Un mot d’histoire

Un mot d’histoire1

En mars 1994, avaient lieu en Angleterre les premières ordinations de femmes à la prêtrise. Par la même occasion, les femmes ordonnées prêtres hors de l’Angleterre et travaillant en Angleterre pourront légalement y exercer leurs fonctions de prêtre, alors qu’auparavant elles devaient s’en tenir à leur seule fonction de diacre.

Comment et pourquoi l’Église d’Angleterre en est-elle venue à ordonner des femmes prêtres ? Avant de répondre à cette question, faisons d’abord une brève incursion dans l’histoire de l’Église anglicane pour mieux saisir et son fonctionnement et sa position par rapport à l’Église catholique.

Disons, d’entrée de jeu, que l’Église d’Angleterre est en réalité l’Église anglicane de l’Angleterre. Elle est née au 16e siècle d’un besoin d’émancipation politique de la tutelle romaine. Qu’on se rappelle les démêlés d’Henri VIH avec le pape d’alors et le schisme qui s’en suivit. D’ailleurs le séjour forcé des papes à Avignon et le schisme d’Occident avaient préparé le terrain à une telle rupture.

À partir d’Henri VIH, c’est désormais le roi ou la reine qui dicte la foi. Pendant deux siècles, prêtres et évêques auront gardé un rôle politique et social, voire servi le pouvoir royal. À partir du XIXe siècle, le rôle de l’Église se dissociera peu à peu des enjeux politiques de la nation britannique. Malgré tout, la structure hiérarchique de l’Église d’Angleterre, héritée du catholicisme, n’a pas été remise en cause. C’est le modèle épiscopal qui reste en place. C’est ce qui distingue, entre autres, l’anglicanisme des autres confessions protestantes.

Aujourd’hui, la Communion anglicane compte une trentaine d’Églises dispersées à travers le monde. Dépendantes de l’Église d’Angleterre lors de leur création, ces Églises ont acquis peu à peu leur autonomie tout en restant unies les unes aux autres grâce aux conférences de Lamberth qui ont lieu tous les dix ans sous l’autorité de l’archevêque de Canterbury, le primat de l’Église mère. Cette position hiérarchique de l’archevêque de Canterbury n’a cependant rien à voir avec celle du pape chez les catholiques car, dans l’anglicanisme, l’autorité n’est pas centralisée mais partagée.

Chez les anglicans, en effet, l’autorité relève plutôt de l’Écriture, de la Tradition, du témoignage des saints et du « consensus fidelium » qui est l’expérience permanente du Saint Esprit en ses fidèles. L’Église romaine, au contraire, se prétendant de nature divine, ne peut se résoudre à reconnaître une vérité découlant d’un consensus des fidèles, même si, dans la pensée chrétienne, le peuple de Dieu, assisté de l’Esprit, ne peut errer dans la foi. La révocation récente de Mgr Jacques Gaillot de sa fonction d’évêque d’Evreux illustre tristement le durcissement du Vatican dans cette prétention.

Quoique autonomes, les Églises de la Communion anglicane fonctionnent toutes de manière synodale. Le synode est une sorte de parlement composé de trois chambres : la chambre des évêques, la chambre du clergé, la chambre des laïcs. C’est le synode, considéré comme un processus normal de discernement de la vérité, qui vote les règles de fonctionnement propres à chaque Église. Pour certaines décisions entre autres pour l’ordination des femmes à la prêtrise- la majorité des voix doit être obtenue dans les trois chambres. L’anglicanisme unit ainsi une architecture hiérarchique plus ou moins complexe avec un fonctionnement démographique. Ainsi la diversité des ministères dans la collégialité donne des possibilités d’évolution, d’adaptation et d’innovation que vient entériner ou non la décision synodale.

Ces assises étant posées, nous en venons à l’événement de l’ordination des femmes à la prêtrise dans l’Église d’Angleterre, ordination considérée jusque-là impensable. Durant les cent cinquante dernières années de l’histoire de l’anglicanisme, en effet, aucune question n’a été autant controversée, aucun sujet n’a fait verser autant d’encre que celui de l’ordination des femmes. Dans d’autres Églises de la Communion anglicane culturellement et géographiquement éloignées de Canterbury, on ordonnait déjà des femmes au sacerdoce depuis plus de quinze ans (États-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande).

Il a fallu la seconde guerre mondiale et la pénurie de prêtres pour que s’ouvre la première brèche dans ce bastion mâle. Et cette brèche est venue de Hong Kong. L’évêque du lieu, Ronald Hall, conscient de l’urgence pastorale qui prévaut dans son diocèse, pense qu’il est de son devoir d’y répondre en ordonnant, en 1944, Li-Tim-Oi  qui remplissait de fait la fonction de prêtre depuis plus de deux ans.

Mais la bataille en faveur de l’ordination des femmes sur le sol anglais n’est pas gagnée pour autant. Li-Tim-Oi, bien que légitimement ordonnée à la prêtrise, n’est pas autorisée à exercer son ministère en Angleterre. Lorsqu’elle y séjourne, elle doit se limiter à remplir des fonctions de diacre. Il faudra attendre la révolution sociale des années 60 et le changement de statut de la femme dans la société pour qu’une avancée irréversible se produise dans l’Église d’Angleterre.

Les premières ordinations légales auront lieu en 1971, et à partir de ce moment l’accès des femmes au diaconat puis au presbytérat fera tache d’huile. Dès 1975, cette innovation ne soulève plus d’objections fondamentales. Cependant tous les anglicans ne sont pas en faveur de l’ordination des femmes prêtres. Chez ces opposants, il y a des hommes mais aussi des femmes. Certains considèrent la prêtrise au féminin comme une occasion de chute et de division – argument identique à celui de l’Église catholique – tandis que d’autres, en majorité, voient en elle une formidable chance pour l’avenir.

Malgré tout, le 11 novembre 1992, le bastion de l’Église d’Angleterre doit céder sous les pressions. Vers 17 heures, le vote a enfin lieu. La motion est acceptée par 75 % des voix chez les évêques, 70.4 % chez les clercs et 67.3 % chez les laïcs. Dehors c’est une immense explosion de joie. Mais le soir même, Rome s’empresse de qualifier l’événement de « nouvel et grave obstacle à la réconciliation ». Néanmoins à travers le monde entier, où la nouvelle fait la « une » des journaux, c’est la joie qui l’emporte.

Si l’engagement de l’archevêque de Canterbury, Georges Carey, a pesé lourd dans la décision de l’Église d’Angleterre ce jour-là, le patient travail de maturation théologique a aussi compté pour beaucoup dans la balance comme en témoignent ces passages tirés de l’allocution que Mgr Carey adressait aux membres du synode peu avant le vote : « Dieu nous appelle à prendre le risque de la foi. Je pense aussi que Dieu appelle son Église à ordonner des femmes à la prêtrise (…). L’Église ne se voit pas imposer quelque chose dont elle ne voudrait pas. La question est à l’ordre du synode depuis presque 20 ans. (…) La manière anglicane est essentiellement celle du « consensus fidelium » (…). Le discernement, pourtant, ne vient pas seulement dans les votes mais à travers la manifestation des dons (…). Nous devons nous appuyer sur tous les talents qui sont à notre disposition si nous voulons être une Église crédible » (p. 108).

« Être une Église crédible »… Les autorités romaines rendront-elles bientôt possible l’attribution de cette caractéristique à l’Église catholique ? ? ?

Yvette Laprise, Myriam

1 Source : Mercier, Jean, Des femmes pour le Royaume de Dieu, Ed. Albin Michel, 1994, 330 pages.