Pratiques spirituelles de guérison
par les femmes
Christine Lemaire et Marie-Andrée Roy
groupes Bonne Nouv’ailes et Vasthi de L’autre Parole
Lors des colloques de L’autre Parole, le samedi matin est traditionnellement consacré à une réflexion approfondie sur le thème. Le groupe Vasthi, qui était responsable de ce segment, a misé sur la sagesse collective et sur les expériences individuelles pour l’élaboration de celle-ci. Nous qui portons des blessures physiques, psychologiques ou spirituelles qui entravent notre capacité d’agir, d’aimer et de célébrer la vie, avons chacune des capacités, des compétences et des dons de guérisseuses que nous mettons plus ou moins en valeur. De surcroit, on peut trouver dans les traditions chrétiennes et féministes les fondements des pratiques spirituelles de guérison par les femmes.
Dans une grande pièce nimbée de soleil, les participantes ont formé un cercle de parole, ponctuellement séparé en petits groupes de discussion avec une représentante par équipe. L’objectif est de retracer les fondements bibliques, ecclésiologiques, historiques et praxéologiques de nos pratiques spirituelles de guérison ou de retrouver des sources qui pourraient enrichir ces pratiques.
Sources bibliques
Dans un premier temps, nous cherchons à identifier quelques récits où Jésus s’adonne à des pratiques de guérison[1]. Que fait-il, comment le fait-il, à qui s’adresse-t-il ? Qu’est-ce qui se passe dans ce récit ? Qu’est-ce qui caractérise la relation de Jésus avec les femmes ? Nous découvrons que les actions de Jésus envers les femmes se font presque toujours sous le signe de la transgression : c’est le cas pour la Samaritaine et pour la Cananéenne, qui ne sont pas juives et c’est encore le cas pour la femme hémorroïsse qui, bien que juive, est jugée impure. On observe aussi que les échanges vont dans les deux sens : de véritables dialogues se déroulent sous nos yeux, initiés par Jésus dans le cas de la Samaritaine ou de la femme courbée. Dans le cas de la Cananéenne ou de la femme hémorroïsse, ce sont elles qui font preuve d’entêtement afin d’attirer l’attention du Nazaréen.
Ensuite, nous évoquons quelques récits où les femmes prennent soin de Jésus. Qu’est-ce qu’elles font ? Comment le font-elles ? Qu’est-ce qui caractérise la relation de ces femmes à Jésus ? Nous relevons d’abord les moyens qu’elles utilisent pour le soigner : aliments, parfums et aromates, eau. Les sens sont mis à contribution : le goût, l’odorat, le toucher. La Samaritaine étanche sa soif, Marthe le nourrit, Véronique essuie son visage, Marie lui parfume les pieds. Des femmes se rendent au tombeau afin de soigner sa dépouille.
Enfin, nous nous penchons sur des passages des Actes des Apôtres ou des premières communautés chrétiennes, qui relatent des expériences de soin ou de guérison et où les femmes jouent un rôle significatif. On évoque la diaconesse Phœbe. Les premières célébrations eucharistiques se font dans les cuisines, autour d’une table à laquelle toutes et tous sont invité×es, sans égard pour les positions sociales des convives. Là encore, les femmes – traditionnellement maîtresses de ces cuisines – posent des gestes d’accueil, de partage et de soin.
Sources historiques
Dans cette deuxième partie, nous avons repéré des figures féminines qui ont eu, au cours de l’histoire, des pratiques de guérison physiques, psychologiques ou spirituelles inspirantes. Qu’ont-elles fait ? À qui s’adressaient-elles ? Comment ont-elles procédé ? En quoi nous inspirent-elles ?
Les femmes ont eu, depuis 2 000 ans, des pratiques de soin, des pratiques de guérison. Nous en connaissons toutes. Cela peut être une Jeanne Mance qui a œuvré aux soins des habitant×es de Ville-Marie au XVIIe siècle ou une Rosa Park dont la résistance a initié un large mouvement de guérison psychologique chez les Afro-Américain×es. Hildegarde de Bingen a contribué, grâce à ses compétences en plantes médicinales et la profondeur de sa vie spirituelle, au mieux-être physique et spirituel de ses proches et les a conduits sur des chemins de guérison intérieure. Des groupes de femmes – béguines ou communautés religieuses – ont aussi soigné et inspiré leurs contemporaines, jusqu’aux femmes d’aujourd’hui. Les luttes des femmes nécessitent plus que jamais ces interventions soignantes, que l’on pense à celles qui ont aidé Chantal Daigle à avoir accès à une interruption de grossesse, sans crainte pour sa vie.
