son texte « Femme et folle au cinéma : l’exemple de la neurotic romance » permet de saisir l’imbrication de l’idiologie, de la culture et de la politique où l’étiquette « hystérique » sert la discréditation de certaines femmes au profit de la norme patriarcale. Puis, Lucie Ledoux effectue une analyse féministe de divers textes autographiques pornographiques écrits par des femmes et exploités au cinéma. Elle conclut son texte « Good girls et bad girls : la nouvelle pornographie au féminin » en affirmant que ces femmes luttent contre la notion étouffante d’identité féminine et qu’elles défrichent de nouveaux territoires en matière de sexualité. Ensuite, Mercédès Baillargeon au cours de sa réflexion « King Kong Théorie de Virginie Despentes : manifeste pour un nouveau féminisme » identifie les limites de l’hétérosexualité obligatoire ; un modèle social traditionnel, sexiste et homophobe basé sur la famille nucléaire et le couple hétérosexuel. Selon la théorie explorée, le féminisme de la troisième vague proposerait une aventure collective pour les femmes, les hommes et les autres.

La troisième et dernière section « Changement, militantisme et pouvoir » comprend trois réflexions où l’on offre une compréhension de la modification du pouvoir et du changement social liée à la postmodernité. Dans un premier article « En théorie, c’est de la pratique » Julie Depelteau et Stéphanie Mayer décrivent une nouvelle forme de militance. Elles exposent la démarche de leur groupe instantané menant à une action directe pour exprimer leur opposition, en 2007, au projet de loi C-484 du Parlement canadien. Un agir féministe fait de bricolage, de spontanéité et de révolte pour contrer une menace à la recriminilisation de l’avortement. Pour leur part, Isabelle Courcy et Marie-Ève Manseau-Young explorent la valeur féministe des groupes d’entraide électronique dans leur texte « Féminisme self-help et nouvelle technologie d’information ».  Elles décodent tout d’abord que la pratique du témoignage individuel, cette prise de parole dans l’espace public contribue à la démocratisation du savoir et à la modification des pratiques sociales.  Cependant la visée féministe demeure peu avouée dans ces divers groupes de soutien. Enfin, l’entretien de Véro Leduc et Coco Riot sur les pratiques et politiques des groupes queer intitulé « Dans l’alcôve : tête à tête ‘queer’ sur les défis de la 3e vague féministe » illustre éloquemment les nouveaux sentiers de cette vague.  En gros le queer s’avère une affirmation de la multiplicité des tactiques révolutionnaires, un système de valeurs antinormatif qui défie les structures oppressives de la société en dénonçant toute forme de système social qui hiérarchise les personnes.

Le visionnement du documentaire humoristique et vivant Attention féministes ! de la jeune réalisatrice Rozenn Potin m’avait préparée à la lecture de Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe. Heureusement ! Car les articles des treize jeunes féministes du collectif les Déferlantes m’interpellaient de diverses manières. Ainsi comme l’homogénéisation du « nous femmes » semble dépassée, alors, comment conjuguer « ma », « notre » solidarité de féministes de la deuxième vague aux diverses pratiques bouleversantes des jeunes groupes de la troisième vague : Filles d’action (2001), RebELLEs (2003), Déferlantes (2008) et Slut Walk (2011) ?  La création de nouvelles articulations s’impose…  Le processus de réflexion sur les vingt dernières années de luttes lancé par la Fédération des femmes du Québec et menant aux États généraux du féminisme, en 2013, m’apparaît une voie vers la naissance d’une mobilisation solidaire plurielle en ce temps de difficile politique démocratique. Cependant, le recueil Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe démontre avec éloquence que le féminisme attire des jeunes femmes même si parfois la séduction semble détourner de la revendication. REMOUS, RESSACS ET DÉRIVATIONS AUTOUR DE LA TROISIÈME VAGUE FÉMINISTE

Sous la direction de Mercédès Baillargeon et du collectif les Déferlantes

Montréal, les Éditions du remue-ménage, 2011, 228 p.