La coresponsabilité, une révolution espérée !

La coresponsabilité,
une révolution espérée !

Christine Lemaire, groupe Bonne Nouv’ailes de L’autre Parole

Pour donner suite au Synode des femmes organisé par L’autre Parole et Femmes et Ministères en octobre 2023, une deuxième rencontre synodale a eu lieu à Montréal le 7 septembre 2024, réunissant une soixantaine de participant·es. Son objectif était d’amorcer une conversation entre les délégué·es qui s’apprêtaient à partir pour Rome en octobre et des personnes œuvrant dans des communautés chrétiennes et catholiques, religieuses ou laïques. Trois des cinq délégué·es ont assisté à cette rencontre. Soulignons que les échanges de cette journée se sont déroulés sur le même modèle que le synode romain, à savoir dans une alternance de périodes de discussion, de silence et de prière.

Le choix de la question

Dans le premier Instrumentum laboris[1], la coresponsabilité de la mission de l’Église constitue l’une des trois questions fondamentales appelées à être abordées lors de la rencontre de 2023. Le document définit ce terme comme un partage des dons et des charges au service de l’Évangile[2]. Cette question se déclinait en cinq sous-questions, dont celle portant sur les femmes : « Comment l’Église de notre temps peut-elle mieux remplir sa mission en reconnaissant et en promouvant davantage la dignité baptismale des femmes[3] ? » Il faut croire que cette formulation paraissait déjà trop tendancieuse aux yeux de l’aile conservatrice de l’institution, puisqu’elle a fait l’objet d’un report et ne devait donc plus être abordée dans la deuxième session du synode.

Avec l’impression de s’être fait couper l’herbe sous le pied, les organisatrices du Synode des femmes 2024 ont quant à elles décidé de poursuivre la discussion. Elles ont aussi décidé de prendre à bras le corps la question qui la chapeautait et qui, dans le deuxième document de travail, était formulée ainsi : « Comment valoriser la coresponsabilité différenciée dans la mission de tous les membres du Peuple de Dieu ? » Seul le mot « différenciée » a été retiré, les organisatrices justifiant ce retrait de la façon suivante : « Le document synodal parle de coresponsabilité différenciée selon les sexes. Nous ne sommes pas convaincues de la nécessité d’insister sur une différenciation sexuée. Nous préférons approfondir la coresponsabilité comme baptisées, baptisés, en Christ Jésus[4]. »

Premier constat : la situation actuelle est préoccupante

Actuellement, les paroisses à court de ressources se concurrencent entre elles. Certains membres se contente de réclamer leurs messes, comme s’il s’agissait d’un simple objet de consommation. Tout se passe comme si le clergé québécois cherchait surtout à « gérer la décroissance » au lieu de « réinventer le christianisme », comme il serait pourtant crucial de faire. Des questions ont émergé. La coresponsabilité pour qui ? Pour quoi ? Pour continuer comme avant ? Bien sûr, l’écoute est importante, mais qu’est-ce qu’on fait de ce que l’on a écouté ? Qu’est-ce que ça veut dire, être chrétien·ne ? Est-ce seulement assister à la messe ?

Deuxième constat : une coresponsabilité ignorée

Peu de pratiquant·es ont réellement conscience de leur coresponsabilité dans la bonne marche de l’Église. Une telle position rencontre même beaucoup de résistance. Si la vraie question à se poser est « qu’est-ce que c’est, “être chrétien·ne” ? », la réponse consiste à poser des gestes audacieux et à consentir à la complexité du monde. Or, on observe plutôt une tendance au refus de cette complexité et on vient souvent se réfugier entre les murs de l’institution, précisément parce qu’on se sent menacé·e par cette complexité. La coresponsabilité ou la collégialité devrait pourtant tourner le dos à une attitude passive. Elle implique d’accepter d’être dérangé∙e par la diversité des opinions, le tumulte et ce que l’on a nommé le « désordre joyeux ».

Quelle éducation faudrait-il donner aux catholiques afin de susciter une prise en charge individuelle de leur foi, de leur communauté et de leur Église ? La coresponsabilité implique notamment une transformation de la catéchèse. Un renouvellement de ce qui, jusqu’ici, a éduqué les personnes au respect d’une structure et à l’obéissance. Il nous faut d’autres modèles !

Quels modèles ?

La coresponsabilité invite à valoriser la diversité de modèles possibles, faisables et réalistes pour chaque communauté. Cela suppose que les décisions se prennent ensemble. À ce chapitre, nous pouvons nous référer à notre histoire et à nos acquis. Les premières communautés chrétiennes sont un exemple à suivre. Au Québec, l’expérience qui s’en rapproche le plus est celle de certaines communautés de base, qui privilégient l’écoute mutuelle et la prise de décision en collégialité.

En outre, nous désirons favoriser des modèles qui tourneraient le dos à la compétition et favoriseraient une multiplicité d’autorités dans l’Église, mutuellement enrichissantes. Selon cette vision du monde, le pouvoir des un·es n’équivaut pas à la diminution du pouvoir des autres. Chaque communauté détient son autorité et son propre rythme. On évoque une communauté de discernement « par le bas », c’est-à-dire à partir de la base. Ce genre de communauté hors norme serait accepté au niveau diocésain.

Un mot déjà éculé ?

Pour certain·es, le mot « coresponsabilité » est devenu éculé, puisqu’il a trop servi les objectifs du clergé, qui a réussi à retourner sa signification pour lui donner une connotation hiérarchique et cléricale. Ces participant·es ont préféré le mot « collégialité », qui renvoie à « des personnes responsables appartenant à un groupe de personnes responsables ». On désire une décentralisation des décisions, mais celle-ci est actuellement tributaire du bon vouloir du prêtre ou de l’évêque en place. Cette situation est inadmissible, parce qu’elle rend la coresponsabilité fragile et changeante.

Finalement, on s’entend sur le fait que l’écoute dont on parle beaucoup au Synode sur la synodalité ne suffira pas : le discernement ne se limite pas au processus de discussion, mais concerne aussi celui de la prise de décision. Des conséquences concrètes pour la communauté sont attendues.

En conclusion

Refroidie par la remise aux calendes grecques de la question du diaconat des femmes, j’étais arrivée à cette rencontre passablement désillusionnée. J’y assistais par esprit de sororité pour mes amies qui avaient énormément travaillé à l’organisation de cette journée. J’en suis toutefois repartie dans un autre esprit. Si, tout au long de cette discussion, je me remémorais les propos de Jésus de Nazareth qui a assuré qu’on ne peut mettre le vin nouveau dans de vieilles outres, j’en suis arrivée à penser que l’important n’était pas tant de s’interroger sur la qualité des outres, mais de constater la vivacité du vin nouveau et d’en goûter l’effervescence et le fruit.

[1] XVIe Assemblée générale ordinaire des synodes des évêques, Instrumentum laboris pour la Première Session, Rome, octobre 2023.

[2] Ibid., p. 39.

[3] Ibid., p. 43.

[4] Marie-Andrée ROY, Document préparatoire au Synode des femmes 2024, 25 juillet 2024, p. 1.