Où sont les femmes ?
Martine Lacroix
Voilà ce que chantait Patrick Juvet en 1977. Est-ce que les compatriotes féminines de Jésus avaient des « gestes pleins de charme » ? Et leurs rires étaient-ils « pleins de larmes » ? Bon, retenons le titre plutôt que les paroles. Lorsqu’on prend connaissance des Écritures saintes, comment ne pas se poser la fameuse question : où sont les femmes ?
Il me semble que la présence des femmes dans la Bible ressemble vaguement au statut de celles qui étaient évoquées par Michaëlle Sergile dans son exposition tenue au musée McCord Stewart, voilà quelques mois. L’artiste y indiquait que les femmes à la peau noire qui œuvraient au sein du Coloured Women’s Club ont joué un rôle fort important auprès des familles immigrantes au début du siècle dernier. Ces Montréalaises étaient cependant rarement nommées dans les diverses documentations. On parle même de la « violence de l’archive ».
Peut-on parler de violence de la Bible, notamment en ce qui concerne la présence des apôtres de la Christa dans les évangiles ? Un fait ne peut être nié : les femmes étaient bel et bien là, même si les hommes qui ont rédigé les textes bibliques ne font guère état de leur présence. Rendre compte de leur existence tacite auprès de l’illustre Nazaréen (que leurs actions soient positives ou négatives) ne s’avère-t-il point essentiel, surtout lorsqu’on lit ces textes devant un auditoire ?
Catholique, lasse d’abandonner mes convictions sur le parvis en pénétrant dans une église papiste, un jour me prit l’envie d’aller voir chez les voisins si la pelouse était plus verte. Elle l’était ! Du moins, chez les religions issues de la Réforme. Accueillie dans un temple protestant, j’ai alors découvert que les femmes y avaient un statut identique à celui des hommes, au point de pouvoir célébrer le culte. De plus, ces personnes pouvaient même convoler ! Quant au fait de s’identifier à la communauté LGBTQ, aucun obstacle à l’horizon. N’est-ce pas cela, l’inclusion ? J’étais enfin sur mon X côté spirituel.
De temps à autre, on m’invite à lire les extraits bibliques lors des liturgies. En dépit de certaines maladresses, mes efforts pour rendre les Écritures saintes davantage inclusives me valent souvent des encouragements. J’avoue toutefois être perplexe quand la plupart de mes sœurs et frères lisent la Bible sans faire aucune modification. S’agit-il de conservatisme ? D’indifférence ? Et si l’inclusion leur paraissait tout bonnement trop complexe ?
Témoigner de la présence des femmes dans les textes sacrés : plus facile à dire qu’à faire ! Malgré une volonté à toute épreuve, l’inclusion peut parfois ressembler à l’Everest, surtout quand la théologie ne fait pas partie de notre CV. Cela ne représente-t-il pas la réalité pour bon nombre de personnes appelées à proclamer les lectures bibliques lors des liturgies du dimanche ?
Nombreux sont les points d’interrogation à surgir alors dans notre ciboulot. Quelques exemples ? À nous deux, Psaume 72 ! Verset 4 : « Il fera droit aux malheureux du peuple […] » La communauté ne comptait-elle pas aussi des malheureuses ? Non ? Si je dis « ceux et celles qui vivent dans le malheur », n’est-ce point un peu trop lourd ? Et que penser du verset 11, « Tous les rois se prosterneront devant lui […] » ? N’y avait-il pas quelques reines au temps de l’Ancien Testament ? Encore une question : dois-je modifier le verset 16, celui où « les hommes fleuriront dans les villes comme l’herbe de la terre » ? Les hommes ? Et si j’optais plutôt pour les « êtres humains » ? N’est-ce pas davantage inclusif ? À moins que cela constitue ce qu’on désigne comme le langage neutre…
À plusieurs occasions, les chrétiennes féministes de L’autre Parole et la pasteure Darla Sloan ont démontré qu’elles avaient des atomes crochus. L’Église Unie étant souvent qualifiée d’avant-gardiste, on ne peut se surprendre qu’il y existe, depuis 1996, un Guide pour l’utilisation du langage inclusif. Malgré la limpidité de l’outil qui, soit dit en passant, cite la collective L’autre Parole, Darla Sloan reconnaît que l’inclusion biblique peut être complexe à réaliser, surtout si on utilise le français (avec le genre grammatical de ses substantifs et de ses adjectifs) plutôt que l’anglais. Elle rappelle aussi qu’en raison d’une méconnaissance des Écritures saintes, « on peut commettre des erreurs au point de vue historique ». Et même si on s’applique à rendre justice aux femmes qui devaient alors composer avec une « réalité patriarcale », laquelle n’est toujours pas éradiquée en 2025, on doit évidemment veiller à « ne pas faire dire à la Bible des choses que la Bible ne dit pas ».
Inutile de faire l’autruche ! En raison de notre rythme de vie effréné, lire la Bible sur une base régulière s’avère une utopie, même pour les âmes pieuses. N’empêche qu’elle symbolise le cœur du christianisme. Tel n’importe quel muscle, on doit le faire travailler ! Veillons à soigner sa condition, une déchirure étant si vite arrivée…