Entrevue avec Catherine Clifford, mars 2025 : retour sur l’assemblée synodale de Rome

Entrevue avec Catherine Clifford, mars 2025 :
retour sur l’assemblée synodale de Rome

 

Pour la première fois de l’histoire, des femmes ont participé à l’assemblée du Synode sur la synodalité en octobre 2023 et en octobre 2024. Elles avaient le droit de vote et composaient 15 % de l’assemblée. Catherine Clifford, professeure à l’Université Saint-Paul (Ottawa) était l’une d’elles. Spécialiste du concile Vatican II, d’ecclésiologie et d’œcuménisme, elle a participé aux premières loges à toutes les étapes du synode sur « la manière de marcher en Église » ou, comme l’ont résumé certains médias, sur « l’avenir de l’Église ». En octobre 2024, elle a été la première femme élue membre de la commission de rédaction du Document final de l’assemblée synodale, approuvé par le pape François[1]. L’autre Parole l’a rencontrée pour faire un retour sur la démarche du synode. Plus particulièrement, nous voulions savoir comment la question des femmes a été posée lors de la deuxième assemblée, en octobre 2024, et comment cette question a été abordée dans le Document final du synode. Nous lui avons demandé quels changements principaux le synode a proposés sur la manière de vivre en Église.

Vous avez participé aux deux assemblées synodales, celles d’octobre 2023 et d’octobre 2024. Comment les deux rencontres se sont-elles distinguées ? Le processus d’écoute mutuelle a-t-il été mis en œuvre de la même manière à chaque occasion ?

Catherine Clifford – Oui, nous avons pratiqué les deux fois le même processus synodal de conversation dans l’Esprit. En octobre 2023, nous en avons fait l’apprentissage. Il consistait en ce que chaque personne exprime son vécu, suivi d’un temps de silence où les personnes intègrent ce qu’elles ont compris et cherchent à dégager des convergences. Au deuxième tour de prise de parole, nous identifiions les principaux sujets à partager en plénière. En octobre 2023, nous avons traité d’un grand nombre de sujets, une vingtaine, et nous avions de nombreux rapports d’atelier à écouter les uns après les autres en plénière, ce qui demandait de la patience et ne s’est pas avéré bien efficace.

En octobre 2024, nous nous connaissions, nous avions intégré le processus de conversation synodale. Le lien de confiance était établi. Nous avons entrepris un travail plus focalisé. Il y a eu moins de changement de groupes et moins de questions à traiter. Il y avait une grande liberté de parole. Les travaux sont demeurés centrés sur la question : comment devenir une Église plus synodale ? L’accent a été mis sur des changements réels : que faut-il changer pour que cela se concrétise ?

Vous aviez noté en 2023 l’enjeu de la diversité comme un défi principal de l’Église catholique universelle, qui réunit des cultures fort diverses de partout dans le monde. Comment ce défi s’est-il présenté en 2024 ?

C.C. – À l’assemblée d’octobre 2024, nous avons ressenti le défi de la diversité, surtout sur les questions de la participation des femmes et des personnes LGBTQ+ en Église. Un autre point est ressorti sur le plan ecclésial : le ratio des prêtres par rapport aux laïques est plus grand en Afrique qu’ailleurs, de sorte que les évêques africains ne voient pas la nécessité d’ordonner des diacres, par exemple.

Quelle a été votre expérience de participation à l’assemblée synodale de 2024 à titre de femme ? Comment y a-t-on abordé la question des femmes ?

C.C. – Je me suis sentie accueillie comme femme aux tables dont j’ai fait partie et, surtout, j’ai été la première femme élue à siéger à la commission de rédaction du Document final du synode, représentant la région de l’Amérique du Nord. En plus des personnes élues par les sept délégations régionales, le Pape en nommait trois autres à cette commission. Il avait nommé une femme en 2023 et il en a nommé une à nouveau en 2024. Mais j’ai été la première femme élue par sa délégation à faire partie de la commission de rédaction.

La tâche principale de la commission de rédaction était d’assurer que le document final soit le reflet du travail de l’assemblée. Le travail ne consistait pas à rédiger le Document final du synode, mais à offrir des rétroactions au texte proposé, à y réagir, à l’amender, à proposer des améliora­tions. On a tenu compte de toutes mes observations.

À l’assemblée de 2024 par rapport à celle de 2023, comme je l’ai mentionné précédemment, le nombre de sujets traités a été réduit et on n’a pas retenu la question des femmes.

Pourtant, lors de la consultation mondiale qui avait préparé le synode, dont on avait reçu les résultats en 2022, la majorité des Églises dans le monde soulignaient que les femmes étaient dévalorisées dans l’Église, qu’elles n’étaient pas prises au sérieux, et demandaient que les femmes soient davantage engagées dans les tâches pastorales. Lors des synodes précédents, des évêques avaient revendiqué l’accès des femmes au diaconat. Une des questions du synode d’octobre 2023 a porté sur la participation des femmes dans l’Église et, entre les deux sessions de 2023 et de 2024, le secrétariat général du synode a mis sur pied 10 commissions d’études, dont une sur les femmes.

À la session d’octobre 2024, la question des femmes n’a pas été reprise à l’assemblée synodale et elle ne figurait pas dans le document de travail de l’assemblée. Les discussions qui ont porté sur la participation des baptisé·es ont concerné la vie des femmes, qui en représentent plus de la moitié. Mais la question des femmes comme telle a été discutée à côté de la salle de l’assemblée synodale.

Comment cela s’est-il passé ?

