SEXUALISATION/SACRALISATION, SACRALISATION/SEXUALISATION DE L’EUCHARISTIE

SEXUALISATION/SACRALISATION, SACRALISATION/SEXUALISATION DE L’EUCHARISTIE

Marie-Thérèse van Lunen Chenu*

Entre ciel et terre. Blanche immaculée au cœur d’un soleil rouge, gloire qui darde ses rayons, L’HOSTIE, là-haut entre ciel et terre, seule, hors temporalités, hors communauté, extraite du mémorial du don de Vie et de Salut au cours d’un repas partagé. Non plus du pain pour nourrir la vie et l’espérance de l’humain mais le symbole, hélas, de ce que l’institution et son cléricalisme continue de prétendre nous donner à penser de l’eucharistie : le pain isolé dans l’ostensoir, l’hostie haussée telle un signe de gloire, fêtée, sacrée, chantée, encensée, l’hostie faite sacrement par le délibéré et les rites cléricaux. L’hostie que des clercs proposent à l’adoration des fidèles.

Sous l’ostensoir là-haut, un étage plus bas, c’est un homme masculin/prêtre, qui, seul, a pu consacrer et qui seul peut  proposer  à l’adoration des « fidèles » cette hostie/sacrement, donnée non seulement comme Image, comme Icône mais comme présence du Christ lui-même.

Eux seuls habilités…. Le prêtre, tout spécialement vêtu de la chape pour un salut au Saint Sacrement, préside à notre assemblée à toutes et tous ; lui seul, masculin, proclamé apte à porter, résumer, rendre présent le corps/église tout entier : des hommes et des femmes ensemble mais laissés à la marque du féminin, corps/église féminine nécessairement transcendée par le masculin…

Nous, corps et peuple, la moitié féminine définitivement mineure, non apte « ontologiquement » ni  à représenter le tout ni à célébrer pour Dieu/e de la part du tout…

Égales les femmes mais un peu moins. Dignes mais un peu moins. Restant marquées de non capacité sans que l’on ne parvienne plus aujourd’hui à en redire les justifications, tandis que l’histoire des sciences nous apprend quelques unes des causes qui participèrent aux fondements et sédimentations de cette tradition-là qui marqua le christianisme et que l’Église romaine, à l’encontre d’autres Églises soeurs, s’efforce fallacieusement de garder.

De ces justifications, il n’est du reste besoin que depuis peu : la situation sociale — la « doxa » de nos croire et de nos faire — les imposait « naturellement », ce « naturel » se marquant spontanément de l’emprise du « sacré » ; toute argumentation est alors inutile et superfétatoire.

Mais, on le sait, c’est justement ce que ces vilaines féministes américaines sont venues gâcher il y a un quart de siècle, suivies désormais par beaucoup d’autres, issues de pays où l’on croyait pourtant les femmes encore tranquilles…tandis que le débat critique des arguments logiques, aussi nécessaire et précieux soit-il, ne fait pas taire la puissance, la gloire, la force, l’imprégnation, l’émotion, l’efficacité d’un discours accompli par un rite qui répète la  tradition établie et perpétuée comme sacrée.

Or ce rite d’une eucharistie cléricalisée hors communauté, ce rite qui emprunte le seul masculin comme intermédiaire, thuriféraire et signifiant, ne cesse pas d’actualiser le mythe du primat naturel et sacré du masculin.  Il contribue à formuler et justifier la théologie et l’ecclésiologie qui l’ont fondé en mettant en exergue le prêtre, masculin, pouvant seul agir tel un autre Christ, in Persona Christi.

La mise en scène du culte de l’eucharistie, que Rome espère relooker à neuf aujourd’hui  grâce aux ressources des médias, nous vient d’un autre âge, d’une organisation sociale et cléricale où les femmes n’avaient pas voix.

Est dramatique le fait que ce discours/rite, réfuté comme obsolète par la société civile et contredit par nos réalités de vie quotidienne, puisse rester signifiant parce que plausible, toujours de mise et vérifié dans la réalité catholique romaine : cette réalité que d’aucuns osent dire « ecclésiale » alors que  la moitié de la communauté — que d’aucuns osent prétendre « communion »— est tenue hors de la pensée centrale, de la recherche, des décisions communes, interdite d’accomplir en plénitude le mémorial du repas eucharistique au sein du peuple chrétien…. OUI — et indépendamment des bonnes volontés, prises de conscience, regrets ou non — ce culte traditionnel de l’eucharistie met en scène la hiérarchisation cléricale masculine qui va de pair avec l’éviction des femmes. Ce culte est rite. Il célèbre, accomplit et répète la  justification,  émouvante autant que « glorieuse », liturgique au sens fort du terme, d’un ordre répété comme le seul juste1.

