Présentation du processus du Synode
sur la synodalité : ses forces et ses limites
Marie-Andrée Roy, groupe Vasthi de L’autre Parole
Depuis les années 1970, la pensée féministe nous a permis de comprendre que le privé est politique[1]. C’est le cas du privé, mais également du religieux qui, imbriqué dans le personnel et le privé, a une indéniable portée politique, puisqu’il affecte non seulement les femmes croyantes, mais toutes les femmes, qu’elles soient croyantes ou non. Tant que les femmes croyantes resteront des sujettes de seconde zone dans les églises, les synagogues, les mosquées ou les temples, l’ensemble des femmes sur la planète pâtiront de cette subordination/domination. En effet, le patriarcalisme religieux constitue toujours dans nos sociétés un légitimateur des dominations masculines, des machismes et des violences sexistes pratiquées dans les lieux de pouvoir.
Lors du Synode des évêques sur la synodalité, tenu à Rome en octobre 2023 et en octobre 2024, le processus mis de l’avant par le pape François a dérogé aux pratiques synodales habituelles, qui se déroulent dans un entre-soi clérical, respectueux d’un ordre hiérarchique et strictement orchestré par la curie romaine. Je propose de montrer ici les forces et les limites de ce nouveau processus en m’attardant sur d’éventuelles conséquences pour les femmes.
Les forces
Le processus adopté cette fois-ci, sans être pleinement démocratique, s’inspire de pratiques plus démocratiques et collégiales où toutes les personnes participantes, évêques comme non-évêques (96), ont le droit de parole et de vote. Parmi les non-évêques, 54 femmes laïques ou religieuses ont participé de plain-pied à cette assemblée d’évêques. Cela constitue une radicale nouveauté dans cette enceinte.
L’assemblée synodale s’est tenue dans la vaste salle d’audience Paul VI, autour de tables rondes réunissant chacune une douzaine de personnes, dont une ou deux femmes. La méthode de travail mise de l’avant par le pape François, directement inspirée des pratiques jésuites, requiert de nombreux temps de silence et de prière. Chaque personne doit écouter l’autre. Les interventions ne durent que trois minutes, sans droit de réplique. Lors d’un deuxième tour de table, chaque personne identifie les propos qui résonnent le plus en elle, l’élément le plus important de ce qui s’est dit au premier tour. Au troisième tour de table, les points de convergence et de divergence sont identifiés en vue de la prise de décision.
Cette pratique inscrit une rupture significative avec le mode de fonctionnement traditionnel des assemblées synodales, qui se déroulent habituellement dans une salle en hémicycle à gradins, où la place des pères synodaux est assignée selon un protocole bien établi : les cardinaux étant assis tout au bas de l’hémicycle, soit aux premiers rangs de l’assemblée, suivis des évêques. Les droits de parole respectent également un ordonnancement hiérarchique et les interventions visent à convaincre les autres membres de l’assemblée. Les théologiens, les experts et les laïcs, assis au haut de l’hémicycle, ne sont pas appelés à intervenir. En octobre 2023 et octobre 2024, tout le monde s’est donc retrouvé sur un pied d’égalité, autour d’une table ronde, avec le même droit d’être écouté et de prendre la parole.
Pendant les sessions synodales, Vatican News a assuré des conférences de presse quotidiennes en plusieurs langues, diffusées en direct sur le Web ; à chacune de ces conférences de presse, des pères et des mères du synode étaient invité·es à s’exprimer et à répondre aux questions des journalistes. Il n’y a donc jamais eu autant de circulation de l’information relative aux activités se déroulant au Vatican.
Les limites
Ce processus organisationnel révélera sa pleine fécondité s’il devient un mode de fonctionnement pour toute l’Église, si, en d’autres mots, il est adopté par les instances paroissiales et diocésaines, les conférences épiscopales nationales et… les dicastères romains au Vatican ! S’il reste un prototype expérimenté uniquement dans le cadre de ce synode, il aura constitué une « belle expérience » pour les personnes qui l’ont vécue, mais sans plus.
En tant qu’observatrice assidue de l’institution ecclésiale catholique, je me demande si « l’entraînement intensif » de 365 personnes à cette méthode suffit pour inverser les mécanismes institués de cléricalisation et de préservation des hiérarchies dans le fonctionnement de l’Église. Il y a non seulement 3 000 diocèses à entraîner, mais aussi des centaines de milliers de personnes, ces « leaders » responsables de toutes sortes – clercs, religieux, religieuses, laïcs – à « convertir » à cette méthode. Il y a également toute une série de règles, de codes, de « traditions » qui favorisent la « reproduction » de l’institution qui est à changer. Bref, il s’agit d’un sacré défi !
