LA « LÉGENDAIRE » MADELEINE DE VERCHÈRES ?

LA « LÉGENDAIRE » MADELEINE DE VERCHÈRES ?

Léona Deschamps, Houlda

L’historienne Kori Street affirme que si les femmes « veulent s’élever dans la hiérarchie militaire, elles doivent parvenir aux postes de première ligne considérés comme des emplois de prestige » (Gazette des femmes, janvier-février 1998, p.16).

Au temps de Madeleine de Verchères, l’intégration des femmes aux postes de combat ne s’impose pas. À Verchères comme à Québec, à Trois-Rivières et à Ville-Marie, la guerre est une préoccupation permanente dans toutes les familles, et les épouses se défendent en l’absence des époux.

La constante agitation iroquoise surtout entre Ville-Marie et Trois-Rivières  — depuis 1645, les Iroquois y sont les seuls maîtres de la fourrure —  et la menace anglaise — préparation et siège de Québec par Phips en 1890 — entretiennent un contexte guerrier chez les habitants de la Nouvelle-France. Des forteresses s’élèvent dans les quarante-cinq seigneuries de la fin du XVIIe siècle. Celle qui est concédée, en 1672, par l’intendant Talon  à François Jarret — enseigne au régiment de Carignan-Salières et lieutenant reformé en 1694 — possède sa fortification. Le fort de Verchères, érigé pour la protection de la famille, est une sorte de grosse palissade rectangulaire de douze à quinze pieds de hauteur, flanquée à chaque angle d’un bastion ; sans fossés et ne comptant qu’une porte située du côté de la rivière Richelieu. À l’intérieur des murs, se trouvent  le manoir du seigneur, une « redoute » – corps de garde et entrepôt à munitions – et quelques constructions pour abriter femmes, enfants et bestiaux.

Les Iroquois maraudent dans la Nouvelle-France pour contrer l’envahissement de leurs terres et forêts … Le courage des conquérants est à la mesure de leur  maraudage. Raymond Douville le souligne, en rappelant le fait que Paul Chomedey de Maisonneuve avait un jour déclaré qu’il se rendrait à Ville-Marie même si tous les arbres du milieu se changeaient en Iroquois. Comme la colonie est souvent menacée, les faits d’armes, accomplis par les femmes, sont sûrement fréquents. Alors… comment l’exploit de Madeleine de Verchères a-t-il pu prendre place dans notre histoire nationale ? Qui est vraiment cette héroïne ? Quel héritage laisse-t-elle aux femmes en ce début du XXIe siècle ?

L’exploit de Madeleine au fort de Verchères

Un récit épique de l’exploit de Madeleine a hanté l’imaginaire des élèves du Québec une partie du XXe siècle. Mais, que s’est-t-il vraiment passé en ce jour mémorable de l’automne 1692 ?

La réécriture de l’histoire de la Nouvelle-France laisse voir que Madeleine avait des raisons d’en  vouloir à la tribu iroquoise. Certains de leurs membres avaient  tué deux de ses frères, l’un en 1686 et l’autre en 1691, ainsi que deux beaux-frères à la même époque. Les Iroquois semblaient s’acharner sur sa famille. En 1690, sa mère âgée de trente-quatre ans, avait  dû les mettre en déroute. Or voici que le 22 octobre 1692, des Iroquois, sortis des buissons, s’emparent d’une vingtaine d’habitants occupés aux travaux des champs et tentent de capturer la jeune fille, alors âgée de quinze ans. Entrée précipitamment au fort,  Madeleine prend la situation en main et défend férocement le domaine de Verchères. Le récit de son exploit nous est connu , grâce à  une lettre qu’elle adressa à la comtesse Maurepas, le 15 octobre 1699, afin d’en obtenir une juste reconnaissance. En voici un extrait :

