HARO SUR LES SESSIONS

HARO SUR LES SESSIONS

Monique Dumais, Houlda, Rimouski

Parler de la grande consommation de sessions par les religieuses n’est pas un exercice aisé pour moi. D’abord, je fais moi-même partie d’une communauté religieuse et je n’aime pas trop porter un jugement sur mes semblables. Ensuite j’apprécie, de temps à autre, m’inscrire à une session qui peut m’ouvrir un horizon.

Posons quand même un regard critique sur cette mentalité que l’on retrouve chez un bon nombre de religieuses qui cherchent à s’enrichir, de façon illimitée, de toute session susceptible de nourrir tant leur vie intellectuelle que leur vie spirituelle. Oui, le mot s’enrichir est habituellement employé pour justifier cette pratique de consommation..

Pourquoi en est-il ainsi ? Faut-il bannir complètement cette pratique presque commerciale où les sessions se vendent comme de « petits pains chauds » ? J’essaierai dans cet article d’explorer d’abord le contexte de la course aux sessions, puis de poser quelques balises utiles pour ne pas sombrer dans l’océan de la marchandisation.

Le désir de formation continue

La formation continue demeure un impératif pour toute religieuse. Ainsi, dans les constitutions des Ursulines, il est bien dit que « l’Ursuline continue de veiller à sa formation tout au long de sa vie » (no 109), que « le cœur de l’Ursuline, jamais à la retraite, veille dans la prière et trouve le secret de se garder ouvert et apostolique » (no 60). Que certaines sessions puissent pertinemment contribuer à cette croissance permanente, c’est indéniable.

Si on  remonte jusqu’au concile Vatican II, on trouve, dans le Décret Perfectae caritatis – La vie religieuse, adaptation et rénovation, promulgué le 28 octobre 1965, quelques recommandations qu’il est intéressant de relire ici. Par exemple : « Les Instituts [religieux] doivent promouvoir chez leurs membres une suffisante information de la condition humaine à leur époque et des besoins de l’Église, de sorte que, discernant avec sagesse, à la lumière de la foi, les traits particuliers du monde d’aujourd’hui et brûlant de zèle apostolique, ils soient à même de porter aux hommes un secours plus efficace » (no 2, par. d).À partir de là, est apparu un déferlement de sessions de formation sociale visant à opérer le rattrapage d’un monde que les religieuses avaient fui autrefois en toute quiétude.

 Le Décret aborde aussi la formation des sujets, dès le noviciat. « Tout au long de leur existence, les sujets [entendez les religieux et religieuses] devront chercher à parfaire soigneusement cette culture spirituelle, doctrinale et technique et, dans la mesure du possible, les Supérieurs leur en procureront l’occasion, les moyens et le temps nécessaires. » (no 18)

L’éventail des sessions offertes a pris dès lors de l’importance et le coût d’inscription est devenu plus abordable. On y trouve de tout : sessions de ressourcement spirituel selon différentes écoles, d’études bibliques, de cours de théologie, de perfectionnement en pastorale, d’animation liturgique, de formation psychologique très diversifiée, d’engagement social, de créativité et bien d’autres. Ajoutez à cela six ou sept jours de retraite annuelle, alloués à chaque religieuse, pour un retour à l’appel initial et  la remise en forme de son engagement.

Un esprit de discernement et de vigilance

Inutile de dire que la présentation et la haute qualité de ce qui est disponible sur le marché de la « formation continue » exigent de la part de chaque religieuse une capacité de choisir et de discerner ce qui lui convient. Ce qui est offert peut être envisagé comme un véritable marché où chaque institution invente sa forme de marketing, autrement dit « Les moyens permettant de satisfaire la demande ou, le cas échéant, de la stimuler ou de la susciter » (Le Petit Robert). Voyez la multiplicité des dépliants, des brochures, des lettres que les communautés religieuses reçoivent en publicité. Heureusement nous n’en sommes pas encore au marché boursier où les indices de valeurs grimpent ou dégringolent à tour de rôle.

Pour éviter de tomber dans la vague d’une consommation effrénée, un éveil de la conscience s’impose dans le choix de sessions. Voici quelques balises qui peuvent être utiles en ce sens.

1. La quête de sens

Pour Mary Gallagher s.c., l’explosion dans l’industrie du « self-help » pose la question du sens des thérapies proposées :  « S’agit-il d’un nouveau type de consommation ? Des gens ont recours à des psychologues, des thérapeutes, des retraites, des accompagnateurs spirituels, pourquoi ? Est-ce vraiment une recherche du spirituel, d’un sens à la vie, d’une relation profonde signifiante ? Ou les deux sont-elles compatibles ? »1

Dans la vie religieuse, s’accomplir, se réaliser le plus pleinement possible selon le projet spirituel poursuivi, demeure le point central de tout cheminement personnel. Par conséquent, porter une attention particulière au sens de ses activités, à leur apport à la vie individuelle et collective en croissance, s’impose.

2. Un esprit critique

Savoir s’interroger sur la nécessité de s’inscrire à telle ou telle session est la marque d’un sens critique de bon aloi et d’une conscience lucide.

3. Un temps d’intégration

Comme il importe de prendre le temps de choisir ce qui convient le mieux, il est également souhaitable d’assurer un temps suffisant d’intégration des sessions déjà suivies.

4. Une éthique de relation en progression

Vous reconnaissez ici sans doute l’importance que j’accorde à l’éthique de relation. Oui, je continue de réfléchir dans ce sens-là. Dans les relations   réus­sies, la vie m’apparaît s’embellir. En ce sens, s’inscrire dans une session, ce n’est pas pour fuir la réalité quotidienne de sa communauté ni pour se réfugier dans un autre monde. Au contraire, c’est s’ouvrir à tout ce qui concerne la relation avec soi-même, avec les autres, avec les personnes de sa communauté, avec le monde et le cosmos,  avec l’Autre au centre de son projet de vie religieuse.

5. Une démarche de justice sociale

C’est dans un esprit de partage et non d’appropriation individuelle que les sessions méritent d’être suivies. Le souci de communiquer, aux personnes de sa communauté, ce qui a été reçu comme information et formation durant la session, ne peut qu’accroître le bien commun. Aussi, les sessions ne sont-elles  pas réservées à une « élite », mais disponibles à chaque membre de la communauté.

En somme, sont bénéfiques, les sessions qui développent chez la religieuse le sentiment d’appartenance et une plus grande sensibilité à tout ce qui bouge, crie, souffre et espère sur notre planète Terre et ses habitants .

Note 1 :  Mary Gallagher sc., « À la recherche d’un sens », La vie religieuse dans un monde en mutation Premier fascicule, CRC, 2002, p. 17.