SERVICE SANS POUVOIR POUR LES FEMMES DANS L’EGLISE

SERVICE SANS POUVOIR POUR LES FEMMES DANS L’EGLISE

par Monique Dumais

« Le pouvoir dans l’Eglise, c’est un service », m’avait déjà répondu un évêque. A la bonne heure ! puisque ce que l’on veut confier aux femmes dans l’Eglise, c’est de rendre des services. Pourtant, il semble qu’il y ait deux types de services dans l’Eglise, puisqu’il y

a des catégories de services que les femmes ne peuvent pas remplir. C’est ainsi que je me suis mise à scruter des textes officiels du magistère contemporain pour découvrir que la notion de « service » a dans l’Eglise deux significations : l’une qui est réservée aux hommes et l’autre qui convient aux femmes.

J’indiquerai premièrement l’ambivalence qui existe dans l’utilisation de la notion de « service ». Je ferai voir deuxièmement les sources de l’ambivalence.

1. Constatation d’une ambivalence dans l’utilisation de la notion de « service ».

Le mot « service » n’existe pas dans les dictionnaires théologiques, sauf dans le Vocabulaire de théologie biblique, ni dans l’Encyclopédie de la Foi, ni dans l’index des Documents de Vatican II ; il faut se référer au mot « ministère » pour découvrir la portée significative, juridique, politique de ce mot dans l’Eglise.

Dans deux textes différents, le pape Jean-Paul II utilise le mot « service », mais en lui conférant des extensions différentes.

Le but de tout service dans l’Église, qu’il s’agisse du service apostolique, pastoral, sacerdotal, épiscopal, est de maintenir ce lien dynamique du mystère de la Rédemption avec tout homme.

Jean-Paul II, Encyclique Le Rédempteur de l’homme, A- mars 1979.

Sachez que vous occuperez toujours une place importante dans l’Eglise, dans sa mission de salut, dans son service de toute la communauté du Peuple de Dieu.

Jean-Paul II aux religieuses américaines, 7 octobre 1979.

Dans la première phrase, une très grande extension est donnée au mot « service », tandis que dans la seconde, elle est juridiquement plus restreinte. Dans le premier cas, on inclut à la fois les ministères ordonnés et non ordonnés, tandis que dans le second on exclut les ministères ordonnés, puisque Jean-Paul II et ses prédécesseurs excluent l’accessibilité des femmes au sacerdoce ministériel.

 

Le service-pouvoir est pour les hommes

Le concile Vatican II a manifesté une ouverture d’esprit en présentant l’Eglise comme peuple de Dieu et non plus uniquement comme une hiérarchie. Cependant, plusieurs textes expriment en termes de pouvoir les ministères ordonnés sacerdotal ou épiscopal. En voici un :

« Le Christ Seigneur, pour paître et accroître toujours davantage le Peuple de Dieu, a établi dans son Église divers ministères qui tendent au bien de tout le Corps. En effet, les ministres qui sont revêtus d’un pouvoir sacré servent leurs frères, afin que tous ceux qui appartiennent au Peuple de Dieu et, qui, par conséquent, ont vraiment la dignité de chrétiens tendent librement et de façon ordonnée vers le même but et parviennent au salut.  » (Lumen Pentium, no 18).

Jean-Paul II s’exprime surtout en termes de « service » quand il aborde le sujet du sacerdoce sacramentel.

Notre sacerdoce sacramentel est donc à la fois « hiérarchique » et « ministériel ». Il constitue un ministerium particulier, c’est-à-dire, un « service » à l’égard de la communauté des croyants. Il ne tire donc pas son origine de cette communauté,

comme si c’était elle qui « appelait » ou « déléguait ».

Jean-Paul II, « Lettre à tous les prêtres de l’Église à l’occasion du Jeudi saint 1979.

Vous êtes serviteurs du peuple de Dieu, serviteurs de la foi, intendants et témoins » « de

l’amour du Christ pour les hommes.

Jean-Paul II, « Directives aux prêtres et aux religieux », Guadeloupe 27 janvier 1979.

 

Invitation restrictive et restreignante au service pour les femmes »

Que l’on conçoive le sacerdoce ministériel comme pouvoir ou service, le magistère n’entend pas en permettre l’accès aux femmes. La déclaration sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel l976) est très explicite à ce sujet.

L’Église en appelant uniquement des hommes à l’ordination et au ministère proprement sacerdotal entend demeurer fidèle au type de ministère ordonné voulu par le Seigneur Jésus-Christ et religieusement maintenu par les Apôtres. Déclaration sur la question … 1ère partie.

Il faut reconnaître qu’il y a ici un ensemble d’indices convergents qui soulignent le fait remarquable que Jésus n’a pas confié à des femmes la charge des Douze. Déclaration sur la question … 2e partie.

Ce document romain est tout à fait typique d’une argumentation très restrictive pour l’accessibilité des femmes à divers ministères. Il s’appuie sur le fait de la tradition, une tradition qui n’apparaît pas évolutive pour les femmes. Ce qui n’a pas existé ne pourra pas exister. L’évolution historique de la situation de la femme reconnue dans la société – le document cité au tout début Pacem in terris de Jean XXIII :

… se réjouit de l’entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide peut-être dans les

peuples de civilisation chrétienne est tout à fait absente dans l’Eglise qui semble figée dans un statuquo.

