Un objectif ambitieux, Une promesse partiellement tenue

Un objectif ambitieux,
Une promesse partiellement tenue

Pierrette Daviau, Déborah

Au début du livre La théologie féministe. Un lieu de nouveaux possibles[1], l’objectif de l’autrice (M-F. H-M.) paraît assez ambitieux et même démesuré ; elle cherche « à aller à l’essentiel […] à définir la théologie féministe dans ses origines d’abord, puis dans ses bases scientifiques et son fonctionnement appliqué à quelques figures féminines majeures des évangiles […] puis à circonscrire le regard féministe dans son originalité […] et à considérer la grande diversité d’expériences comme facteur de concurrence, de fragmentation et comme signe de vitalité » (p. 8-9). Elle n’hésite pas à remonter jusqu’au Moyen Âge pour mentionner quelques pionnières avant de souligner l’influence de Simone de Beauvoir sur les féministes américaines à l’origine du mouvement théologique qui réagit au patriarcat et à une théologie masculine et cléricale. Ces Américaines n’ont pas hésité à questionner les pratiques discriminatoires des églises soutenant la soumission des femmes et les laissant à la marge. La comparaison de la théologie féministe avec la théologie traditionnelle que propose M-F. H-M. est éclairante, synthétique et bien structurée (p. 26-32). Elle rend service aux personnes qui désirent connaître rapidement les différences et les avantages caractéristiques de ces deux approches.

Les chapitres 3 et 4 présentent l’originalité de la théologie féministe comme « une théorie critique qui consiste à réfléchir et à faire apparaître les erreurs d’interprétation, les illusions, les mensonges […] qui prend son point de départ dans l’expérience d’oppression subie par les femmes » (p.33). L’autrice tente de montrer comment cette vision théologique est présentée comme une démarche inversée et inductive centrée sur l’expérience humaine et chrétienne et non sur les normes, les dogmes et les canons. Elle mentionne quelques approches opposées aux analyses historico-critique, socio-historique, littéraire ou à une recherche d’un autre discours sur Dieu.

Selon M-F. H-M., l’exégèse féministe a son point de départ sur des relectures de la Bible et sur une approche holistique (p. 40). Il aurait été intéressant de développer davantage cette méthode exégétique féministe, non seulement en s’attardant, comme le fait le chapitre 5, sur quelques femmes de l’Évangile. En effet, la Cananéenne, Marthe et Marie, la Samaritaine, Marie de Magdala, même si l’on signale que « leurs présences respectives n’ont pas été comprises et évaluées à leur juste mesure », ont déjà été explorées par plusieurs autres ouvrages plus récents peu ou pas cités. D’ailleurs, si l’on s’attarde aux diverses notes ainsi qu’à la bibliographie sélective (p.107-111), très peu de titres parus après 2010 sont mentionnés : 7/44 dans les titres bibliographiques et 11/56 dans les notes de bas de page. On ne remet pas en question les ouvrages utilisés ou cités, mais on déplore le manque réel de connaissance des derniers ouvrages en féminisme et en théologie féministe assez abondants ces dernières années.

Les pôles méthodologiques de la théologie féministe sont définis comme suit (p. 46-52) : la critique du passé, la redécouverte de l’histoire oubliée des femmes par des siècles d’androcentrisme et surtout l’élaboration d’une autre vision, d’une nouvelle conceptualisation prenant en compte l’égalité homme-femme et l’expérience des femmes. « La perspective féministe tente d’articuler d’une manière neuve les normes et les méthodes de la théologie ; elle imagine de nouveaux symboles, de nouvelles métaphores et de nouvelles pratiques qui honoreraient la pleine humanité des femmes » (p. 52). Donc un travail de déconstruction pour une reconstruction.

C’est avec ambition que l’autrice tente de présenter un « panorama d’une théologie passe-frontières ». On s’en est bien rendu compte, la plupart des exemples s’inspirent quasi uniquement de la France, soulignant que l’émergence de la théologie féministe aux États-Unis revient à des universitaires blanches et de milieux aisés ne mentionnant que Mary Daly, Schüssler-Fiorenza, Radford Ruether. On peut lui reprocher un raccourci incroyable sur ce qui se fait au Canada : « qui reste en pointe en recherche théologique féministe avec des représentantes pionnières comme Élisabeth J. Lacelle et Monique Dumais » (en note à la p. 73). Aucune mention des travaux des théologiennes et chercheuses féministes et chrétiennes telles que Yvonne Bergeron, Denise Couture, Heather Eaton, Marie Gratton, Micheline Lagüe, Miriam Martin, Susan Roll, Marie-Andrée Roy, pour ne nommer que celles-là.

