Le ghetto de Varsovie

LE GHETTO DE VARSOVIE L’HISTOIRE D’UNE SURVIVANTE

Monique Hamelin

Agata Tuszynska est universitaire et écrivaine, d’origine juive et polonaise, elle a vécu entre autres au Canada et en France. Elle signe cette enquête biographique sur Wiera Gran, l’accusée, cette chanteuse très populaire du Ghetto de Varsovie qui a eu comme accompagnateur Wladyslaw Szpilman, le protagoniste du film de Polanski intitulé : Le pianiste. Wiera Gran « séduisait avec sa voix comme sortie d’une tristesse des profondeurs. Elle rayonnait d’une lumière intérieure ». (p. 49) Après la guerre, elle s’est produite entre autres au Carnegie Hall de New York et à la salle Pleyel à Paris.

Pour moi, l’intérêt de ce livre ne réside pas tant dans ce lien qui est fait entre la chanteuse et le célèbre pianiste, mais dans la description, à travers les yeux de Gran et de la chercheuse, de la vie dans le ghetto, et surtout,  de l’après… Nous assistons à la quête de l’auteure pour comprendre le ghetto et la vie après celui-ci. Pour ce faire, Tuszynska a rencontré, à de nombreuses reprises, Gran et des gens de son entourage tant en Pologne, que dans les autres pays où a vécu celle qui se disait apatride.

Gran est entrée dans le ghetto pour suivre sa famille. Elle a 20 ans et doit porter le brassard, l’étoile juive. Son métier l’a rendue riche et elle s’occupe d’un orphelinat dans le ghetto, elle donne aussi des concerts au profit des orphelins. Il sera également question de la « Gestapo juive », cette organisation qui collaborait avec les occupants allemands. Le mari de Gran permet sa sortie du ghetto et elle se cache chez des Aryens. Des gens prennent des risques pour elle. À la fin de la guerre, Szpilman lui annonce que la rumeur veut qu’elle ait collaboré… Elle sera éventuellement arrêtée et subira de longs interrogatoires. Elle sera accusée d’avoir collaboré avec l’ennemi, ceux-là mêmes qui ont tué sa famille ! (p. 145) Jamais on n’a pu prouver les rumeurs, les allégations. Elle sera innocentée en novembre 1945, mais la rumeur persiste… Dans les entrevues avec l’auteure, Gran accuse même Szpilman d’avoir fait des rafles…

Où est la vérité ? Comment élucider ces questions ? Comment survivre dans ce ghetto où les personnes sont confrontées à des situations extrêmes ? Et même pour la chercheuse, comment ne pas tomber dans les affres que vit celle qui est le sujet de sa recherche ? Comment se sortir de tous ces témoignages contradictoires et aller au-delà des insinuations ? Comment débusquer la vérité quand la vérité est si marquée par des situations extrêmes liées à la survie dans le ghetto ? L’auteure partage avec la lectrice ou le lecteur la difficulté de faire la part des choses. Elle raconte les vérités et les mensonges qui se disent et toutes les zones de gris, sans parvenir à établir ce qui est vérité ou mensonge. Toute la problématique de la construction de sa vérité par rapport à celle des autres est évoquée. « Mes réflexions découlent de mes conversations avec la mémoire, pas avec la vérité. Car dans ces situations qui frôlent les limites, la vérité n’est pas une. Elle est une somme de tableaux universels. » (p. 207)

Notons que la chanteuse n’apparaît pas comme un personnage particulièrement sympathique. Dans sa vieillesse, elle devient paranoïaque, mais différentes circonstances peuvent expliquer cela. Avec le temps, la folie s’installe également.

Tuszynska s’interroge (p. 230 et s.) sur les motifs qui ont poussé Szpilman, le célèbre pianiste, à éliminer Gran de son autobiographie parue en Pologne dès 1946. Ils ont travaillé plus d’un an ensemble dans le ghetto, ils se sont vus tous les jours. Pourquoi ce silence, pourquoi avoir effacé Gran de sa vie ? Il n’y aura pas de réponse.

Selon l’auteure, Gran aurait été une séductrice, mais elle n’aurait pas eu une vie sexuelle heureuse avec les hommes. De plus note-t-elle, elle ne savait pas être reconnaissante entre autres envers son mari. (p. 270)

Après la guerre, la culpabilité des survivants pouvait être très forte. On en voulait aussi aux personnes qui avaient survécu alors que des membres de leur famille avaient été emportés. « Le destin me fait payer très cher d’avoir survécu à l’holocauste juif » disait-elle. (p. 340)

À la fin de sa vie, Gran sait raconter avec des images fortes sa mort civile… le téléphone qui ne sonne plus, puis avec la vieillesse, le courrier qui se tait.

Ce livre présente des longueurs pour qui n’a pas fréquenté le ghetto, pour qui ne connaît pas tous les protagonistes. Mais sa force est de nous faire découvrir un point de vue nouveau sur le ghetto de Varsovie, les luttes des Juifs pour survivre au quotidien, les compromis, les compromissions mêmes et la reconstruction de ces moments de survie dans la trame personnelle des gens, pour la suite du monde. Il nous rappelle l’importance de la prudence dans la recherche de la vérité alors que suite à une série d’événements tragiques comme la guerre, on veut reconstruire des faits. La rumeur, là comme ailleurs, reste mauvaise conseillère.

Wiera Gran, l’accusée

TUSZYNSKA, Agata

(traduction du polonais par Isabelle Jannès-Kalinowski)

France, Édition Grasset et Fasquelle pour la traduction française en 2011.
Original en 2010,
397 pages.