IRONS-NOUS ENCORE SOUS LES POMMIERS ?

IRONS-NOUS ENCORE SOUS LES POMMIERS ?

par Monique Dumais

Les pommiers en fleurs. J’ai vu les pommiers de Luceville, chez ma grand’mère, ceux de Central Park A New-York au temps de mes études doctorales, ceux du carré Fred Barry à Montréal lors d’une semaine de congrès scientifique. Ils sont merveilleux, au printemps, chargés de fleurs, remplissant l’air de leur parfum ailé, comblant les yeux de leur roseté multipliée, soulevant tout l’être. Et je pense à notre soeur Eve, celle qui représente la première femme dans l’histoire elle qui se promenait ·avec Yahvé Dieu, celle que l’histoire populaire désigne comme celle qui a croqué la pomme.

Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort (Gn 3,3). Réponse d’Eve au serpent.

La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il tait, cet arbre, désirable pour acquérir l’entendement. Elle prit de son fruit et en mangea (Gn 3,6).

Et depuis ce temps-là, le mythe de la femme tentée et tentatrice se perpétue. « C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’ai mangé ! » (Gn 3,12). Succombant, elle a fait succomber son partenaire, le premier homme. Et Tertullien, un Père de l’Eglise aux II et III siècles, en profita pour vitupérer contre la femme qui avait réussi ce que le diable n’avait pas réussi : faire tomber l’homme. La femme plus forte qu’un mauvais esprit, c’est nous concéder plus de pouvoir que nous ne 1’imaginions !

Tu es la porte du diable, tu as persuadé celui que le diable n’osait attaquer en face. C’est à cause de toi que le Fils de Dieu a dû mourir. Tu devrais toujours t’en aller vêtue de deuil et de haillons. (La toilette des femmes)

Il noue appartient à nous, les femmes, de dénoncer que nous  sommes plus provocantes, plus aptes à conduire au mal que les hommes. La tradition patriarcale nous a rapidement fait jouer cette fonction, comme si le mal n’était pas déjà dans la personne qui succombe ••• comme 1e désir est présent dans la personne qui désire.

Le modèle d’Eve, la séductrice, la tentatrice, a été transmis à travers toute une culture judéo-chrétienne. Et les femmes ont si bien digéré cette leçon qu’elles se disent elles-mêmes inférieures, moins parfaites que les hommes, subordonnées a eux, les maîtres, les héros, les champions, les parfaits, ceux qui savent et qui peuvent presque tout. On entend encore des femmes avouer qu’un homme peut mieux qu’une femme présider une assemblée, être nommé directeur d’un comité et, a plus forte raison, être le représentant de la population à divers niveaux. C’est à bon escient que l’américaine Mary Daly invite les femmes à s’exorciser les première de cette mentalité patriarcale qui brime leurs capacités, garde captives leurs énergies et les maintient en situation d’éternelles mineures.

Des passages bibliques tels que celui du récit de la chute ont donné lieu à des interprétations discriminantes pour les femmes, pourtant ces mêmes passages peuvent nous livrer des perspectives égalitaires et fécondes en créativité et en signification pour les femmes et les hommes. Et si on commençait à les lire autrement, à rompre avec une certaine tradition de supériorité mâle ?

Les deux récits de la création sont un bon point de départ.

Dieu créa l’adam1 a son image ;

à l’image de Dieu il le créa

mâle et femelle, il les créa. {Gn 1,27)

Ce premier récit de la création nous donne tout lieu de penser que hommes et femmes, nous partageons la même nature humaine avec les mêmes potentialités, les mêmes prérogatives de dominer sur les animaux {Gn 1,26) et par extension, .sur tout l’univers, et surtout la même ressemblance avec Dieu. Ce texte dû à une école de prêtres du VIes. avant notre ère insiste sur la similarité des deux sexes et non sur leurs différences, sur la possibilité d’être, l’un pour l’autre, un vis-à-vis de m8me nature.

La deuxième narration de la création, qui a souvent servi pour affirmer la subordination de la femme à l’homme, peut être également lue dans une perspective d’égalité et de communion réciproque.

Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l’homme qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. Alors, celui-ci s’écria :

« Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « femme » (ishsha), car elle fut tirée de l’homme (ish), celle-ci ! » (Gn 2, 21-23)

L’auteur de ce récit yahviste met dans la bouche du premier homme un. cri d’enthousiasme qui traduit sa reconnaissance qu’il a bel et bien devant lui un autre être qui lui est semblable et avec qui il pourra dialoguer. Le ton pittoresque du texte révèle bien l’intimité qui peut exister entre ces deux êtres, la côte ou le côté étant l’espace physique où deux êtres amis peuvent s’appuyer l’un contre l’autre. Le jeu de mots hébraïques isq/ishsha souligne fortement l’unité fondamentale qui existe entre ces deux êtres et annonce une capacité à la compréhension mutuelle.

Les arguments souvent utilisés à partir de ce deuxième texte pour mettre les femmes sous la tutelle des hommes peuvent se retourner contre les hommes qui les expriment. La femme, parce qu’elle a été créée en second serait moins parfaite que l’homme ; or si le premier homme était considéré comme une première esquisse et la première femme comme l’achèvement de l’oeuvre ! D’autres ont affirmé que l’on tire le moins parfait du plus parfait, par conséquent la femme tirée de l’homme serait moins parfaite que l’homme et l’homme qui a été façonné avec la terre, la glaise serait-elle plus parfaite que l’adam ?. Les raisonnements qui visent à établir des états de supériorité deviennent rapidement exécrables et traduisent les préjugés des personnes qui s’y adonnent. En tant que femmes, nous essayons de sortir d’une longue tradition patriarcale qui a tenu à établir que les femmes doivent être sous la dépendance des hommes parce qu’elles étaient considérées comme moins douées, moins intelligentes, trop émotives, trop charnelles, etc. Cette classification de perfection, en plus et en moine, limite drôlement le projet de Dieu qui nous a créés à son image et qui souhaite Qu’avec toutes nos limites et nos différences nous cheminions ensemble, femmes et hommes, vers Lui Elle.

Oui, nous avons des limites. Nous avançons parfois aisément, souvent péniblement à travers nos aspirations, nos contradictions. Avons-nous à désigner un coupable ou à savoir que femmes et hommes nous sommes dans la même situation de rupture avec nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu.

Alors, nous pouvons, femmes et hommes, nous réjouir des pommiers en fleurs et croquer les pommes savoureuses qu’ils nous donneront !

1. Adam : nom générique et collectif