La participation des femmes
Le synode comptait 54 femmes votantes sur les 365 votants, soit à peu près 15 % de l’assemblée. Est-ce suffisant pour permettre aux femmes d’exercer, comme femmes, une réelle influence sur le cours du synode ? Vous me permettrez d’en douter, même si une présence de 15 % de femmes constitue un bon début. L’ensemble des recherches en sciences politiques montre bien que les femmes, si elles ne forment pas au moins le tiers des membres d’un groupe assumant des responsabilités, peuvent difficilement exercer une influence décisive sur les orientations, les décisions et les priorités du groupe, etc. On sait par ailleurs que les organisations qui parviennent à la parité des sexes obtiennent de bien meilleurs résultats et détiennent une plus grande capacité de mobilisation de leurs ressources ; c’est du moins ce que soutient l’Organisation internationale du travail (OIT)[2]. Cet argument est-il suffisant pour convaincre les décideurs romains ?
On a pu remarquer aussi que, parmi les 54 femmes votantes, près de la moitié étaient des membres de communautés religieuses, dont plusieurs sont des supérieures générales, des femmes ayant par conséquent des responsabilités importantes au sein de leur congrégation. Ces femmes ont prononcé des vœux, dont celui d’obéissance. Il serait intéressant de cerner leur compréhension de l’exercice de l’autorité au sein de l’Église et de leur communauté, et leur conception de l’obéissance à l’endroit du magistère de l’Église[3]. Parmi les femmes laïques, un certain nombre sont des professeures, des docteures, des théologiennes ; un réseautage a-t-il pu s’établir entre toutes ces femmes pour partager leur expérience en Église ?
J’émets l’hypothèse que les participantes et participants ne détenaient pas tous le même capital de ressources pour gérer leur fréquentation du Vatican et de sa culture cléricale. Toutes et tous n’avaient probablement pas la même aisance à frayer dans cet univers, et ce, même si la pratique « de la conversation dans l’Esprit » était relativement nouvelle pour la majorité et pouvait constituer un choc culturel pour nombre d’entre eux et elles ! Il devait y avoir les « habitués », ces prélats rompus à la romanité, et les « novices », qui débarquaient pour la première fois dans cet univers à la fois étrange et fascinant. À Rome, n’est pas un sujet égal qui veut. La maîtrise des codes ne s’acquiert pas en quelques jours. Qu’est-ce qui a été fait pour s’assurer que ces écarts soient aplanis ? Ont-ils même été considérés ?
Des cérémonies en dissonance avec le processus synodal ?
Les écarts entre participantes et participants se manifestent de manière particulièrement éloquente lors des cérémonies d’ouverture et de clôture du synode. Ces cérémonies se déroulent en dehors de l’espace synodal ; elles ont plutôt lieu sur la place Saint-Pierre (ouverture) ou à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre (clôture). Le peuple peut y assister. J’y étais ; cette participation a été révélatrice pour moi. Ces cérémonies apparaissent en dissonance avec l’ensemble du processus synodal, qui se veut collégial et participatif et où les personnes prient et échangent ensemble, forment une communauté de discernement réunie autour de tables rondes. Ces cérémonies affirment autre chose et viennent en quelque sorte encadrer l’événement synodal.
Ces cérémonies réaffirment d’abord qui détient l’autorité à travers le faste liturgique, la pompe romaine et l’ordonnancement hiérarchique qui l’accompagne. La puissance cléricale/sacerdotale est théâtralisée dans une procession interminable (une quinzaine de minutes) de plus de 500 concélébrants où évêques et cardinaux portent, avec un certain panache, chasubles soyeuses et mitres de même couleur. Tous ces dignitaires communient sous les deux espèces. Les pères et les mères synodaux non-prêtres ouvrent certes la procession, mais habillés en civil ou dans leurs simples habits religieux, leur tenue a l’air chenu et ce moment passe presque inaperçu. Les laïcs, les femmes sont relégué·es dans la nef, « assistent » à l’événement… et communient sous une seule espèce. Exit, donc, leur participation à la liturgie, sauf pour deux brefs moments, la lecture de l’épître et la présentation des offrandes.