Ce qui distingue ces actions soignantes ? L’attention au corps, la dignité pour soi et pour les autres, la transgression aussi. Car, celles qui marchent en avant, qu’il s’agisse des femmes prêtres catholiques, de Françoise David pour la marche Du pain et des roses, Marie Curie la scientifique, Janette Bertrand la communicatrice, les suffragettes, Simone Weil ou Simone Monet-Chartrand, il y a presque toujours une volonté de bousculer les préjugés, de remettre en question les acquis patriarcaux, d’initier un mouvement.
Sources ecclésiologiques
Dans la tradition chrétienne, des sacrements peuvent être compris comme des pratiques spirituelles de guérison : le sacrement du pardon ou de la réconciliation, le sacrement de l’onction des malades et l’eucharistie. Leur appropriation masculine et cléricale a cependant dépossédé les femmes de ces rituels de guérison. Elle a placé les femmes dans le rôle de patientes qui doivent se faire guérir par les clercs. Notre pratique féministe et chrétienne nous amène à déjouer cette appropriation masculine et à oser puiser dans la richesse symbolique et spirituelle des sacrements pour nous guérir nous-mêmes et les autres.
Un premier groupe s’est intéressé au sacrement du pardon. Comment ce sacrement, administré par des femmes, peut-il nous inspirer ? N’avons-nous pas besoin de nous pardonner à nous-mêmes pour être en mesure de donner ou d’accueillir le pardon que nous offrent les autres ? On a souligné qu’une démarche de réconciliation nécessite, en tout premier lieu, une reconnaissance de la souffrance par les deux parties avant de parvenir à la paix.
Un deuxième groupe s’est penché sur l’onction des malades. Nous avons déjà pratiqué de manière créative ce sacrement au sein de L’autre Parole ; nous savons qu’il peut être source d’apaisement des souffrances physiques, psychologiques et spirituelles. Il relève du sens du toucher et de pratiques souvent attribuées aux femmes, sous le vocable du « care ». Nous proposons de déconstruire la « pensée magique » qui veut que ce soit aux prêtres de le pratiquer.
Nous discutons enfin sur la manière dont le partage communautaire et solidaire du pain et du vin peut contribuer à aviver notre faim et soif de justice[2]. Comment ce partage peut-il nourrir l’espérance et la capacité d’action ? Nous soulignons que la structure de la messe est bien lourde pour ce qui constitue, tout compte fait, le partage d’un repas et la célébration de l’incarnation. À nous, de L’autre Parole, de poursuivre cette pratique plus simple et festive, déjà bien implantée dans notre propre tradition.
Sources praxéologiques de nos pratiques de guérison spirituelle
Finalement, nous nous posons cette question : comment le milieu, l’entourage, le voisinage, la famille et les groupes d’appartenance peuvent-ils constituer des ressources ou des pratiques innovantes de guérison ? Comment ces lieux constituent-ils, dans nos expériences individuelles, des terreaux où nous nous faisons guérisseuses ? Comment sommes-nous guérisseuses ? Comment les valeurs, les engagements dans la société civile, les traditions spirituelles autres que chrétiennes (sorcières, wicca, bouddhiste) sont-ils sources de guérison et sources d’inspiration ?
Nous évoquons plusieurs moyens de soigner et de guérir : les repas en famille, les rencontres entre amies, la communication non violente, le simple toucher (qui nous a tant manqué au cours de la pandémie de COVID 19), le temps pris à téléphoner à une personne seule, l’art, la méditation, les pratiques d’autonomisation et d’autoguérison. Nous insistons sur la nécessité de redonner sa place au corps dans une société qui a donné une place disproportionnée au « mental ».
Ainsi, les organisatrices de cet avant-midi ont remporté leur pari : les femmes présentes ont pu recourir à leur sagesse et à leurs expériences pour répondre à la question des fondements chrétiens et féministes des pratiques spirituelles de guérison par les femmes. Nous avons découvert que les pratiques, les démarches et les méthodes sont nombreuses et fructueuses. Il nous restera à les vivre et à les célébrer !
[1] Pour ce numéro, les questions qui suivent, discutées en groupes, ont été reprises par Pierrette Daviau, dans un texte précédent (p. 5-8).
[2] La célébration qui a eu lieu le soir même (voir p. XX) est un bel exemple de notre approche du sacrement de l’eucharistie.