DES FEMMES À L’ÉCRITURE AUDACIEUSE

DES FEMMES À L’ÉCRITURE AUDACIEUSE

Monique Dumais, Houlda

Chantal Théry, professeure en littératures française et québécoise à l’Université Laval, nous a donné d’apprécier des femmes tout à fait étonnantes qui ont vécu en Nouvelle-France aux 17e et 18e siècles. Son ouvrage, De plume et d’audace. Femmes de la Nouvelle-France Montréal/Paris, Triptyque/Cerf, 2006, 262 p., s’inscrit dans une lecture féministe, celle de la mise en valeur des qualités des femmes. Je vous fais donc connaître quelques-unes de ces femmes à l’écriture audacieuse.

Des femmes

Nous découvrons à travers leurs écrits, des femmes très déterminées, qu’elles soient religieuses ou laïques. Certaines sont venues de diverses parties de la France, d’autres comme Marie Morin, Élisabeth Bégon, sont nées en Nouvelle-France. Celles  qui ont traversé l’Atlantique ont vécu un voyage périlleux qui a duré 3 mois pour les premières ursulines et hospitalières arrivées à Québec en 1639, 5 mois pour les ursulines qui se sont rendues en Louisiane en 1727. Appelées par un dessein particulier de Dieu, ces religieuses sont prêtes à tout pour accomplir leur mission auprès de malades à soigner et de jeunes à éduquer. Le jésuite Paul Le Jeune les a qualifiées d’« amazones » dans sa Relation de 1633 : elles ont été en effet « confrontées à des situations, des responsabilités et des tâches inusitées, interpellées par une culture amérindienne » (p. 14).

Parmi ces femmes valeureuses, nous trouvons Marie de l’Incarnation qui a un parcours très particulier. Le chapitre 9, « Marie de l’Incarnation, intime et intimée » montre les forces spirituelles de cette femme, Marie Guyart de Tours, épouse devenue veuve après un an de mariage, mère qui a abandonné son enfant de douze ans pour entrer chez les Ursulines de Tours. Vie étonnante où son fils Martin deviendra lui-même bénédictin et demandera à sa mère d’écrire les états de sa vie mystique. Chantal Théry souligne entre autres que « des métaphores très corporelles » (p. 158) sont présentes dans le rapport mère-fils détecté dans ses lettres.  En effet, quand la mère rappelle à son fils son départ pour le Canada, elle écrit : « À votre sujet, il me sembloit que mes os se déboitoient et qu’ils quittoient leur lieu, pour la peine que le sentiment naturel avoit de cet abandonnement. » (Correspondance 1664 : 725) (p. 158)

Voici quelques autres types de femmes : Marie Morin, née à Québec en 1649, est la première religieuse canadienne à se joindre aux sœurs  hospitalières venues de France. C’est elle qui rédige pendant 28 années les Annales de l’Hôtel-Dieu ; elle assume un triple rôle : celui de narratrice-écrivaine, d’historienne et de personnage.  Marie Tranchepain et Marie-Madeleine Hachard, deux ursulines qui sont parties de Rouen, relatent leur voyage, leur arrivée et installation à la Nouvelle-Orléans en 1727.  Soeur Hachard, alors jeune novice, raconte à son père les péripéties de son voyage. On n’en manque pas en cinq mois sur l’Atlantique ! Élisabeth Bégon de Montréal, épouse du gouverneur de Trois-Rivières, qui ira vivre en France, aura une importante correspondance avec son fils établi en Louisiane.

« Prendre pays, c’est aussi prendre la plume »(p. 72). Marie de l’Incarnation aurait écrit 13 000 lettres, il nous en est resté environ 278 que l’on retrouve dans sa Correspondance, éditée et annotée par dom Guy-Marie Oury, Abbaye Saint-Pierre,  Solesmes, 1971. Chantal Théry mentionne que « ce qui frappe dans les textes de nos écrivaines, c’est le désir, la pulsion, l’urgence d’écrire : la dramatisation de l’écriture y est omniprésente » (p. 122). Marie de l’Incarnation s’est employée aussi à écrire des livres en langue amérindienne :