« Quoy que mon sexe ne me permette pas, d’avoir D’autre inclinations, que Celles qu’il exige de moy, cependant permettez-moi, madame, de vous dire que J’ay des sentimens que me portent à la gloire Comme a bien des hommes. Comme je consevé, dans ce fatal moment le peux d’assurance Dont une fille est Capable et peut être armée, Je luy laissay entre les mains mon mouchoir de Col et Je fermay la porte sur moy en Criant aux armes et sans m’arrester aux gémissement de plusieurs femmes désolées de voir enlever leurs Maris, Je monté sur le bastion ou estoit la sentinelle […] Je me métamorphosay pour lors en mettant le Chapeau du soldat sur Ma teste et [fis] plusieurs petits mouvements pour donner à Connoitre qu’il y avait beaucoup de Monde quoy qu’il n’y eut que ce Soldat. Le coup de canon eut heureusement tout le succez que Je pouvois attendre pour avertir les forts voisins de se tenir sur leurs gardes, Crainte que les Iroquois ne fissent les mêmes coups ». (extrait cité dans le Dictionnaire biographique du Canada, p.333)

Du siège de 1692, deux récits sont attribués à Madeleine : celui de 1699 à la comtesse de Maurepas, un récit noble et vraisemblable et un autre de 1722, plus détaillé et plus dramatique qui met l’héroïne constamment en vedette. Ce dernier, publié en 1901, contribua sûrement à faire d’elle une « figure légendaire ».

Il convient de rappeler ici qu’à ses exploits guerriers Madeleine ajoute des exploits juridiques. Elle est une habituée des tribunaux. Jusqu’à sa mort, les assignations et requêtes, les sommations et ordonnances se sont succédé  à un rythme accéléré. Le procès le plus mémorable demeure celui qu’elle a intenté contre Gervais Lefebre, curé de Batiscan et ami de la famille depuis seize ans. Il est condamné en 1730 pour une chanson qui met en cause la seigneuresse. Comme la sentence est renversée en 1732 et que Madeleine n’aime pas les défaites, elle va en France afin de se faire entendre au Conseil du roi… À la suggestion du ministre Maurepas, les deux parties oublient les litanies et enterrent la hache de guerre en 1733.

Au-delà de l’exploit : Madeleine

Selon les écrits et les divers registres, l’héroïne de Verchères n’est pas une figure mythique mais bel et bien une femme de la Nouvelle-France. En effet, Marie-Madeleine Jarret de Verchères, prénommée Madeleine, naît à Verchères le 3 mars 1678 et reçoit le baptême le 17 avril suivant. Elle est la quatrième des douze enfants de François Jarret de Verchères et de Marie Perrot qu’il épousa à Sainte-Famille, Ile d’Orléans, le 17 septembre 1669.

Dès l’enfance, Madeleine apprend de son père à tenir l’Iroquois à distance ainsi que les diverses manières de tromper l’ennemi en cas d’attaque. La lettre, adressée à la comtesse, démontre que la jeune femme est instruite. En effet, à cette époque, l’instruction des filles relève du dévouement des sœurs de la communauté fondée à Ville-Marie par Marguerite Bourgeoys à qui l’on doit la première école en 1663 et du « séminaire des filles » érigé à Québec, en 1639, par les Ursulines venues de France avec Marie de l’Incarnation. De plus, comme ces religieuses sont des femmes exploratrices, coureures des bois ou des lacs, des négociatrices et des fondatrices, elles jouent un rôle de premier plan dans la formation des femmes de la Nouvelle-France. Madeleine est aussi une femme d’affaires. Sa lettre adressée à la comtesse en 1699, comporte sûrement une réclamation pour son exploit puisqu’après la mort de son père, survenue le 26 février 1700, elle reçoit la pension annuelle de cent cinquante livres du seigneur de Verchères. Femme talentueuse, Madeleine n’est toujours pas mariée…

Depuis le début de la colonie, à quatorze ans les filles sont mariées, mères de famille ou déjà veuves. Pourquoi Madeleine ne convole-t-elle  pas en justes noces avant ses vingt-huit ans ? On peut supposer que les affaires de la Seigneurie, la vie de la famille ou encore ses exigences devant les prétendants répondent à la question…

En septembre 1706, Madeleine épouse Pierre Thomas Tarieu de Lanaudière, sieur de la Pérade. Le contrat de mariage se passe en la maison seigneuriale de Verchères devant Maître le Pailleur, notaire du roi à Ville-Marie et la célébration religieuse se déroule dans la chapelle de Verchères.

