Joveneau, le monstre qui avait les mains en prière

Joveneau, le monstre
qui avait les mains en prière

Martine Lacroix, membre du groupe Phœbe de L’autre Parole

 

En cette fin d’août 2024, lors du colloque annuel de L’autre Parole dont le thème portait sur le pouvoir de guérison des femmes, naquit un cercle de partage évoquant ceux prisés par les Premières Nations. De quoi jasaient les chrétiennes féministes de la collective ? De leurs sœurs et frères autochtones qui auraient subi les sévices d’un bourreau qui s’appelait Alexis Joveneau. Des agissements aussi répugnants ne causent-ils pas davantage d’indignation lorsqu’ils sont perpétrés par un être humain qui avait pourtant pris la décision de consacrer son existence à son Dieu ? Notre histoire nous a cependant appris que chrétienté pouvait parfois rimer avec cruauté. Et on ne parle pas uniquement ici d’une simple disposition de sons identiques, mais bien d’une sinistre équivalence.

Donner la parole aux victimes

Avant la tenue du colloque, quelques femmes de la collective s’étaient réunies afin de visionner l’épisode 2 de la série documentaire Face au diable de la Côte-Nord, consacrée aux victimes du prêtre d’origine belge Alexis Joveneau. Jusqu’à sa mort survenue en 1992, celui qui avait appris l’innu-aimun et qui déclarait rêver « d’une église affectueuse » aurait commis des dizaines de crimes s’étalant sur une période de 39 ans. On l’accuse entre autres d’avoir usé de son autorité afin d’abuser de la population innue de diverses façons. Sexuellement vient en tête de liste ! Eh non, il ne se servait point de ses paluches seulement pour les joindre afin de prier le Seigneur. Qui sait si les oraisons du missionnaire ne ressemblaient pas à ceci :

Mon Père,
Pardonne-moi
pour avoir fait des câlins non désirés à Uasheshkuan
pour avoir embrassé de force Shikuan
pour avoir touché la poitrine de Uapikun malgré son regard réprobateur
pour avoir violé ma propre nièce pendant neuf mois dans mon « petit salon ».
Amen.

Moyens de guérison

Comment guérir dans de telles circonstances ? Rappelons qu’il s’agissait d’une population de la Basse-Côte-Nord isolée géographiquement, mais aussi par la langue. Et puisque les violences sexuelles et psychologiques subies étaient l’œuvre d’un homme considéré comme une divinité au sein de cette communauté, les victimes hésitaient à exprimer leur détresse. De plus, comme le mentionnait l’équipe de tournage du documentaire, « ce ne sont pas des personnes qui vont d’emblée cogner à la porte d’un psychologue. » Il faut aussi préciser que les gens qui habitaient Unamen Shipu dépendaient souvent de Joveneau pour leurs besoins alimentaires, mais aussi financiers. La crainte de représailles n’était-elle pas alors normale ? Motus et bouche cousue étaient donc bienvenus. Les cercles de partage entre femmes innues ont ainsi constitué un embryon de route vers la guérison.

Nous et nos sœurs et frères des Premières Nations

Au Centre St-Pierre, ce vendredi-là, on s’attendait à ce que la majeure partie des échanges porte sur la guérison, soit le thème de l’événement. Surprise ! Beaucoup de commentaires se sont plutôt orientés vers les relations entre allochtones et autochtones. En premier lieu, quelques voix ont retenti afin de souligner qu’une fois encore, on assistait à ce controversé spectacle de personnes caucasiennes interviewant et filmant des autochtones et que cela pouvait facilement passer pour une forme d’irrespect à leur égard.

D’autre part, parmi les autres moyens de guérison suggérés dans le documen­taire, on retrouvait l’écri­ture. Le geste posé par Marie-Christine Joveneau, victime et nièce de l’oblat tortionnaire, consistant à brûler au-dessus de sa pierre tombale une lettre qu’elle lui avait écrite, fut somme toute perçu de manière positive. Il en alla toutefois autrement pour une autre de ses actions. En effet, la voir apposer sa photo sur la porte de l’édifice attaché à son agresseur a suscité quelques vagues parmi celles qui venaient de visionner le documentaire. C’est que Mme Joveneau avait procédé malgré la désapprobation des femmes innues. Étions-nous témoins, une fois encore, de la volonté d’une Blanche d’imposer sa volonté aux gens des Premiers Peuples ? Un autre relent de colonialisme…

L’indignation nous habite ? On peut cependant se souvenir que feu le pape François avait présenté ses excuses aux communautés autochtones au nom de l’Église catholique lors de son voyage au Canada en 2022. Cela peut-il suffire à effacer toutes les cicatrices s’étendant sur le corps, mais aussi l’âme des victimes de l’institution catholique ? Pour les années à venir, celles-ci devront peut-être avoir recours à la sauge, cette plante supposément purificatrice.