C.C. – Lors de la première journée de l’assemblée synodale de 2024, nous avons visionné une vidéo nous informant de la composition et de l’état des travaux des 10 commissions d’études mises sur pied après l’assemblée de 2023. La présentation ne comprenait aucun renseignement sur la composition ou sur l’état du travail de la commission sur les femmes, la seule commis­sion qui n’avait pas l’air d’être au travail. Nous avons appris que le dicastère sur la doctrine en était responsable et nous avons demandé à recevoir plus d’information sur cette commission.

Lors d’une rare plage horaire libre, le vendredi après-midi, nous avons rencontré les membres des 10 commissions. Une question que plusieurs voulaient poser était de savoir pourquoi la commission sur les femmes était la seule à ne pas travailler de manière synodale. Une centaine de personnes ont participé à la rencontre. Mais le responsable, le cardinal Victor Manuel Fernández, n’était pas disponible et il ne s’est pas présenté. Il a laissé à deux membres juniors de son personnel le soin de répondre aux questions qu’on nous avait demandé d’envoyer par courriel. Il n’y a eu aucune place pour la discussion. Des archevêques présents dans la salle ont été outrés de ne pas être reçus au moins par un autre archevêque.

Le lundi matin, le cardinal Fernández a présenté ses excuses au sujet de son absence à cette réunion. Il a assuré qu’il serait disponible pour répondre à des questions lors de la dernière semaine du synode. La réunion a eu lieu et a rassemblé à nouveau une centaine de délégué·es. Elle a d’ailleurs été enregistrée et rendue publique[2]. Nous y avons appris que le dicastère pour la doctrine travaillait à la préparation d’un document sur les femmes avant la tenue du synode et qu’il s’était contenté de travailler avec les consultants réguliers du dicastère. Cela a paru inacceptable à l’assemblée, qui a demandé qu’on écoute les femmes.

Une autre réunion a eu lieu. Le groupe des femmes qui a participé à l’assemblée synodale a eu une audience privée avec le pape François. Une représentante de chaque délégation des régions continentales, soit sept femmes, s’est adressée à lui et lui a affirmé l’urgence de prendre au sérieux les conditions de travail des femmes dans l’Église, ainsi que l’importance de leur participation dans l’Église. Le pape était en mode écoute.

Comment la question des femmes ressort-elle dans le Document final du synode ?

C.C. – Comme l’assemblée synodale d’octobre 2024 n’a pas abordé la question des femmes, on trouve une brève section sur les femmes dans le Document final. Elle offre un reflet de l’ensemble du processus du synode. Le document est focalisé sur l’augmentation de la partici­pation des femmes en Église. On propose de déployer dès maintenant toutes les possibilités pour leur participation à l’intérieur des règles actuelles du droit canon, tout en laissant la question de l’accès des femmes au diaconat ouverte pour l’avenir. Le document mentionne la participation des femmes à la formation théologique, l’intervention de femmes canonistes comme juges canoniques, la participation des laïques à la proclamation de la Parole lors des liturgies, l’intégration du langage inclusif dans la liturgie et dans les documents officiels de l’Église. Nous avons déjà vécu cette présence des femmes dans l’Église dans les années 1980 et 1990, et nous vivons déjà aujourd’hui l’expérience de ces divers ministères exercés par des femmes en certains endroits, mais ce n’est pas le cas dans toutes les cultures ou dans tous les pays.

Il est à noter que le Document final du synode évite le langage de la complémentarité ainsi que la référence à Marie comme modèle de la femme. C’est un résultat du travail de la commission de rédaction. Cela est délibéré et constitue une ouverture pour un changement de vision dans l’avenir.

En terminant, pourriez-vous souligner des changements que le synode a proposés sur la manière de faire Église et de vivre en Église ?

C.C. – Le Synode sur la synodalité lance un appel à changer la culture de l’Église, à dépasser le cléricalisme et la tension entre les clercs et les laïques vers la coresponsabilité en Église. Dans une Église synodale, les évêques sont tributaires du consensus de la communauté. Cette dernière doit apprendre à discerner et à prendre des décisions comme communauté de foi.

Des mots nouveaux ont émergé, comme transparence, redevabilité, culture d’évaluation continue. Le Document final du synode parle de tous les niveaux de l’Église, du local jusqu’à Rome. On demande d’implanter des conseils pastoraux dans toutes les paroisses. À l’heure actuelle, cela est facultatif dans le droit canon, qui sera révisé à ce sujet ; cela deviendrait obligatoire. Ces conseils seraient diversifiés et fonctionneraient selon une démarche synodale.

On demande la mise en place de synodes diocésains. Dans les trois quarts des diocèses dans le monde, aucun synode diocésain ne s’est tenu depuis le concile Vatican II. Le synode diocé­sain est pourtant le seul espace où tous·tes sont représenté·es et il devrait se tenir de manière régulière dans la vie de l’Église locale. Voilà une voie privilégiée pour la mise en place d’une Église véritablement synodale.

Entrevue réalisée par Denise Couture

 

[1] FRANÇOIS et XVIE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU SYNODE DES ÉVÊQUES, Pour une Église synodale : communion, participation, mission. Document final, 24 novembre 2024. En ligne : https://www.synod.va/content/dam/synod/news/2024-10-26_final-document/FRA—Documento-finale.pdf

[2] Voir AMERICA STAFF, « Transcript: Cardinal Fernandez’s meeting with synod members on the workings of Study Group 5 », America Magazine, le 20 novembre 2024. En ligne : https://www.americamagazine.org/faith/2024/11/20/transcript-study-group-5-cardinal-fernandez-249325