Ces cérémonies réaffirment ensuite que seul le clergé détient le pouvoir de sanctification. Les personnes non-prêtres sont considérées comme inaptes à faire mémoire de Jésus et doivent recourir au prêtre pour accéder à leur sanctification, à leur salut. Et, compte tenu de la non-admission des femmes aux ministères ordonnés, la division hommes/femmes dans l’Église apparaît d’autant plus éloquente, de même que la subordination/aliénation de celles-ci. Les hommes ordonnés sont massés à l’avant, dans le chœur de la basilique, les femmes à l’arrière, dans la nef ; les hommes ordonnés bénissent et sanctifient le peuple, les femmes se font bénir et sanctifier ; les hommes ordonnés sont sacrés, les femmes appartiennent à l’ordre du profane. Cette division des sexes dans l’ordonnancement rituel liturgique vient inculquer à chacun, chacune, sa posture dans la vie ecclésiale. Elle est politique. À chacun, chacune de s’y conformer.
Le médium est le message
Lors de ces cérémonies d’ouverture et de clôture, certains signes dérogent quelque peu à l’orchestration presque parfaite de ces liturgies vaticanes et concernent la personne du Pape : ses homélies[4] et son manque de décorum pour le port de ses vêtements de fonction. Les homélies du Pape s’arriment directement aux enjeux du synode et ne célèbrent en rien le faste qui l’entoure, au contraire. Le Pape invite plutôt les personnes à ne pas se barricader derrière des convictions acquises. Il souligne la nécessité d’une Église unie, fraternelle, qui écoute et dialogue ; une Église hospitalière qui bénit, encourage et accompagne ceux et celles qui cherchent le Seigneur. Il rappelle qu’une telle Église ne peut se diviser de l’intérieur ni être dure à l’extérieur. De plus, le pape François ne semble pas rechercher la gloriole avec ses habits distinctifs ; ces derniers s’apparentent davantage à des vêtements de fonction qu’il revêt pour le travail : soutane blanche qui laisse deviner des pantalons noirs ; grosses chaussures noires semblables à celles de travailleurs (contrastant avec les élégantes mules de chevreau rouges de ses prédécesseurs) ; calotte blanche qui ne tient pas en place sur son crâne et mitre souvent de travers.
Mais ces signes suffisent-ils à contrer le message contenu dans la grandiloquence liturgique du Vatican ? Quel message est effectivement reçu et intériorisé ? Si on se fie à Mc Luhan (« The medium is the message »), on peut se demander lequel, du déploiement du faste liturgique ou du discours papal, constitue le message reçu lors des cérémonies d’ouverture et de clôture du synode.
Chose certaine, il reste tout un chemin à parcourir pour que les sessions du synode et les cérémonies d’ouverture et de clôture qui les encadrent soient au diapason et énoncent un même message d’ouverture et de dialogue. Tant que perdurent ces écarts, c’est un message ambigu et même contradictoire qui est envoyé à l’Église universelle.
[1] Kate MILLETT, Sexual Politics, 1970 (Sexual Politics. La politique du mâle, traduit par Elisabeth Gille, Éditions des femmes, 2007, 521 p.); Françoise PICQ, « “Le personnel est politique”. Féminisme et for intérieur », en ligne : https://extra.u-picardie.fr/outilscurapp/medias/revues/35/francoise_picq.pdf_4a081f5cb27e9/francoise_picq.pdf; Shulamith FIRESTONE, The Dialectic of Sex. The Case for Feminist Revolution, New York, Willam Morrow and Compagny, 1970 (La dialectique du sexe : le dossier de la révolution féministe, Paris, Éditions Stock, 1972).
[2] ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, « Au-delà du plafond de verre, un réel besoin de femmes aux postes de direction », septembre 2019. En ligne : https://webapps.ilo.org/infostories/fr-FR/Stories/Employment/beyond-the-glass-ceiling#introduction.
[3] Il y aurait une étude à faire du curriculum des 54 mères du synode pour mieux cerner les profils de ces femmes. Un examen sommaire me permet déjà d’avancer que les profils sont diversifiés. Dans le cas des femmes qui font partie des délégations nationales, ce choix traduit potentiellement la posture des conférences épiscopales vis-à-vis des femmes, choix évidemment avalisé par Rome. Il appert aussi que nombre de mères synodales sont très qualifiées et détiennent une solide expérience ecclésiale.
[4] Homélies assez longues, d’une quinzaine de minutes. Mais comme elles sont prononcées en italien, ce n’est qu’en écoutant la retransmission télévisée en français que j’ai pu, par la suite, avoir accès au contenu.