Habituée à faire face à la réalité, Madeleine ne se plaint pas de son sort. Femme de décision, elle rejoint sa nouvelle famille dans la seigneurie de Sainte-Anne-de-la-Pérade près de Batiscan qui ne diffère pas de celle des Jarret. Elle comprend bien son mari et demeure sa compagne de vie, d’espoir et de luttes durant quarante ans. De cette union, naissent cinq enfants. Selon le témoignage du marquis Charles de Beauharnois de la Borsche, Madeleine de Verchères, une femme énergique, au physique agréable, a la décence de son sexe et  les qualités de bonne mère de famille. Brave, forte moralement et physiquement, elle ne recule devant aucun danger. Trois fois, elle sauve la vie de son mari. Prompte comme l’éclair, armée de ses deux fusils, elle repousse les Iroquois. Ces derniers n’oublieront jamais les affronts qu’elle leur a fait essuyer. Il semblerait que le seigneur et la seigneuresse de La Pérade n’avaient pas très bon caractère et qu’à l’occasion, ils terrorisaient leurs censitaires.

Décédée le 8 août 1747 à l’âge de 69 ans, Madeleine est inhumée sous son banc à l’église paroissiale et l’histoire souligne qu’un nombre surprenant de prêtres assistaient à ses funérailles. Quant à son époux, il lui survivra de dix ans.

Madeleine de Verchères et les féministes.

Aujourd’hui, grâce à l’héroïsme de Madeleine de Verchères et à sa quête de reconnaissance, la vie des femmes de la Nouvelle-France sort de l’ombre. Notre imaginaire peut convoquer plusieurs héroïnes anonymes sur la scène de l’histoire québécoise.

Au début de la colonie, ces femmes de la classe moyenne, robustes et instruites, prennent part aux décisions, vont chez le notaire avec le mari et intentent des procès à la manière de Madeleine. Ce qui prévaut alors, c’est  de bâtir un pays plus que de se soucier d’une échelle de valeurs basée sur une conception masculine militaire et élitiste du courage. De plus, la culture amérindienne, de type matriarcal, s’avère un contexte favorable à l’implication des femmes.

Femme déterminée, Madeleine est présente à tous les plans : familial, seigneurial, ecclésial, juridique, économique et militaire… Sa hardiesse stimule les féministes d’aujourd’hui à s’engager à leur tour dans les luttes qui s’imposent pour mettre en échec tous les systèmes qui, en les maintenant dans un état de subordination, briment leur liberté d’action et de créativité.

Sur le lieu de l’exploit de 1692, un monument, dressé face au fleuve, représente la jeune guerrière de Verchères. Altière sur son socle, Madeleine semble en attente des nombreuses victoires des femmes de l’avenir…

Ouvrages consultés :

ACHARD, Eugène. « Madeleine de Verchères » dans Les grands noms de l’histoire canadienne, Montréal, Librairie générale canadienne, 1941, p. 45-49.
BRUCHÉSI, Jean. « Madeleine de Verchères et Chinaneau » dans les Cahiers des dix, no 11, Montréal, 1946, p. 25-51.
CERBELAUD-SALAGNAC, G. Mademoiselle de Verchères, Montréal et Paris, Coll. La grande aventure, Fides, 1958.
COLLECTIF CLIO. L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Louiseville, le Jour éditeur, 1992, p. 17-43.
Dictionnaire biographique du Canada, Volume III, de 1741 à 1770, Québec, Presses de l’Université Laval. 1974, p. 331-337.
DOUVILLE, Raymond. Les premiers seigneurs et colons de Sainte-Anne-de-la-Pérade, 1667-1681, Trois-Rivières, 1946.
GUERICOLAS, Pascale et Annie SAVOIE. « Femmes au combat la dernière bataille » dans La Gazette des femmes, vol. 19 no 5, Québec, 1998, p. 16-22.
La constante progression des femmes, Gouvernement du Québec, Conseil du Statut de la femme, 1995.
LACOURSIÈRE, Jacques et Claude BOUCHARD. Notre histoire Québec. Canada, Le poisson et le castor, 1601-1700, Montréal, Éditions Format, 1972.
LAMARCHE, Jacques. Madeleine de Verchères. Montréal, Célébrités, Collection biographique, Lidec Inc., 1997.
PRÉVOST, Robert. Québécoises d’hier et d’aujourd’hui, Stanké, 1985.
VAUGEOIS, Denis et Jacques LACOURSIÈRE. Canada – Québec, Synthèse historique, Ottawa, Éditions du Renouveau pédagogique, 1978, p. 78-187.