Selon elle, la théologie féministe européenne semble à la remorque des Américaines sauf chez quelques pasteures protestantes ou orthodoxes. Celles qui, selon elle, ont une certaine influence, Elisabeth Moltmann-Wendel et Kari Børresen seront peu reconnues en milieu francophone. La France et l’Espagne accueillent ces théologies féministes avec scepticisme. Pour continuer ce panorama outre-frontière, elle fait une brève mention des théologies féministes en Amérique latine (creuset de la théologie de la libération) et cite (en note) IvoneGebara pour son livre « Le mal au féminin ». Selon l’autrice, la théologie féministe en Asie évolue dans un contexte militariste où les pratiques culturelles seraient responsables de l’exclusion des femmes et de leur soumission. Elle cite la théologienne africaine, Mercy Oduyoye, qui attire surtout l’attention sur l’histoire des Africaines marquées par le colonialisme, le racisme, la pauvreté, les violences.

C’est rapidement qu’est évoqué le contexte des minorités ethniques, les womanistes et les mujeristesqui luttent pour leur survie et tentent de maintenir leurs pratiques culturelles tout en refusant l’humiliation et cherchent à stimuler les femmes pour qu’elles prennent en main leur histoire et leur dignité. Pour terminer ce chapitre, l’autrice fait une petite incursion dans le monde arabe où elle mentionne l’incompatibilité entre le Coran et les droits des femmes tout en notant que les féministes musulmanes tentent de dialoguer avec les autres religions et le mouvement féministe global. Quelques lignes parlent de l’Australie où l’on remarque des tensions entre les diverses prises de position en regard du patriarcat, des nouvelles spiritualités et de la tradition. Il n’est pas non plus fait mention de l’Angleterre où la théologie féministe a été bien vivante. Ce portrait, ce bref aperçu, qu’on souhaiterait plus détaillé de la théologie féministe enracinée à travers les cinq continents, invite à un approfondissement de ce qui se passe en dehors du monde occidental et a le mérite d’inviter à faire davantage de recherches et d’explicitations. On reste avec l’impression que « qui trop embrasse mal étreint ».

Le dernier chapitre, qui seul réfère directement au sous-titre du livre Un lieu pour de nouveaux possibles, s’intéresse aux évolutions actuelles de la théologie féministe depuis ses idéaux originels. C’est sans doute ces nouveaux possibles que lectrices et lecteurs auraient souhaités davantage développés, mais comme pour les autres chapitres, l’autrice en reste à proposer diverses pistes à développer ou à questionner sans détailler davantage. Sont évoqués les « accords et désaccords » au sujet du concept d’expérience des femmes ainsi que la fragilité de la notion de sororité qui, au départ, se voulait rassembleuse. Comme l’autrice l’avait souligné au chapitre d’une théologie passe-frontières, elle questionne la fragmentation, la concurrence et la vitalité des théologies féministes à travers le monde. Elle termine ces pistes d’avenir en exprimant ses contributions dans diverses disciplines et reconnaît que « malgré sa marginalisation, [la théologie féministe] a soulevé des questions centrales d’ordre méthodologique et […] a souligné le double discours de l’institution à l’égard des femmes » (p. 96).

En conclusion, elle note combien cette démarche féministe en théologie continue d’inviter à un véritable approfondissement et à de nouvelles perspectives méthodologiques. « La lecture féministe dévoile et révèle les femmes comme actrices de tous les nœuds théologiques, les partenaires de tout l’enseignement de Jésus » (p. 98). Pour M-F. H-M., il est évident que de nouveaux défis sont à relever dont la nature de l’autorité, la relation Église/monde, la justice sociale, le rôle du transcendant. « En guise de conclusion, nous osons et posons une espérance que ces deux courants théologiques parallèles — traditionnel et féministe — s’accueillent, s’écoutent mutuellement et participent, chacun à sa manière, au mouvement théorique contemporain » (p. 106). On le savait depuis longtemps !

Que dire finalement de la lecture de cet ouvrage ? Comme on le mentionnait en début de recension, le projet était audacieux et ambitieux. On peut dire qu’il brosse un panorama intéressant pour les personnes désireuses de connaître une certaine évolution et un portrait global de la théologie féministe. On peut penser que des étudiant∙e∙s cherchant un parcours succinct de cette discipline, encore peu si peu connue (après plus de 50 ans d’existence), pourront y trouver de bonnes explications à condition qu’ils et elles se limitent à ce qui s’est passé surtout avant les années 2000. Nous déplorons cependant, que le sous-titre nous laissait entrevoir une présentation renouvelée et des pistes plus concrètes de « nouveaux possibles » pour la théologie féministe. Le travail n’est pas complété !

[1] Marie-Françoise HANQUEZ-MAINCENT.La théologie féministe. Un lieu de nouveaux possibles, Paris/Montréal, Médiaspaul, 2019, 119 pages.