« […] je me suis résolue avant ma mort de laisser le plus d’écrits qu’il me sera possible depuis le commencement du Carême dernier jusqu’à l’Ascension j’ay écrit un gros livre Algonquin de l’histoire sacrée […] un Dictionnaire et un Catéchisme Hiroquois, qui est un trésor.  L’année dernière j’écrivis un gros Dictionnaire Algonquin à l’alphabet François ; j’en ai un autre à l’alphabet Sauvage. » (Correspondance 1668 : 801)  (p. 75)

Elle a bien du mérite cette Marie de l’Incarnation qui avoue qu’apprendre des langues amérindiennes n’est pas chose facile : « je vous avoue qu’il y a bien des épines à apprendre un langage si contraire au nôtre. […] Mais croyez moy, le désir de parler y fait beaucoup ; je voudrais faire sortir mon cœur par ma langue. » (C 1641 : 125)  (p. 187)

Les accommodements raisonnables, on les connaissait déjà au XVIIe siècle, à en juger par les rapports que ces femmes venues de France entretiendront avec les amérindiennes. Marie de l’Incarnation a montré dans sa correspondance que les amérindiennes ont besoin de liberté, car, lorsqu’elles sont contraintes, « elles deviennent mélancholiques, et la mélancholie les fait malades » (p. 184). Un autre passage est bien typique :

« [D’autres filles Sauvages] n’y sont que comme des oyseaux passagers, et n’y demeurent que jusqu’à ce qu’elles soient tristes, ce que l’humeur sauvage ne peut souffrir : dès qu’elles sont tristes les parens les retirent de crainte qu’elles  ne meurent.  Nous les laissons libres en ce point, car on les gagne plutôt par ce moyen, que de les retenir par contrainte ou par prières. Il y en a d’autres qui s’en vont par fantaisie et par caprice ; elles grimpent comme des écurieux notre palissade, qui est haute comme une muraille, et vont courir dans les bois. »  (Correspondance 1668 : 802)  (p. 184)

Chantal Théry souligne que « [l]a culture amérindienne, qui conjugue différemment masculinité et féminité, a indéniablement donné aux Européennes de nouveaux modèles » (p. 173).

Les relations avec les hommes ne se vivent pas dans la plus grande aisance.  Les nouvelles femmes missionnaires doivent dépasser les réticences, voire même les oppositions des hommes, comme celles du père Paul Le Jeune, jésuite. Cependant, celui-ci en viendra à s’étonner de ce que les enseignantes et les hospitalières accompliront en  Nouvelle-France.

Le chapitre 2  intitulé : « Un jésuite et un récollet parmi les femmes : Paul Le Jeune et Gabriel Sagard chez les Sauvages du Canada » est tout à fait révélateur de deux attitudes très différentes. Paul Le Jeune fait au sujet des femmes amérindiennes une description d’un féminin menaçant, excessif, multiforme et trompeur comme l’eau-de-feu […] (p. 36), alors que le récollet  Gabriel Sagard se montre un fin observateur des ouvrages des amérindiennes et se plaît à les admirer.

Il est aussi intéressant de remarquer que des religieuses ont eu un franc parler et qu’elles ont manifesté leur mécontentement à des prêtres dans certaines situations. Marie Tranchepain exprimera clairement dans une lettre à un prêtre qui a autorité sur la communauté qu’elles n’accepteront pas un supérieur que l’on veut leur imposer :  « Nous ne renoncerons pas à nos droits et personne ne nous forcera de recevoir un supérieur malgré nous, c’est à quoi nous sommes toutes très déterminées » (p. 239-240). Marie de l’Incarnation a eu aussi de fortes discussions avec Mgr de Laval au sujet des constitutions, de certains chants jugés distrayants pour les prêtres-célébrants.

Lire Chantal Théry, c’est accueillir d’autres écrivaines,  Anne Hébert, Patricia Smart, Laure Conan, Louise Dupré, Jeanne Lapointe, Nancy Huston, Julia Kristeva, Sor Juana Inès de la Cruz, Marina Warner  et quelques autres, qui se glissent ici et là à travers les pages. L’ouvrage est d’une belle facture, avec une couverture reproduisant des objets du Musée des Ursulines de Québec : deux pages manuscrites, chandelier et chandelle allumée, encrier ancien, plume d’oiseau.  Également, la bibliographie montre une amplitude très utile.

Oui, « lire les écrivaines de la Nouvelle-France, c’est ouvrir une fenêtre sur notre matrimoine littéraire et culturel » (p. 11) et se réjouir de ce qu’elles nous ont apporté.