Quand les papes et les documents officiels se préoccupent des femmes, ils s’expriment uniquement en termes de service. Le modèle qui leur est présenté est celui de Marie, Jean-Paul II abonde particulièrement dans l’utilisation de ce modèle.

Cette rencontre du Pape avec les religieuses mexicaines, qui devait se tenir dans la basilique de Notre-Dame du Guadeloupe a lieu ici, où elle est spirituellement présente, devant celle qui est le modèle parfait de la femme et le meilleur exemple de vie entièrement consacrée à son Fils, le Sauveur, en une constante attitude intérieure de foi, d’espérance, de consécration dans l’amour à une mission surnaturelle Jean-Paul II, « Directives aux religieuses » au collège Miguel Angel, 27 janvier 1979.

Les services qui sont attendus des femmes sont très variés. Jean-Paul II énumère devant les religieuses américaines les nombreux secteurs où elles oeuvrent dans l’Église et la société : « Les écoles et les collèges, les cliniques et les hôpitaux, les activités caritatives et l’assistance, 1er, oeuvres paroissiales, la catéchèse, les groupes d’apostolat et tant d’autres choses ».

2. Source de l’ambivalence

L’ambivalence remarquée dans l’utilisation de la notion de « service » A-apparaît relever du lien très fort qui existe entre sexualité, pouvoir et sacramentalité. Déjà des sociologues, des psychanalystes, des anthropologues ont pu constater la relation entre l’appartenance à un sexe et la mainmise sur le pouvoir. Les gens d’un sexe donné ont le pouvoir dans la société, la contrôlent à leur profit, celui du pouvoir mêle, appelé patriarcat. La relation entre sexualité et pouvoir revêt un caractère plus dogmatique quand elle s’établit dans le domaine du sacré où toute remise en question est complètement écartée. L’association historique qui s’est établie entre sexualité mâle et pouvoir clérical dans l’Église ne peut être effectivement interpellée.

Christian Duquoc note parmi les obstacles que l’on rencontre face aux questions du ministère : « Les obstacles qui viennent des symboliques ancestrales représentant le sacré, le sexuel et le pouvoir ». « Situation des ministères », Femmes et Hommes dans l’Église, no 30 (juin 1979), p. 6, aussi Pro Mundi Vita Bulletin no 78 (juillet 1979), p. 17.

Ces trois éléments sont reliés exclusivement au sexe mâle : l’homme seul peut être ordonné à tous les ministères et le ministère sacerdotal ouvre l’accès au pouvoir, car la hiérarchie est bel et bien constituée par le pape, les évêques, les religieux et religieuses, les laïcs. Les trois degrés supérieurs sont réservés au sexe mâle et l’appareil définiteur de l’Église défend d’une manière farouche l’appartenance du sacré aux mâles, car c’est la voie d’accès au pouvoir. C’est en vain qu’on cherche toutes les raisons exégétiques, celles de la tradition, pour confirmer le symbolisme exclusif de l’homme mâle avec le Christ ; il y va d’un pouvoir qu’on ne veut pas confier à des femmes … et quand on est dans une société qui relève du sacré, on renvoie facilement à ce sacré, au mystère, pour empêcher tout raisonnement logique sur le sujet.

Conclusion

La découverte de l’ambivalence dans l’utilisation de la notion de « service » dans le discours officiel : de l’Église ainsi que l’indication des sources de l’ambivalence me conduisent à énoncer les propositions suivantes :

– L’Église entière a besoin de retrouver le sens évangélique de la notion de « service », qui est une disponibilité humble, modeste, même souffrante pour ses frères et soeurs. En effet, le christianisme s’inscrit dans une ligne d’humilité. Le prophète Isaïe avait déjà présenté en quatre chants (Isaïe ch. 42 à 53) un mystérieux Serviteur qui, instruit par Yahvé, devait être la lumière les nations et apporter le salut à tous les humains par une mort ignominieuse. Jésus est présenté comme le « Serviteur de Yahvé (Mt 12,15-21), il a été au milieu de ses disciples « comme celui qui sert » (Lc 22,27) et il les invite à ne pas rechercher les honneurs, mais à se mettre au service les uns des autres – le lavement des pieds à la dernière Cène symbolise cet état de service qui est celui de tout chrétien et chrétienne.

 

Ainsi, le dénivellement entre deux catégories de service : une de prestige et une autre d’assistance, devait être aboli dans l’Église.

– Le démasquement de la double interprétation de la notion de service doit être poursuivi, afin d’empêcher les leurres de la mentalité patriarcale et de faire surgir les affirmations d’une conscience féministe.

– Les groupes de femmes doivent continuer de réclamer dans l’Église une participation

réelle, à tous les niveaux et dans tous les ministères, conséquence de leur évolution historique et de leur disponibilité sociale actuelle.

– Les groupes de femmes doivent poursuivre l’élaboration de nouveaux modèles de participation ecclésiale, car les modèles masculins avec leurs ambiguïtés de pouvoir ne conviennent pas à l’émergence de l’Evangile.