Entrevue avec Catherine Clifford en direct
du synode de Rome : octobre 2023
Nathalie Tremblay, groupe Phoebe de L’autre Parole
Catherine Clifford est professeure de théologie systématique et historique à l’Université Saint-Paul d’Ottawa. Elle est l’une des dix personnes d’Amérique du Nord ne faisant pas partie de l’épiscopat qui ont été désignées par le Vatican pour participer, à titre de « déléguées », à la première session de la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, qui s’est tenue à Rome en octobre 2023. Ce texte reprend des éléments de réponse fournis par Catherine Clifford lors de l’entrevue qu’elle a accordée en direct du synode de Rome en octobre 2023. Pendant une pause de cette assemblée, elle a rejoint en visioconférence l’événement du Synode des femmes de 2023 qui se tenait à Montréal. Marie-Andrée Roy a réalisé l’entrevue devant un public de près d’une centaine de personnes. Les propos de Catherine Clifford ont jeté un éclairage unique sur la démarche synodale en abordant différents thèmes, notamment la question du processus synodal, la place des femmes au sein des groupes de travail, les défis et les espoirs.
L’instauration de la démarche synodale a été proposée lors du concile Vatican II, dans un souci de renouvellement de l’Église[1] dans la constitution dogmatique Lumen Gentium, publiée en 1965 sous le pontificat de Paul VI. Plus qu’un événement, la démarche synodale se veut un processus d’écoute, comme le rapporte Catherine Clifford :
Le processus du synode nous invite tous et toutes à entrer dans une démarche d’écoute, dans une ascèse d’écoute très exigeante. On découvre l’Église universelle dans toute sa diversité, et ça nous aide aussi à mieux saisir les grands défis de l’Église qui se font sentir dans le monde entier. On apprend à se respecter, à faire confiance au processus et à la démarche [qui comprend] l’écoute, la conversation spirituelle et le discernement.
Dans l’extrait ci-dessus, Catherine Clifford évoque la diversité de l’Église. Celle-ci était représentée dans les groupes de rencontre, mais elle soulevait également un défi dans l’établissement d’un dialogue :
Dans mon groupe, il y a trois évêques du Liban, un cardinal africain, un patriarche maronite, une religieuse du Congo, un évêque français, un évêque des Seychelles, en Océanie, et un autre de Suisse alémanique. Il y a toute cette diversité, et nous apprenons beaucoup de choses les uns des autres.
Si cette diversité peut être qualifiée de richesse, elle exige, comme le souligne Catherine Clifford, de cultiver le respect :
Il y a de grandes différences dans nos sensibilités, qui sont le fruit de nos différentes cultures, ce qui représente un grand défi. C’est le cas lorsqu’on essaie d’aborder les questions liées aux sexualités humaines ou à celles du clergé marié. Les différences ne sont pas théologiques, mais elles touchent plutôt aux sensibilités culturelles. Même si nous aimerions trouver une solution unique pour toute l’Église sur tous les continents, ce n’est pas évident […]. Le plus important, c’est de cultiver un grand respect et de se mettre à l’écoute des expériences des uns et des autres.
Catherine Clifford parle de son expérience en tant que femme, sujet qui intéresse particulièrement les personnes rassemblées lors du colloque :
Nous partageons nos perspectives en tant que femmes ; nous sommes accueillies, appuyées, respectées. Les évêques sont très conscients de la nécessité de faire évoluer la situation pour inclure davantage les contributions des femmes à tous les niveaux de l’Église, à toutes les instances décisionnelles, et de repenser les ministères. La question du diaconat des femmes est une question ouverte sur la table. Dans tous les rapports continentaux venant de sept régions du monde, on a mis comme priorité l’inclusion des femmes dans les sphères décisives de la vie de l’Église.
Notons que ces propos décrivent les échanges du synode de 2023.
Catherine Clifford identifie la formation du clergé comme étant un des défis à relever :
Il y a des hommes qui ne veulent pas être ici en présence de femmes, ils ne croient pas au processus. Il faut se rappeler qu’eux aussi font des expériences. Ils apprennent, dans les partages à la table avec leurs voisins et voisines lors des échanges, à travailler ensemble : et c’est important. Tout le clergé reconnaît la résistance. Il faut comprendre que, parmi ces hommes, ces prêtres, beaucoup n’ont pas du tout été préparés, pour penser l’Église peuple de Dieu, à prendre plus au sérieux les contributions des femmes. Il y a un grand thème qui émerge sur tous les sujets : c’est la question de la formation du clergé, la formation de tous les baptisés. On reconnaît que, pour devenir une Église synodale, il y a un grand travail devant nous, qui ne se fera pas du jour au lendemain. C’est un défi énorme, mais il y a de petites conversions qui se font au fur et à mesure que l’on avance dans la démarche. Il faut donc continuer à aller de l’avant.
Certes, Catherine Clifford se dit consciente de la réalité entourant la place des femmes et elle mise sur l’espoir, élément essentiel à la poursuite de la démarche synodale :
Au premier abord, il y a de quoi se décourager, je suis réaliste là-dessus. Il y a de grands défis devant nous, mais il ne faut pas lâcher, il faut créer les espaces pour se rencontrer, pour s’écouter afin de travailler ensemble. Pour chacun et chacune de nous, ici, au synode, notre travail, je pense, est d’essayer d’encourager aussi les leaders de notre Église à entrer dans cette démarche, car c’est essentiel et il en va de l’avenir de l’Église.
Comme le souligne à plusieurs reprises Catherine Clifford, parmi les travaux qui restent à accomplir dans le renouvellement de l’Église, celui de se mettre à l’écoute constitue probablement la première étape, afin d’avancer ensemble. Même s’il provoque des déceptions pour les femmes parce qu’elles aimeraient voir l’Église leur faire une plus grande place, notamment au regard de l’accès au diaconat et au sacerdoce, il demeure que, pour la première fois de l’histoire, 54 femmes (religieuses et laïques) ont pu faire entendre leur voix en votant aux côtés de 365 hommes.
Mon espoir pour l’Église de demain ? Je rêve que l’enseignement de l’amour du prochain prime et que ce souffle d’amour devienne le premier critère pour l’élection des personnes amenées à occuper des fonctions de direction dans l’Église. Je rêve de voir se transformer l’Église et qu’un jour une femme soit nommée pape, non pas à cause de son sexe, mais bien en raison de son humanité.
[1] PAPE FRANÇOIS, « Commémoration du 50e anniversaire de l’institution du Synode des évêques », le 17 octobre 2015. En ligne : https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2015/october/documents/papa-francesco_20151017_50-anniversario-sinodo.html