No. 121 – Paroles de féministes musulmanes

Liminaire

L’idée de ce numéro de L’autre Parole est née à Rabat, au Maroc, où s’est tenu du 21 au 25 octobre 2008 le 5e Congrès des Recherches féministes dans la francophonie plurielle. Comme tout congrès international, celui-ci se déplace d’un continent à l’autre, d’une ville à l’autre. En 2008, il a été particulièrement marqué par le contexte du pays d’accueil, le Maroc. L’islam y est la religion d’État et 99 % de sa population est musulmane. Une révision du code de la famille en 2004 a été favorable à l’avancée des droits des femmes, ce qui fait actuellement du Maroc, parmi les pays musulmans et magrébins, celui où il est le plus aisé de travailler au développement d’un discours féministe public qu’il soit de type scientifique, politique ou individuel.

Il fallait s’en douter : les femmes marocaines qui ont pris la parole au Congrès se sont inscrites dans une perspective de « féminisme musulman ». Vers la fin de la première journée de travail, pendant la pause, une féministe venant d’Europe (je n’ai pas retenu de quel pays) m’a lancé d’un ton rageur qu’elle ne pouvait tout simplement pas concevoir que l’on rende compatible le féminisme et la religion. Je comprends qu’elle avait besoin d’exprimer son mécontentement, mais, de toute évidence, elle ne se doutait pas un instant qu’elle s’adressait à une membre de L’autre Parole et à une « féministe chrétienne » ! Il y eut plusieurs types de chocs de la rencontre lors de la réunion à Rabat. Nous avons demandé à deux collègues de rendre compte de ce Congrès, à Joannie Bolduc, étudiante à l’UQAM, et à Monique Dumais de L’autre Parole. Elles nous racontent des histoires différentes parce que colorées par leurs expériences. Dans les deux récits, on trouve également de semblables découvertes. Ce numéro donne la parole à des féministes musulmanes rencontrées à Rabat. Le discours féministe et musulman circule depuis quelques décennies, dans sa diversité, mais surtout en langue anglaise. Dans les contextes propres des pays de la francophonie et en langue française, on en est encore au début du déploiement d’un éventail de positions plurielles, féministes et musulmanes.

L’auteure du premier article de notre dossier, Asma Lamrabet, a publié plusieurs textes, disponibles sur Internet, ainsi que trois monographies sur les femmes et l’islam (http://www.asmalamrabet.com/html/default.htm). Pour L’autre Parole, elle analyse la fonction paradoxale que l’on fait occuper aux femmes musulmanes, entre une vision romantique par des Occidentaux ou par des Occidentales, d’une part, et un contrôle exercé par des islamistes, d’autre part. C’est à partir de cette position que des femmes musulmanes éduquées prennent désormais la parole pour elles-mêmes : « nous revendiquons notre appartenance à un mouvement féministe pluriel, ouvert, et respectueux des différences de choix dans les stratégies de lutte des femmes et ce quel que soit leur référentiel religieux, culturel, athée ou agnostique ». Asma Lamrabet souligne que cette position demeure minoritaire, ce que l’article de Naïma Chikhaoui sur l’état du féminisme islamique au Maroc confirme tout à fait. Cette dernière précise que, si la tension entre le féminisme et la religion n’est pas réservée aux pays musulmans, dans le contexte marocain, toutes les féministes, qu’elles soient laïques ou religieuses, évoluent dans un État musulman « où le religieux traverse la quotidienneté, l’éthique et l’institutionnel ». Naïma Chikhaoui relève quelques défis du féminisme musulman : une relecture féministe du Coran, la production de savoir islamique par des femmes, l’activisme politique et la double lutte contre la dévalorisation de l’image des femmes musulmanes en Occident et celle pour la maîtrise de leur vie dans le rapport de force avec des fondamentalistes islamiques.

Karine Gantin présente un point de vue européen sur la manière dont le féminisme occidental a construit une certaine vision de l’islam. Une opposition supposée entre le féminisme et la spiritualité fait déjà obstacle à l’idée d’un féminisme musulman. Pourtant, émancipation féministe et spiritualité s’accordent dans le processus de la quête. L’auteure note également la participation du féminisme occidental à l’antagonisme, colonial celui-là, entre l’Occident et l’islam. Comment le féminisme peut-il se recentrer sur la remise en question de la domination de l’autre, au plus proche de soi, comme sur le plan des rapports entre civilisations ?

S’ensuit une recension par Johanne Philipps du dernier livre d’Asma Lamrabet, Le Coran et les femmes. Il est fascinant de débusquer comment on a détourné la lecture du Coran aux avantages du patriarcat, et de constater la force de changement d’une lecture féministe de ce texte sacré.

Enfin, nous ne pouvions passer sous silence les prises de position récentes de la hiérarchie catholique autour de l’interruption de grossesse d’une jeune fille de neuf ans au Brésil. Elles ont provoqué un tollé sur la scène internationale. Elles sont machistes, écrit Marie-Andrée Roy, dans une lettre appuyée par plusieurs personnes et organismes. Elles sont schismatiques, selon Ivone Gebara, parce que la hiérarchie a choisi de se séparer du peuple croyant.

Bonne lecture!

Denise Couture
Pour le comité de rédaction