MARIE : DE LA MERE A LA FEMME

MARIE : DE LA MERE A LA  FEMME

Anne Fortin

« Or comme il disait cela, une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit :  »Heureuse  celle qui t’a porté  et allaité ! » Mais lui, il dit : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent ! » (Lc 11,2’7-28)

Dans ce passage, Jésus nous interpelle et nous dérange encore, deux mille ans plus tard. Il nous invite à aller au delà de la seule considération de la fonction de la femme en voyant en elle d’abord. Une personne. Au temps de Jésus – comme  encore aujourd’hui  d’ailleurs – la femme était valorisée d’abord par sa fonction maternelle. Jésus fait éclater  ce cadre trop étroit : il refuse de limiter la personne de la femme à sa « féminitude »1. Le salut n’est pas différent selon que l’on est femme ou homme. Sa bonne nouvelle s’adresse à tous, sans distinction de sexe ou de race ••• Jésus désinstalle une croyance qui a la vie dure et remet en évidence la priorité de la dignité de la personne. Les femmes n’ont pas à justifier leur existence par la procréation : c’est la relation Dieu qui donne sens à la vie,  c’est  l’ouverture  au spirituel dirions-nous aujourd’hui, et non l’enfermement dans nos fonctions biologiques. Dans une vie potentielle de 76 ans, la maternité ne saurait définir toute la personne de la femme.

Mais qu’en pense la principale intéressée ici, Marie ? Dans le Magnificat (Lc 1,47-55) elle chante sa gratitude, ainsi que celle de (Mt) peuple de Dieu pour l’accomplissement des promesses de « L’alliance » (nots de la. ‘bible TOB). De son expérience personnelle « il a porté son regard sur son humble servante » – elle élargit à l’expérience de salut de tout le peuple : « il a élevé les humbles, les affamés il les a comblé de biens ». Marie sera dite bienheureuse parce qu’elle sera la première à savoir que l’action de Dieu envers son peuple  prendra une  dimension nouvelle à partir de  ce jour.

Marie participe comme mère à l’avènement du salut, mais son rôle qui  nous a été présenté comme passif et soumis, nous apparait  aujourd’hui en  tant  que  foi active et constructive. On a toujours mis l’accent sur sa maternité dans  sa maternité elle aurait accompli sa foi. Mais la lecture de Lc 11,27-28 nous incite à penser que ce pourrait être l’inverse : sa foi a été première, et sa maternité en a été une actualisation ponctuelle. Pourquoi  réduire toute la vie de Marie à sa maternité ? Pourquoi ne pas voir la vie de Marie comme une expérience riche et plurielle de foi, expérience qui lui fera parcourir de multiples itinéraires sur les routes de Galilée, et qui la fera agir et parler d’une façon qui transcende sa relation de mère avec Jésus ? Aux noces de Cana (Jn 2,1-12), « elle a porté les yeux plus haut que l’anecdote, et elle contemple son fils au delà de son fils, le Christ dans la profondeur de Jésus »2. Marie devance Jésus dans le temps de sa mission : elle lui révèle que son heure est arrivée, femme dans le récit de la Cananéenne (Mt 15,21-28), c’est par la médiation d’une femme que Jésus avance dans sa compréhension de sa mission. Au delà de la naissance biologique, Marie met Jésus au monde spirituellement : « elle lance sa mission publique et le dépêche sur cette route qui le conduira à Croix »3.

Ce qui m’interpelle dans la figure de Marie c’est la profondeur et la portée de sa foi qui transforment le sens de sa maternité. Profitant de l’importance et de la richesse de cette expérience, Marie, dans le Magnificat, comprend l’aspect collectif du salut, et met sa vie au service de la réalisation du plan de salut de Dieu.   On a qualifié son attitude de soumise : mais on peut aussi dire qu’elle a contribué à l’édification du Royaume par son engagement total et lucide. Loin de nous démobiliser comme  femmes à vouloir nous mettre à la suite du Seigneur4, sa foi et son espérance exceptionnelles nous stimulent à passer une conception tronquée de notre action comme chrétiennes.

1. Rachel Conrad Wahlberg, Jesus According to a Woman, N.Y., Paulist Press,  1075, p. 43-47.

2. France Quéré, Les femmes de l’Evangile, Paris, Seuil, 1982, p. 143.

3. Ibid., p. 144.

4. Comme le voudrait la Déclaration sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce, Inter Insigniores, 27 janvier 1977, qui dit : »(la mère de Jésus) elle-même, associée si étroitement à son mystère, et dont le rôle hors de pair est souligné par les Evangiles de Luc et de Jean, n’a pas été investie du ministère apostolique, ce qui amènera les Père à la présenter comme l’exemple de la volonté du Christ en ce domaine  •••