Il est évident que les efforts et les effets d’une sacralisation réaffirmée de l’eucharistie vont de pair avec les efforts et les effets d’une sexualisation réaffirmée de l’eucharistie, des ministères et du gouvernement de l’église romaine.

Sexualisation, sacralisation, ce sont là, sous le masque de la « Tradition », deux enchaînements du passé, deux refus de réflexion, deux excès de pouvoir, consubstantiels l’un à l’autre, se renforçant, se justifiant, se ré-actualisant l’un par l’autre. Tradition double qui peut rassurer facilement des gens de bonne volonté : les uns séduits de ne rien changer à une piété d’un autre âge, les autres désireux de ne rien changer au rapport des sexes d’un autre âge.

Depuis longtemps, je m’interroge : nous n’avons pas encore exploré suffisamment ce que les religions doivent à la ségrégation entre les purs et les impures ni comment elles s’enracinent et se nourrissent de l’attrait d’un caractère sacral qui y est lié. Et ce caractère du sacré serait-il condamné à rester prisonnier des émotions et ritualisations du passé  et congénitalement (on nous dit « ontologiquement » !) lié au concept et à la pratique de la ségrégation sexuée ? Celle-ci n’est évidemment pas la seule à fonder les pouvoirs abusifs mais l’attrait du sacré mis au service de la ségrégation sexuelle donne à celle-ci un pouvoir particulier parce que structurant.

Comment donc parvenir à transmettre à la communauté croyante catholique et, plus largement à une population de bonne volonté, ce que tant d’affirmations féministes ont déjà formulé pour l’avenir, désir projeté au-delà de l’étape critique ? Comment tracer ce chemin nouveau d’une religion qui accompagne les progrès d’Humanisation ? Comment montrer l’engagement, déjà aujourd’hui, de tant de femmes et d’hommes pour une Église digne du nom de communauté : frères et sœurs rassemblés dans les pratiques et expressions d’une foi chrétienne qui peut délaisser sans crainte l’attachement dangereux et coupable – à proprement parlé « insensé »- pour des sacralisations/sexuations nourries encore aujourd’hui de l’emprise du masculin et de la ségrégation du féminin ?

Pauvre et si décevante Église romaine actuelle drapée dans ses fastes inutiles et certitudes obsolètes ! Injure permanente faite à des valeurs de pleine humanité que la société civile s’efforce pour sa part de promouvoir. Injure à la confiance de Dieu/e, en chemin d’Humanité autant que de résurrection.

Ce que les hommes, et plus encore les hommes d’Église, et les religieux de nombreuses Églises refusent de voir c’est combien les atteint eux-mêmes dans leur intégrité cette ségrégation sacralisée des sexes. Elle est un méfait pour les femmes. Mais un dommage plus radical encore pour les hommes à cause des mensonges, des illusions et de la solitude du primat masculin.

La solennité déployée par Rome pour lier encore sexualisation, sacralisation et culte eucharistique s’inscrit comme un contre témoignage aberrant aujourd’hui envers l’annonce évangélique.2

On ne s’y attardera pas : Comment annoncer plutôt pour ce temps-ci, au coeur même de ce qui donne sens à  nos vies, l’expérience d’une transcendance que des mystiques hommes et femmes ont avant nous signifiée par l’outrepassement des limitations liées à une sexuation  établie, dans la liberté des richesses du féminin et du masculin ?

« L’ÉGLISE catholique est à nouveau tentée, écrit Joseph Moingt, de renforcer ses défenses et son identité sur le plan de ses traditions et de son culte » (Pour un humanisme évangélique, Études, octobre 2007.

Heureusement, comme une pédagogie d’espérance, les tracés nouveaux d’une autre conception et d’autres célébrations de la Sainte Cène par nos Églises sœurs ainsi que dans  des communautés catholiques qui ne craignent pas de laisser Rome en arrière !

* Marie-Thérèse van Lunen Chenu est cofondatrice de Femmes et Hommes en Église (France).

1. “L’ÉGLISE catholique est à nouveau tentée, écrit Joseph Moingt, de renforcer ses défenses et son identité sur le plan de ses traditions et de son culte » (« Pour un humanisme évangélique », Études, octobre 2007.

2.. Heureusement, comme une pédagogie d’espérance, les tracés nouveaux d’une autre conception et d’autres célébrations de la Sainte Cène par nos Églises sœurs ainsi que dans  des communautés catholiques qui ne craignent pas de laisser Rome en arrière !